- Les comédiens du Théâtre national palestinien donnent à la tragédie de Sophocle une résonnance particulière.
-
(Envoyée spéciale à Jérusalem)
Le vent s’est levé qui secoue les grands arbres. Ce matin, il a plu. De lourdes averses sitôt oubliées. Le ciel est d’un bleu pur au-dessus de Jérusalem, le soleil haut encore. Le public attend devant le bâtiment blanc, porté par la fièvre légère qui précède les commencements espérés… Toutes générations mêlées, beaux vieillards aux visages tannés, jeunes filles rieuses, adolescents bavards, mères escortant leurs enfants, voile court sur les cheveux, on pénètre dans la salle où va se donner Antigone de Sophocle en langue arabe (avec des surtitres français). Huit comédiens ont travaillé depuis plusieurs semaines avec le metteur en scène Adel Hakim, codirecteur du Théâtre des Quartiers d’Ivry. Né au Caire, il parle parfaitement l’arabe et a pu diriger sans truchement les artistes du Théâtre national palestinien, le TNP.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle collaboration existe. Il y a trois ans, Nabil El Azan, qui dirige une compagnie indépendante de la région parisienne, La Barraca, avait monté, avec cette institution remarquable de Jérusalem Est, Le Collier d’Hélène de la Québécoise Carole Fréchette.
Évidemment, Antigone résonne d’une manière particulièrement bouleversante aux oreilles et au cœur du public palestinien comme à celui des comédiens. « On a le sentiment que Sophocle parle de nous », confie Yasmin Hamaar, qui joue Ismène et qui est avocate. Elle a été recrutée par Adel Hakim après de longues auditions il y a quelques mois. De même Shaden Salim, la gracile Antigone. Elle aussi est troublée par la proximité d’une œuvre écrite il y a plus de vingt siècles. Comédienne professionnelle, elle tourne pour la télévision et le cinéma, dessine. Les aînés, Hussam Abu Eisheh, Créon, ou Kamel Al Basha, le messager, sont très impliqués dans la vie du Théâtre national palestinien.
«Légalement reconnus»
Le premier le dit: «Quand je suis né, il y avait un soldat devant ma porte… J’ai passé quatre ans en prison. Mes enfants aussi ont été emprisonnés… aussi savons nous ce que peut ressentir Antigone qui donne à son frère une sépulture, malgré les ordres de Créon, Antigone emmurée, oui, nous nous reconnaissons dans cette histoire pourtant venue de loin, nous sommes toujours dans cette tragédie.»
Le décor imaginé par Yves Collet a été construit à Jérusalem. Un mur ouvert de dizaines de fenêtres carrées, qui laissent filtrer des lumières, un mur qui permet des projections de visages ou des textes.
Des poèmes de Mahmoud Darwich (1941-2008), notamment, l’écrivain qui avait tant espéré la paix, des poèmes qui pourraient être la voix du chœur. C’est un spectacle dont la beauté plastique, la rigueur n’étouffent jamais l’émotion soulevée par les mots de Sophocle, la musique du Trio Joubran, le talent radieux des interprètes. Parfois les applaudissements éclatent parce qu’une réplique semble correspondre exactement à la réalité douloureuse du peuple palestinien. Mais, c’est l’art et le partage qui réunissent ici le public. Pas les discours politiques.
Jamel Goshel, directeur du Théâtre national palestinien-Al Hakawati (le conteur), souligne qu’une telle collaboration est précieuse. « L’Autorité palestinienne ne peut subventionner des institutions de Jérusalem. D’autre part, nous sommes légalement reconnus, mais ne souhaitons pas demander des subventions au gouvernement israélien. Cette Antigone a vu le jour avec le soutien des consulats français et italien.» Après Jérusalem, Ramallah, Jennine, Naplouse hier soir la pièce poursuit son voyage par Haïfa, Hébron, Bethléem, Jérusalem à nouveau jusqu’à l’été, avant une tournée en France, la saison prochaine.
http://www.lefigaro.fr/theatre/2011/06/06/03003-20110606ARTFIG00738–antigone-en-palestine.php