Mon ami journaliste a été arrêté par Israël. Il ne sera pas le dernier.

Le harcèlement dont sont victimes Nasser Laham et d’autres personnalités telles qu’Israël Frey envoie un message clair : aucun journaliste, palestinien ou juif, n’est en sécurité dès lors qu’il critique Israël.

Par Meron Rapoport, le 18 juillet 2025

Capture d’écran de Nasser Laham lors d’une audience vidéo visant à prolonger sa détention provisoire, le 13 juillet 2025. (Hagar Shezaf)



Au début de la semaine dernière, les autorités israéliennes ont arrêté l’un des journalistes les plus éminents de Palestine : Nasser Laham, rédacteur en chef de l’agence de presse Ma’an. Il a été détenu pendant neuf jours pour « aide à une organisation terroriste par le biais des médias », puis discrètement libéré sans inculpation.

Je connais Nasser depuis plus de 20 ans. Nous nous sommes rencontrés au début de la deuxième Intifada, à une époque où beaucoup croyaient encore que si les journalistes israéliens et palestiniens prenaient simplement le temps de se rencontrer et d’apprendre à se connaître, ils pourraient commencer à combler le fossé qui les séparait et favoriser un discours de paix. Si ma mémoire est bonne, ce qui nous liait, c’était la conviction commune que le dialogue seul ne suffisait pas et que pour obtenir un véritable changement, il fallait appeler les choses par leur nom : occupation, spoliation, apartheid.

Nous nous sommes revus à plusieurs reprises par la suite, généralement dans le bureau de Nasser à Bethléem. Nous parlions généralement en hébreu, que Nasser avait appris couramment pendant son séjour dans une prison israélienne, et parfois en arabe, que je venais de commencer à étudier. Après avoir été licencié du journal israélien Yedioth Ahronoth pour des raisons politiques, Nasser m’a invité à écrire pour Ma’an, et j’ai fini par publier un ou deux articles. Plus tard, lorsqu’un jeune Palestinien a incendié ma voiture à Ramallah, Nasser a écrit un article pour me défendre, affirmant que j’étais « un ami du peuple palestinien ».

Je ne me souviens pas que nous ayons jamais parlé de « paix ». Nasser prenait soin de ne pas soutenir une solution politique particulière, qu’il s’agisse d’un État unique, de deux États ou d’une solution intermédiaire. Nos conversations portaient plutôt sur des principes : l’égalité, la liberté, la justice et le droit de tous ceux qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée à une vie sûre et digne.

Lorsque j’ai commencé à formuler des idées pour un nouveau mouvement politique, c’est Nasser qui m’a présenté Awni Al-Mashni, un militant politique qu’il connaissait du camp de réfugiés de Dheisheh et de la prison israélienne. Awni allait ensuite cofonder avec moi l’organisation connue aujourd’hui sous le nom de A Land for All. Notre première rencontre a eu lieu dans le bureau de Nasser.

Au fil des ans, j’ai vu Nasser s’éloigner de ses nombreux amis israéliens. Eux aussi ont commencé à prendre leurs distances. Les ponts entre eux, déjà fragiles lorsque nous nous sommes rencontrés au début des années 2000, s’étaient alors complètement effondrés. La séparation et la répression avaient fonctionné.

Les médias israéliens ont progressivement perdu tout intérêt pour les voix palestiniennes, se concentrant de plus en plus sur la dissimulation de l’occupation et le maintien du statu quo. De leur côté, de nombreux Palestiniens ne voyaient plus l’intérêt de s’adresser à un public qui refusait de les écouter. Ils en avaient assez de jouer le rôle des éternels accusés, toujours tenus de s’excuser pour leur simple existence.

En 2018, je me suis rendu à Dheisheh pour présenter mes condoléances à Nasser après le décès de son père. Je lui ai proposé de faire une interview pour +972 et Local Call. Ce fut une conversation amère. Bien qu’il ait insisté à plusieurs reprises sur le fait que les Palestiniens ne devaient pas recourir à la violence (« Nous n’avons ni armée, ni armes, ni moyens, ni possibilités »), son message était loin d’être un message de réconciliation.

