Les Palestiniens de l’intérieur : interview avec Miriam Azem, avocate pour Adalah

L’Agence Média Palestine s’est entretenue avec Miriam Azem, coordinatrice internationale de plaidoyer pour Adalah (« Justice » en arabe), organisation indépendante de défense des droits humains en Israël, et des droits de la minorité palestinienne en particulier. 

Par l’Agence Média Palestine, le 29 juin 2025



« Il y a une répression de toute liberté d’expression pour les Palestinen-nes de 48, et aussi une répression préemptive : avant même que les Palestinien-nes ne protestent, ils et elles en sont empêché-es. » C’est ainsi que Miriam Azem résume la situation des Palestinien-nes dit « de 48 », soit celles et ceux qui ont pu rester sur le territoire devenu Israël après la Nakba en 1948. Bien que citoyens israéliens, ils ne bénéficient pas des mêmes droits que les citoyen-nes israélien-nes juif-ves, et subissent une répression sévère. Dans une base de données fournie, Adalah recense et dénonce ces lois discriminatoires envers les Palestinien-nes, qui remontent avant même la création de l’état d’Israël.

Si cette répression pré-existe donc à la séquence actuelle, la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza depuis plus de 20 mois a développé et renforcé une censure brutale des voix palestiniennes qui s’expriment. Au lendemain du 7 octobre 2023, Gaza, le chef de la police israélienne Kobi Shabtai menaçait les « Arabes israéliens » de « leur mettre des bus à disposition s’ils et elles veulent retourner à Gaza », indiquant explicitement qu’il n’autoriserait aucune manifestation de soutien des Palestinien-nes citoyens d’Israël avec leurs compatriotes Gazaoui-es. La répression du soutien à Gaza s’organise sur tous les pans de la mobilisation. 

La censure en ligne

La censure s’applique d’abord par la répression massive des expressions de soutien sur les réseaux sociaux. Cette répression est le résultat d’une action coordonnée et généralisée menée par les services gouvernementaux, les institutions officielles israéliennes et des groupes d’extrême droite. Des centaines de Palestinien-nes ont été arrêté-es pour de simples posts, arrestations menant régulièrement à des détentions arbitraires et à des traitements brutaux. 

Des charges ont été retenues dans plus de 200 cas, menant à des procès pour terrorisme ou incitation à la haine. Parmi les accusé-es figurent de nombreux-ses étudiant-es, car les commités de délation, en partie bénévoles et animés par des étudiant-es israéliens, sont particulièrement actifs au sein des universités. En mai 2024, Adalah recensait plus de 160 actions disciplinaires retenues contre des étudiant-es palestinien-nes ayant posté sur leurs profils personnels un texte ou une image évoquant Gaza. Dans la plupart des cas, les étudiants ont simplement exprimé leur solidarité avec le peuple palestinien à Gaza ou cité des versets du Coran, des actes qui relèvent clairement de la liberté d’expression et de religion.

« C’est une attaque directe envers l’identité palestinienne elle-même », explique Miriam Azem. « Ces affaires n’auraient jamais dû mener à des poursuites : il s’agissait de posts privés, cela n’avait bien sûr aucun lien avec les universités. Lors d’une des audiences, l’accusation a demandé à une étudiante palestinienne d’expliquer pourquoi elle exprimait de l’empathie pour les enfants de Gaza et pas pour les enfants juifs. L’accusation ne comprenait simplement pas que l’on puisse s’identifier aux enfants Gazaoui-es. »

Ces actes de répression visent à faire taire la solidarité avant même qu’elle s’exprime, et à empêcher tout sentiment d’appartenance au peuple palestinien. Ils visent à créer une auto-censure et étouffer toute mobilisation, avant même qu’elle s’organise.

Manifestation interdites, menacées et brutalement réprimées

L’expression sur la voie publique de la solidarité palestinienne est également réprimée en amont, par l’interdiction formelle de toute manifestation à l’initiative de collectifs palestiniens. Si des manifestations « anti-guerre » sont organisées toutes les semaines dans les villes à majorité juive, celles-ci ne concernent par la solidarité avec les Palestinien-nes et rassemblent principalement des israélien-nes exigeant le retour des otages. Les manifestations à l’appel de collectifs palestiniens ou émanant de la gauche radicale sont systématiquement refusées, appliquant des directives tout aussi explicites qu’illégales : dans une vidéo publiée sur le compte officiel de la police sur Tiktok le 17 octobre 2023, une vidéo montre Yaakov Shabtai, commissaire de la police israélienne, tenant des propos racistes et incendiaires et donnant l’ordre illégal de refuser toutes les autorisations de manifestation en soutien au peuple palestinien à Gaza.

