Le triomphe de la cécité – Bernard Guetta

Ci dessous une chronique  de Bernard Guetta, publiée sur France Inter le 25/05/11

Le triomphe de la cécité

Un espoir s’évaporait, le Congrès américain n’en finissait plus de se lever et d’applaudir. Chacune ou presque des phrases prononcées par Benjamin Netanyahu semblait transporter d’enthousiasme sénateurs et représentants démocrates et républicains alors qu’un coup de pelle après l’autre, le Premier ministre israélien enterrait hier toute possibilité de reprise des négociations avec les Palestiniens et de conclusion, bien sûr, d’un accord de paix.

Il aurait pu dire qu’il ne négocierait pas avec un gouvernement palestinien comprenant des ministres du Hamas. Cela aurait laissé une porte entrebâillée puisque l’accord de réconciliation entre les islamistes et le Fatah prévoit la constitution d’un gouvernement de techniciens où ne siégera aucun des deux partis. Benjamin Netanyahu aurait pu ne pas refuser de voir que le Hamas avait accepté que son rapprochement avec le Fatah n’empêche pas la poursuite de pourparlers conduits par le président palestinien, Mahmoud Abbas, et qu’un éventuel accord de paix pouvait désormais engager aussi les islamistes et, donc, la totalité des Palestiniens. Il aurait pu faire de cette ambigüité délibérée une pierre sur laquelle construire mais non ! « Israël ne négociera pas, a-t-il dit, avec un gouvernement soutenu par la version palestinienne d’al Qaëda », et le Congrès applaudissait.

« Jérusalem doit rester la capitale unifiée d’Israël. Jérusalem ne doit jamais être à nouveau divisée et, avec créativité et bonne volonté, une solution peut être trouvée », lançait-il et le Congrès applaudissait. « Déchirez votre pacte avec le Hamas », lançait-il au président palestinien et le Congrès applaudissait. « Pourquoi la paix n’est-elle pas encore réalisée ? », demandait-il avant de répondre, dans un raccourci vertigineux : « Parce que les Palestiniens n’ont pas voulu accepter, jusqu’ici, un Etat palestinien si cela impliquait d’accepter un Etat juif s’étendant à ses côtés », et le Congrès applaudissait.

« Mes amis », disait Benjamin Netanyahu en s’adressant aux législateurs américains et le Congrès applaudissait mais comment, pourquoi, un tel discours a-t-il pu susciter une telle connivence entre ce Premier ministre et la Chambre et le Sénat des Etats-Unis ? La réponse est tragiquement simple. Anglophone, totalement bilingue et totalement imprégné de culture américaine, Benjamin Netanyahu disait là tout haut ce que pense la moyenne des élus américains – que le printemps arabe est magnifique mais incertain, qu’il pourrait s’achever sur un triomphe des islamistes, que le temps n’est pas venu de baisser la garde et que Barack Obama ne serait qu’un idéaliste irresponsable auquel il faudrait se garder d’emboîter le pas. Point par point, et tout en lui rendant hommage, Benjamin Netanyahu martelait hier, au Congrès, que Barack Obama se trompait et le Congrès applaudissait dans un désespérant chœur de vieux simplismes frileux.

La cécité des uns disqualifiait la vision de l’autre. Ce spectacle était affligeant, consternant, et le plus stupéfiant était de voir ce Premier ministre mener, tout sourire, tout heureux, son pays vers l’abime car jamais Israël n’a été aussi isolé, critiqué, montré du doigt, affaibli sur la scène internationale.

 

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