« Le mouvement sioniste est le pire de l’histoire lorsqu’il s’agit de semer la haine entre les nations », a-t-il déclaré. « Il n’y a aucun espoir de paix avec lui. Aucune possibilité de paix. »

Lorsque je l’ai pressé de décrire le type de solution qu’il envisageait, il a répondu : « Comment trouver une solution ? Attendons mille ans. Les Israéliens seront vaincus et s’enfuiront. Pourquoi se précipiter ? Pourquoi les Arabes se précipitent-ils ? »

Même s’il s’agissait de paroles de défi, elles étaient difficiles à entendre, surtout pour quelqu’un comme moi qui a cherché, et cherche encore, une voie vers la réconciliation. Mais avec le recul, il voyait où les choses allaient : une époque dominée par la haine, la violence et le désespoir.

Envoyer un message clair

Lorsque ma voiture a été incendiée, Nasser a écrit que j’avais payé le prix de mon soutien aux Palestiniens. Cela m’avait semblé exagéré à l’époque, et cela me semble encore plus exagéré aujourd’hui, après que Nasser lui-même ait passé plus d’une semaine en prison pour son travail de journaliste.

L’avocat de Nasser, l’ancien député Osama Saadi, a souligné le fossé entre les graves accusations portées contre son client – avoir fourni des services à une organisation terroriste, diffusé des contenus incitant à la violence et s’être identifié à un groupe terroriste – et la manière discrète, presque décevante, dont sa détention a pris fin. Selon Saadi, les accusations reposaient principalement sur l’affiliation de Nasser à la chaîne libanaise Al Mayadeen et sur des preuves classifiées qui n’ont jamais été communiquées à la défense. Finalement, il a été libéré sans conditions, et Saadi prévoit qu’aucune charge ne sera retenue contre lui.

Que Nasser ait activement dirigé les opérations d’Al Mayadeen en Palestine, comme l’affirme l’accusation, ou qu’il ait simplement été interviewé en tant qu’expert, la mesure prise par Israël à l’encontre de la chaîne était clairement un acte de répression. Le discours d’Al Mayadeen – ou d’Al Jazeera, dont les activités ont également été interdites par Israël – peut être passionné et même contenir des erreurs de temps à autre. Mais si cela constitue une « incitation », toutes les chaînes d’information israéliennes auraient été fermées depuis longtemps et des dizaines de leurs journalistes auraient été emprisonnés.

En effet, l’arrestation de Nasser semble avoir servi un autre objectif. Journaliste connu dans presque tous les foyers palestiniens et dans une grande partie du monde arabe, sa détention visait à envoyer un message clair à tous les Palestiniens : personne n’est à l’abri. Ni ceux qui vivent dans des grottes ou des cabanes en tôle à Masafer Yatta ou dans la vallée du Jourdain, ni ceux qui parcourent le monde pour interviewer des premiers ministres. Même après sa libération, le message reste d’actualité.

Nasser n’est pas le seul journaliste arrêté par les autorités israéliennes la semaine dernière ; Israel Frey, journaliste indépendant juif israélien et militant de gauche, a également été arrêté par la police pour un tweet. Après la mort de cinq soldats israéliens au combat dans le nord de Gaza, Frey a écrit sur X que « le monde est meilleur ce matin sans ces cinq jeunes hommes qui ont participé à l’un des crimes les plus horribles contre l’humanité ». Il a été détenu pendant quatre jours en tant que « prisonnier de sécurité » — une catégorie presque exclusivement réservée aux Palestiniens — avant d’être assigné à résidence.

Il est difficile de ne pas voir le lien entre l’arrestation de Nasser et celle d’Israel Frey, qui s’inscrivent toutes deux dans la même logique de musellement et d’intimidation. Pourtant, les réactions n’auraient pas pu être plus différentes. En Israël, même beaucoup de ceux qui n’apprécient pas particulièrement Frey ont été indignés par son arrestation, par le fait de le voir en tenue de détenu et par la décision de le traiter comme un prisonnier « sécuritaire » (autrement dit palestinien). L’arrestation de Nasser, en revanche, est passée presque inaperçue.

Mais la proximité de ces deux cas devrait nous enseigner quelque chose : il n’y a pas de frontière réelle entre une liberté et une autre, entre la liberté de la presse « ici » et la liberté de la presse « là-bas ». Comme l’écrivait Martin Luther King depuis la prison de Birmingham : « L’injustice n’importe où est une menace pour la justice partout. Nous sommes pris dans un réseau inéluctable de mutualité, liés par un seul vêtement de destin. Ce qui touche directement l’un touche indirectement tous les autres. »

Une version de cet article a été publiée pour la première fois en hébreu sur Local Call. Vous pouvez le lire ici.


Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine

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