L’interdiction de manifester prononcée par le commissaire est illégale car elle viole gravement les droits constitutionnels à la liberté d’expression et de réunion pour les Palestinien-nes de 48, et aussi parce que le commissaire de police n’a pas le pouvoir légal de donner une directive aussi générale et arbitraire pour interdire les manifestations, explique Adalah dans un communiqué. « Ces déclarations visent à délégitimer toute manifestation de solidarité avec le peuple palestinien à Gaza et peuvent être utilisées pour justifier le recours à des moyens illégaux et dangereux pour disperser les manifestations. Elles augmentent le risque de brutalités policières à l’encontre des manifestants, qui pourraient entraîner des blessures graves, voire des pertes en vies humaines. Adalah a engagé une action en justice contre cette décision. »

De fait, une brutalité sans précédent s’est exercée sur les rares manifestations qui ont eu lieu, notamment à Haïfa et à Umm Al-Fahem les 18 et 19 octobre 2023, où les manifestant-es sont dispersé-es par la force, utilisant des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc. Plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées et deux manifestants des droits humains ont été par la suite condamnés pour de simples slogans. « C’est inédit, jusqu’ici les arrestations étaient des intimidations mais ne menaient pas à de réelles poursuites. », explique Miriam Azem, qui raconte qu’Adalah a défendu les deux militants.

« Ahmad Khalifa et Mohammad Abu El Taher Jabareen ont respectivement passé deux et huit mois en détention, et y ont subit des abus et mauvais traitements. À sa sortie de prison, Jabareen avait perdu trente kilos. 

Les arrestations, ainsi que la détention sévère et prolongée des manifestants et le prononcé de graves accusations pénales en vertu de la loi antiterroriste, non seulement violent les droits de Khalifa et Jabareen, mais constituent également une menace importante pour l’exercice de la liberté d’expression et de réunion pacifique pour tous les Palestiniens en Israël. Les autorités visent à créer un effet dissuasif sur la liberté d’expression de l’ensemble de la population palestinienne en Israël. Les demandes de détention jusqu’à la fin de la procédure judiciaire, présentées dans de nombreux cas, ont pour but de dissuader et constituent une forme de punition sévère pour des personnes qui, jusqu’à la résolution de leur affaire, bénéficient de la présomption d’innocence. »

Des remparts juridiques et institutionnels de plus en plus fragiles

« Adalah est un centre juridique et non un espace militant, c’est difficile de nous attaquer. Cependant, nous avons des menaces, de plus en plus explicites. Des groupes d’extrême droite tentent de nous faire des procès, nous accusant de terrorisme mais cela n’a aucun fondement juridique, bien entendu. Mais on voit que de plus en plus d’attaques envers des institutions palestiniennes en Israël, qui auraient semblé impossibles, même il y a quelques mois », déplore Miriam Azem.

C’est notamment le cas avec l’exclusion, ou la tentative d’exclusion, du député palestinien Ayman Odeh. « Il s’agit d’une campagne incitative et politiquement motivée visant à délégitimer et à éliminer la représentation palestinienne au sein du pouvoir législatif israélien. Cela paraît impensable, même en simples termes juridiques et de démocratie, qu’une majorité puisse exclure une minorité du parlement. C’est pourtant bien ce qui se produit. »

Un certain nombre de lois, dont certaines étaient déjà en discussion à la veille du 7 octobre, visent à faciliter la révocation du statut de citoyen-nes aux Palestinien-nes de 48 et leur expulsion d’Israël -sans préciser vers où. « Plus de 30 lois et décrets discriminatoires envers les citoyens palestiniens sont passées dans les 20 derniers mois. Beaucoup étaient déjà à l’agenda, mais la séquence en cours à accéléré leur légitimation, et leur mise en application. »

Tous ces discours, juridiques et politiques, font des Palestinien-nes de 48 une sorte « d’ennemi de l’intérieur », des citoyen-nes à part, qui n’ont pas les même droits et ne méritent pas de protection. Lors d’un sondage récent, 50% des israélien-nes interrogé-es se disent « en faveur du déplacement » des Palestinien-nes de 48 (encore une fois, sans préciser où). Cette déshumanisation des Palestinien-nes est la même que l’on retrouve de la mer au Jourdain, à différentes échelles de brutalité : de l’annexion israélienne en Cisjordanie au génocide israélien à Gaza.

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