Parmi les détracteurs du boycott académique, beaucoup d’arguments présentent les universités israéliennes comme des lieux de mixité, accessibles aux étudiants palestiniens citoyens d’Israël, et refuge progressiste de la société israélienne. Cela est bien loin de la réalité, car les étudiant-es palestinien-nes subissent une discrimination systémique et multiforme au sein des universités israéliennes, en commençant par de forts biais dans les critères d’admission, et une majorité des bourses et financements dont les conditions d’admission ne s’appliquent qu’aux étudiants juifs. Au-delà de l’empêchement matériel d’étudier, les élèves palestinien-nes sont également confronté-es à la répression systématique de toute initiative politique ou simple expression de leur identité.
Par l’Agence Média Palestine, le 8 juillet 2025

Restrictions systémiques de l’accès aux universités
Une grande partie des universités israéliennes requièrent un âge minimum pour certains départements tels que le travail social, les soins infirmiers, l’ergothérapie, la physiothérapie ou la médecine. Cette restriction, sous couvert d’exigence de maturité, correspond en réalité au temps du service militaire : comme les Palestinien-nes n’effectuent pas ce service militaire, ils et elles arrivent plus jeunes dans les universités et ne peuvent pas s’inscrire. Elles et eux doivent alors choisir entre retarder d’un ou deux ans leurs études après le lycée, ou bien à choisir une filière n’imposant pas de restriction.
Les discriminations au sein des universités ne concernent d’ailleurs pas que les élèves, plusieurs lois contraignent également les enseignant-es palestinien-es à des obstacles spécifiques. Depuis le 7 octobre 2023, deux lois discriminatoires supplémentaire ont été votées par le parlement israélien, l’une en octobre 2024 permettant de licencier les enseignant-es pour des publications privées, et la seconde mercredi dernier, le 2 juillet 2025, qui permettra d’interdire l’enseignement en Israël aux professeurs diplômés d’universités palestiniennes.
Répression systématique des étudiant-es palestinien-nes
La répression des étudiant-es palestinien-nes est à l’image de celle qu’ils et elles subissent dans toutes les sphères de la société israélienne : la campagne génocidaire est venue amplifier et accélérer une dynamique déjà en cours depuis les débuts de la colonisation.
Dans un rapport paru en juin intitulé « Silenciation, censure et violations de la liberté d’expression dans les universités israéliennes », l’organisation Academia for Equality (A4E) identifie des mécanismes mis en place ces dernières années qui ont permis une répression inédite depuis le déclenchement de la guerre génocidaire d’Israël à Gaza en octobre 2023.
Un phénomène de plus en plus courant, très largement observé depuis octobre 2023, est celui des étudiant-es de droite qui dénoncent les activités de leurs camarades palestinien-nes sur les médias sociaux. Cette pratique a été applaudie par le gouvernement israélien et les institutions universitaires.
Shira Klein et Lior Sternfeld, membres de l’A4E, écrivent que « les étudiant-es sont en première ligne du maccarthysme israélien ». Les étudiant-es palestinien-nes qui partagent ou « aiment » certaines publications se retrouvent sous le feu des projecteurs de leurs camarades de classe qui les signalent à l’un des groupes d’extrême droite du campus (par exemple, Im Tirtzu).
Le 12 octobre 2023, moins d’une semaine après le début du génocide, le ministre de l’éducation Yoav Kisch écrivait aux directeurs d’établissements universitaires pour leur demander de « rendre compte au Conseil de l’enseignement supérieur des mesures qu’ils avaient prises à l’encontre des étudiant-ess ayant exprimé leur soutien au « terrorisme », et de les traiter d’une mainde fer. » Dans le même temps, les universités israéliennes ont convoqué plus de 150 étudiant-es pour qu’ils et elles comparaissent devant des « comités disciplinaires », principalement en raison d’accusations concernant des messages qu’ils avaient postés sur les médias sociaux. En mars 2024, le centre juridique et observatoire des droits humains Adalah recensait plus de 160 actions judiciaires à l’encontre d’étudiant-es palestinien-es pour des publications sur leurs réseaux privés.
La plupart des audiences de ces comités se sont transformées en ce qui ressemblait à des interrogatoires des services de renseignement qui ont sondé les opinions, les points de vue et les positions politiques des étudiants, souvent sans lien direct avec le contenu de leurs message.
« C’est une attaque directe envers l’identité palestinienne elle-même », expliquait Miriam Azem à l’Agence Média Palestine, avocate pour Adalah. « Ces affaires n’auraient jamais dû mener à des poursuites : il s’agissait de posts privés, cela n’avait bien sûr aucun lien avec les universités. Lors d’une des audiences, l’accusation a demandé à une étudiante palestinienne d’expliquer pourquoi elle exprimait de l’empathie pour les enfants de Gaza et pas pour les enfants juifs. L’accusation ne comprenait simplement pas que l’on puisse s’identifier aux enfants Gazaoui-es. »
Ces mesures disciplinaires visent exclusivement les étudiants palestiniens et ont été explicitement approuvées par le ministre israélien de l’Éducation, alors même que de nombreux-ses étudiant-es juif-ves israélien-nes qui publient des messages incitant explicitement à la violence sur leurs réseaux sociaux ne subissent aucune conséquence. Elles constituent une grave violation des droits civils et politiques des étudiants, ainsi que des droits procéduraux et du droit à un procès équitable.
