Un bateau pour Gaza: «Vous dénoncez le blocus, nous on va le lever!»

Par: Fanny Fontan

A l’occasion du départ imminent du premier bateau français pour Gaza, entretien avec Thomas Sommer-Houdeville, coordinateur de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP), et auteur du livre « La Flottille », qui revient sur l’épopée tragique du dernier convoi de solidarité envers la Palestine.

Un bateau français pour Gaza ?

C’est une initiative citoyenne, populaire, visant à envoyer un bateau depuis la France rejoindre la Flottille de la Liberté 2. Le départ se fera de Marseille, fin juin. On passera par la Corse, notamment Ajaccio, car les pêcheurs ont une relation particulière avec la Palestine. Pour l’instant on ne sait pas encore si on achète un bateau passager ou un cargo… On le saura d’ici quelques jours. Entre la délégation française, et l’internationale constituée des différentes nationalités organisatrices, on comptera entre 60 et 90 civils français. A bord, représentants politiques de tous les partis – sauf l’extrême  droite -, des personnalités morales comme des artistes, des médias ainsi que des représentants du mouvement social: des associations (MRAP, CIMAD, Génération Palestine) et des syndicats (CGT, ESTC Sud)…

La Flottille de la Liberté est une coalition internationale formée par une soixantaine d’organisations. Partant de différents ports du pourtour méditerranéen, tous les convois vont converger vers un  point X avant de se diriger ensemble vers Gaza.

Objectif ?

Aujourd’hui, Gaza traverse une véritable crise humanitaire. Seulement 3000 camions par mois parviennent à rentrer pour subvenir aux besoins d’une population d’un million et demi d’habitants. Avant le blocus entraient  plus de 10000 camions par jour. Pour que ces personnes puissent vivre décemment, il faut ouvrir les frontières. Seulement 1/3 des biens parviennent à franchir les barrages. 70% de la population est dépendante de l’aide alimentaire. Les hôpitaux fonctionnent de manière réduite (manque de médicaments, d’infrastructures, d’électricité…)

Il n’y a pas eu de tsunami mais l’ « opération plomb durci » (effectuée par l’armée israélienne il y a deux ans) a causé des dégâts incroyables. Il est impossible aujourd’hui de reconstruire. Les gens vivent dans les ruines de leurs habitations car le béton ne passe pas. Des ateliers, des usines aussi ont été détruits.

Nous, ce qu’on dénonce, c’est l’hypocrisie et la responsabilité de la communauté internationale. Depuis 2009, les Nations Unies demandent la levée du blocus et se félicitent de toutes les initiatives qui apparaissent dans cette optique. Que ce soit l’UE, par le biais de sa chef de la diplomatie, Catherine Ashton, ou le gouvernement Sarkozy…Tout le monde demande la même chose. Mais pendant ce temps, la situation humanitaire est très grave et il ne se passe rien.

Notre message est simple : Puisque vous ne prenez pas vos responsabilités, nous on va les prendre ! Vous dénoncez le blocus, nous on va le lever ! Et ce n’est pas une question de charité ! Il s’agit d’aider Gaza à se reconstruire: nous amenons des matériaux de construction, des générateurs électriques, des usines de traitement d’eau, du matériel médical qui fait défaut (des dialyses etc, pas du paracétamol !)

En 2010, l’armée israélienne a attaqué la première Flottille de la Liberté. Neuf civils sont morts. Ne craignez-vous pas une autre offensive?

C’est à eux qu’il faut le demander ! Nous ne sommes pas dans une stratégie d’affrontement, on ne l’a jamais été. L’équipage est constitué de civils qui accompagnent un chargement humanitaire. Nous serons dans les eaux territoriales de la Palestine et de Gaza et prenons toutes les précautions possibles. On a demandé la protection des Nations Unies, le 10 mai nous nous rendrons au Parlement européen.

L’an dernier, nous avions aussi demandé une protection mais nous n’avions pas pris le temps de faire toutes les démarches. Cette année, une vraie campagne de mobilisation a été menée. On a récolté près de 500 000 €, dont le plus gros don a été un chèque de 5000 €. Le reste provient de dizaines de milliers de gens qui ont financé cette opération à coup de 10 € ! Nous espérons que la médiatisation et le soutien des politiques exerceront suffisamment de pression sur Israël pour ne pas qu’il nous attaque.

