Personne en Israël ne savait qu’ils commettaient un massacre et ils ne s’en sont pas souciés

Par Gidéon Levy, Haaretz, 18 novembre

Le pilote du bombardier ne savait pas. Les supérieurs qui lui donnaient des ordres ne savaient pas non plus. Le ministre de la défense et le commandant en chef ne savaient pas. Ni le commandant de l’armée de l’air. Le porte-parole de l’armée qui a menti sans aucun scrupule ne savait pas non plus. 

Aucun de nos héros ne savait. Ceux qui savent toujours tout, soudain ne savaient pas. Ceux qui peuvent pister le fils d’un homme recherché dans la banlieue de Damas ne savaient pas que ceux qui dormaient dans leur misérable maison à Deir al-Balah étaient une famille ruinée.

Eux, qui servent dans l’armée la plus morale et dans les services de renseignement les plus avancés du monde ne savaient pas que cette fragile baraque en tôle avait depuis longtemps cessé d’être un élément de « l’infrastructure du Jihad » et on peut même douter qu’elle le fût jamais. Ils ne savaient pas et ils ne se sont pas souciés de vérifier – après tout, au pire, que pouvait-il arriver ? 

Le reporter Yaniv Kubovich a révélé l’atroce vérité vendredi sur le site de Haaretz : la cible n’avais pas été ré examinée depuis au moins un an avant la frappe, l’individu supposément ciblé n’a jamais existé et le renseignement était fondé sur des rumeurs. En tous cas, la bombe a été lancée. Résultat : huit corps dans des linceuls de couleur, certains d’entre eux affreusement petits, tous alignés ; des membres d’une seul famille élargie, les Asoarka, dont cinq enfants –parmi eux deux bébés.

S’ils avaient été citoyens israéliens, l’État aurait remué ciel et terre pour venger le sang de son célèbre petit garçon et le monde serait tombé raide d’émotion devant la cruauté du terrorisme palestinien. Mais Moad Mohamed Asoarka n’était qu’un petit Palestinien de 7 ans  qui a vécu et est mort dans une baraque, sans présent ni avenir, dont la vie fut d’aussi peu de valeur et aussi brève que celle d’un papillon ; son tueur était un pilote renommé.

Ce fut un massacre. Personne n’en sera puni. « Le compte cible n’a pas été mis à jour » ont dit les représentants de l’armée. (Après la publication de l’enquête de Yaniv Kubovich, le porte parole de l’armée a sorti une autre déclaration : « Il a été confirmé que le bâtiment était une cible, plusieurs jours avant l’attaque »). Mais ce massacre a été pire que le meurtre ciblé de Salah Shehada, et il a été accueilli en Israël par une indifférence encore plus révoltante.

Le 22 juillet 2002, un pilote de l’armée de l’air israélienne a largué une bombe d’une tonne sur un quartier d’habitation, qui a tué 16 personnes, dont un homme effectivement recherché. Avant l’aube jeudi, un pilote a largué une bombe beaucoup plus intelligente, une JDAM[1].

Il s’est avéré que même l’homme recherché nommé par un porte-parole de l’armée était un produit de son imagination. Les seules personnes qui se trouvaient là étaient des femmes, des enfants et des hommes innocents qui dormaient dans l’angoisse de la nuit de Gaza. Dans les deux cas, les Forces de Défense Israéliennes ont eu recours au même mensonge : Nous pensions que le bâtiment était vide. « l’IDF essaie toujours de comprendre ce que faisait là cette famille » a été la réponse éhontée, glaçante par son côté laconique, qui suggérait que c’était la famille qui était à blâmer. En effet, que faisaient-ils là, Wasim de 13 ans,  Mohand de 12 ans, et les deux bébés dont les noms n’ont pas encore été annoncés. 

Le jour suivant le meurtre de Sehada et de 15 voisins, et après que l’IDF ait continué à prétendre que leurs maisons étaient « des masures inoccupées », je suis allé sur le lieu du bombardement, dans le quartier de Daraj dans la ville de Gaza. Pas de masures mais des immeubles d’habitation de quelques étages, tous très densément peuplés, comme chaque maison de Gaza. 

Mohammed Matar, qui avait travaillé 30 ans en Israël, était étendu au sol, prostré, des pansements sur les bras et les yeux, au milieu des ruines, à côté d’un énorme cratère creusé par l’explosion. Sa fille, sa belle-fille et quatre de ses petits enfants sont morts dans l’explosion ; trois de ses enfants ont été blessés. « Pourquoi nous ont-ils fait ça » ? m’a-t-il demandé, en état de choc. À l’époque, 27 des plus courageux pilotes de l’armée de l’air ont signé ce qu’on a appelé la lettre des pilotes, par laquelle ils ont refusé de participer à des opérations en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cette fois-ci, pas un seul pilote n’a refusé de participer et on peut douter qu’aucun ne le fasse à l’avenir. 

« Des êtres humains, ce sont des êtres humains. Il y a eu une bataille ici – des infirmier.ère.s et des médecins contre la mort » a écrit le courageux médecin norvégien, le Dr. Mads Gilbert, qui se précipite pour aider des habitants de la bande de Gaza chaque fois qu’elle est bombardée et qui traite les blessés avec un infini dévouement. Gilbert a épinglé une photo du théâtre des opérations dans l’hôpital Shifa de la ville de Gaza : du sang sur la table, du sang au sol, la literie imprégnée de sang partout. Mardi le sang de la famille Asoarka y a été ajouté, dans un cri aujourd’hui vers des oreilles qui n’écouteront pas.  

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Haaretz


[1] JDAM : Joint Direct Attack Munition, une bombe guidée par GPS qui a trois fois plus de portée qu’une bombe ordinaire

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