Ces actes de répression visent à faire taire la solidarité avant même qu’elle s’exprime, et à empêcher tout sentiment d’appartenance au peuple palestinien. Ils visent à créer une auto-censure et étouffer toute mobilisation, avant même qu’elle s’organise.
« Cette campagne de persécution contre les étudiant-es palestinien-nes souligne la réalité qu’en Israël, la protection des droits et des principes démocratiques est exclusivement accordée aux citoyen-nes juif-ves ; les citoyen-nes palestinien-nes, en particulier en période de conflit, sont considéré-es comme des ennemi-es intérieur-es et leurs opinions politiques sont sévèrement réprimées », dénonce Adalah. « La vague de répression actuelle, qui a débuté après le début de la guerre le 7 octobre, a encore renforcé cette réalité et établi un nouveau niveau de répression à l’encontre des étudiant-es palestinien-nes. Elle a également créé un environnement universitaire hostile, incitant à la violence et dangereux pour de nombreux-ses étudiant-es et membres du corps enseignant palestinien-nes dans les établissements universitaires israéliens. »
Étouffement du mouvement étudiant palestinien
Outre l’atmosphère d’intimidation qui réduit au silence de nombreuses personnes et réprime celles qui pourraient autrement exprimer une critique politique de la guerre en cours à Gaza, les institutions universitaires israéliennes ont également restreint directement l’activisme politique palestinien sur les campus.
La controverse qui a entouré la cérémonie annuelle de commémoration de la Nakba à l’université de Tel-Aviv est un exemple de cette méthode de réduction au silence, de même que les restrictions imposées par l’université de Tel-Aviv aux activités du parti Hadash. Lorsque des événements ont eu lieu, certaines institutions n’ont pas assuré la sécurité des participants, laissant des groupes d’extrême-droite perturber les rassemblement sans intervenir. Des incidents sont également survenus lors d’élections du gouvernement étudiant, des syndicats étudiants tentant d’empêcher les étudiants palestiniens de se présenter comme candidats dans les groupes Hadash et Balad.
Chiara Caradonna, qui enseigne à l’université hébraïque de Jerusalem et participe au mouvement de contestation « Black Flag » (un réseau d’action au sein des universités israéliennes qui dénonce le génocide à Gaza), raconte les stratégies adoptées par les activistes sur le campus pour éviter de surexposer leurs membres palestinien-nes : « Nous sommes très conscient-es que nous ne prenons pas les mêmes risques. Les universités israéliennes se prétendent inclusives mais c’est faux. »
« Dans plusieurs rassemblements, les étudiant-es juif-ves se plaçaient en première ligne pour éviter que les étudiant-es palestinienne-es ne soient exposé-es à des violences. En tant qu’enseignant-es et étudiant-es juif-ves et internationales-aux, nous devons être devant pour ne pas surexposer les Palestinien-nes à la répression. Mais il est également important qu’ils et elles puissent s’organiser en autonomie, dans des associations qui leurs sont propres. C’est un équilibre à trouver, de pousser pour davantage de représentativité sans les exposer, de les ‘protéger’ sans les invisibiliser. »
Une campagne de longue date visant à réduire au silence les voix critiques palestiniennes
Dans un nouvel article publié par Mada al-Carmel, centre arabe pour la recherche sociale appliquée, l’activiste et étudiant Youssef Taha examine la persécution politique et les pratiques répressives à l’encontre des citoyens palestiniens qui étudient dans les universités israéliennes dans le contexte de la guerre génocidaire actuelle.
Parallèlement, son étude examine les actions des mouvements étudiants et la possibilité d’autonomie palestinienne face à cette campagne, en l’ancrant dans l’histoire récente des luttes étudiantes et du mouvement politique palestinien en Israël.
« Ces politiques et pratiques n’ont pas émergé dans le vide, mais représentent plutôt une continuation directe et une escalade d’une campagne d’incitation, de restrictions et de répression contre l’activisme étudiant nationaliste palestinien dans les universités israéliennes avant le début de la guerre de génocide contre Gaza », affirme Youssef Taha dans son article.
La persécution des étudiant-es palestinien-nes s’inscrit dans le cadre d’une campagne plus large visant à qualifier toute expression d’opposition politique de « soutien au terrorisme », légitimant ainsi les suspensions et les arrestations sans procédure judiciaire régulière. La répression sévère de la liberté d’expression pendant la phase génocidaire actuelle s’inscrit dans le prolongement d’une campagne de longue date visant à réduire au silence les voix critiques palestiniennes.
Ce climat d’hostilité pousse les étudiant-es palestinien-nes à l’autocensure et la conformité aux récits dominants. Certain-es peuvent même s’engager dans des politiques alignées sur les intérêts sionistes afin d’être acceptés par la majorité juive et de ne pas être victimes de persécutions de la part de groupes d’extrême droite. La résistance des étudiant-es palestinien-nes s’exprime de diverses manières, comme la promotion de la culture arabe, l’affirmation d’une identité palestinienne et la lutte pour la liberté académique.