Où  en est la justice internationale concernant l’attaque de la flottille en 2010?

Un collectif d’avocats représentant une dizaine d’associations a saisi la cour internationale. Des plaintes ont aussi été déposées auprès de la justice française. Mais ça prend beaucoup de temps. Et tant qu’il n’y aura pas de volonté  politique obligeant Israël à répondre de ses actes, rien n’avancera.

Pourquoi cet engagement est-il si important pour vous?

J’étais militant à la fac, à l’UNEF puis j’ai rejoint le JCR , devenu NPA par la suite. Quant à la question palestinienne elle est venue très tôt pour les partis de la gauche radicale au même titre que la décolonisation et le soutien des luttes anticoloniales. L’engagement pour la Palestine est donc quelque chose de naturel.

J’ai vraiment connu la Palestine lors de la 2ème Intifada. Le CCIPPP envoyait des citoyens en Palestine pour rencontrer la population et témoigner. J’y suis resté 4 mois et demi et j’ai vu ce qu’était l’humiliation, la peur, la destruction. J’ai vu des gens se faire tirer dessus. J’ai compris ce qu’était la violence d’une armée qui occupe une population. Et malgré tout, le peuple palestinien est toujours debout. Il n’abandonne ni son droit à la justice, ni celui à la dignité, ça a changé ma vie. Cette réalité est d’une violence telle qu’on n’en sort pas indemne.

Aujourd’hui la Palestine, c’est l’Afrique du Sud des années 80. Le symbole d’une lutte dans laquelle tout le monde peut se reconnaître. La lutte entre un Etat qui opprime et un peuple qui résiste.

La Flottille…pourquoi ce livre ?

Pour que les gens comprennent qui on était, pourquoi on l’avait fait… Qui ? Ni un commando, ni des terroristes mais des gens normaux qui ont réussi à travailler ensemble malgré les problèmes de langue. Comme les Grecs et les Turcs, par exemple. Malgré nos différences, tout a fonctionné de manière extraordinaire. Preuve que c’est un combat universel relevant de notions simples de justice, de dignité.

Michael Warschawski, journaliste et militant pacifiste israélien, signe la préface de votre livre. Un choix symbolique ?

D’abord parce que c’est un ami, quelqu’un que je respecte énormément. Quand j’ai commencé  à militer, il représentait déjà une figure franco-israélienne pour l’égalité. Il dit souvent : « Quelle que soit son origine ou l’endroit où l’on se trouve, il y a toujours une idée de justice. » Je suis donc heureux et honoré qu’il ait bien voulu écrire cette préface. Aussi, il était important de monter que nous ne nous situons pas dans une guerre des civilisations. Il n’existe pas de triangle sanglant entre musulmans, juifs et chrétiens. Le conflit israélo-palestinien est un conflit politique, un conflit d’intérêts. Le peuple lui, se tient par la main.

Lorsqu’on s’intéresse à la Palestine on est appelé pro-palestinien…et lorsqu’on est pro-palestinien on est souvent taxé d’antisémitisme…

Je viens d’une famille de résistants qui a vécu la gestapo, les camps. J’ai donc appris à vomir depuis très jeune l’antisémitisme et le racisme, sous toutes ses formes !

Nos bateaux transportent à la fois juifs, musulmans, athées… Un bateau pour Gaza n’est pas un combat contre les juifs ou qui que ce soit. J’ai d’ailleurs toujours refusé de travailler avec des racistes et des antisémites. Je considère la Shoah comme la pire des choses qui soit arrivée en Europe. De plus, assimiler la solidarité envers la Palestine à de l’antisémitisme est extrêmement dangereux dans le sens où ça banalise l’antisémitisme.


Visiter le site d’Un bateau français pour Gaza

La flottille – Solidarité internationale et piraterie d’État au large de Gaza, Thomas SOMMER-HOUDEVILLE (Éditions la découverte – Mars 2011). En savoir plus

http://www.respectmag.com/2011/05/09/un-bateau-pour-gaza-vous-denoncez-le-blocus-nous-va-le-lever-5177


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