Gaza est une prison à ciel ouvert. Alors que l’épidémie de Covid-19 s’étend, il est temps de lever le siège

Par Tarek Loubani, 15 avril 2020

L’artiste palestinien Samah Saed décore un masque dans le quartier Shijaiyah de Gaza le 2 avril (Adel Hana/AP)

Tarek Loubani est un médecin urgentiste, maître de conférences à l’université de Western Ontario et fondateur du Projet Glia, qui offre des fournitures médicales aux endroits défavorisés.

Alors que les professionnels de santé du monde entier luttent pour gérer la pandémie de COVID-19, les médecins et les infirmiers de Gaza sont confrontés à des défis plus effrayants à cause du siège mené par Israël et imposé il y a plus d’une décennie sur le territoire côtier surpeuplé. La confirmation récente des premiers cas de Covid-19 à Gaza devrait inciter à une action immédiate pour lever le siège et s’assurer que les travailleurs médicaux aient les fournitures et l’équipement dont ils ont un besoin désespéré.

Depuis que j’ai quitté Gaza il y a quelques semaines, il y a eu 13 cas confirmés de Covid-19 à Gaza, près de 300 cas confirmés et deux morts en Cisjordanie. Gaza est l’un des endroits les plus densément peuplés sur terre et les mauvaises conditions de ses camps de réfugiés et de ses villes signifient que le nouveau coronavirus pourrait s’étendre rapidement et de manière dévastatrice.

Le système de soins de Gaza a été depuis longtemps au-delà de son point de rupture. Le mois dernier, le directeur du bureau de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Gaza a averti que l’infrastructure de santé du territoire ne serait pas capable de gérer des centaines ou des milliers de cas de Covid-19, et encore moins des dizaines ou des centaines de milliers de cas.

Les médecins et les infirmiers de Gaza ont toujours fait un travail héroïque dans des conditions terribles. Mais comment préparez-vous à une pandémie un endroit comme Gaza ? A London dans la région de l’Ontario, où je travaille, nous manquons de masques N95 (FPP3). A Gaza, il manque de masques, de gants et de médicaments. Il n’y a pas assez de personnel spécialisé dans les unités de soins intensifs et le niveau des tests de dépistage du Covid-19 est dangereusement bas à Gaza.

Selon l’OMS, il y a seulement 87 respirateurs à Gaza pour une population de 2 millions. J’ai vu beaucoup de ces appareils : beaucoup ne sont déjà pas en bon état de fonctionnement quand tout va bien et la plupart sont déjà utilisés. Dans des conditions d’urgence, le nombre de lits en soins intensifs peut être augmenté des 40 déjà existants à seulement 100 au mieux. Un facteur limitatif majeur est que, à cause du manque d’électricité, les hôpitaux doivent se fier à des générateurs, ce qui veut dire que les machines de survie ne peuvent fonctionner de manière fiable.

Ajoutez à cela un manque d’eau propre pour que les gens se lavent les mains, un système de traitement des eaux usées paralysé à cause du manque d’électricité, une pauvreté étendue et l’incapacité de beaucoup de Palestiniens de respecter la distanciation sociale dans des camps de réfugiés densément remplis ou de partir, à cause du siège, et vous avez la recette pour un désastre.

Les Nations Unies ont constaté que les articles nécessaires de la manière la plus urgente à Gaza maintenant sont « des kits d’équipement de protection personnelle (PPE) et d’autres fournitures essentielles pour la prévention et le contrôle de l’infection ; des équipements, des articles à usage unique et des médicaments pour le traitement des détresses respiratoires ; des ventilateurs, des appareils de surveillance cardiaque, des chariots d’urgence, et des appareils à rayons X mobiles ; ainsi que l’équipement pour effectuer des tests de dépistage du COVID-19 ». Les habitants de Gaza sont débrouillards et inventifs, les usines de vêtements transformant leur production pour fabriquer des masques et des blouses chirurgicales. Mais leur ingéniosité a des limites, particulièrement sous le siège et l’occupation.

Pourquoi les Américains devraient-ils se soucier du sort des Palestiniens de Gaza ? Depuis qu’il a été investi, le Président Trump a ajusté étroitement les politiques de son administration à celles du gouvernement israélien et en 2018, il a sabré presque toute l’aide aux Palestiniens, y compris la subvention à l’agence des Nations Unies responsable pour le bien-être des réfugiés palestiniens. A la fin du mois dernier, un groupe de sénateurs démocrates a envoyé une lettre au Secrétaire d’état Mike Pompeo l’exhortant à s’assurer que les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza reçoivent toute l’aide dont ils ont besoin pour combattre la pandémie. La lettre notait les précédentes coupes des subventions et le fait que les professionnels de santé de Gaza étaient confrontés à des conditions dramatiques, y compris un manque d’un tiers des médicaments essentiels.

Gaza est une prison à ciel ouvert. Nous devons ouvrir les grilles pour que ses résidents puissent survivre à la pandémie qui arrive. Le siège a été condamné comme illégal par les experts de l’ONU et les groupes de défense des droits humains parce qu’il équivaut à la punition collective d’une population entière.

Si les autorités israéliennes n’agissent pas immédiatement pour lever le siège et pour permettre l’entrée de fournitures médicales et autres, le virus ne ravagera pas seulement Gaza, mais Israël et d’autres pays de la région également. Après tout, les virus ne respectent pas les checkpoints, ni les frontières nationales. Comment pouvez-vous éteindre un feu quand on jette de l’essence dessus d’un côté ?

Israël doit lever immédiatement ses restrictions sur l’entrée à Gaza des fournitures et de l’équipement médicaux et s’assurer que les médecins et les infirmiers palestiniens aient les ressources dont ils ont besoin pour garantir la santé et la sécurité de leurs patients. Il devrait aussi lever les restrictions de déplacement pour que les Palestiniens de Gaza qui sont malades puissent partir afin de recevoir un traitement ailleurs. En tant que puissance occupante, Israël est responsable du bien-être de la population de Gaza. S’ils ne peuvent pas garantir cela, ils devraient s’écarter pour permettre aux médecins, aux infirmiers et aux autres travailleurs de santé palestiniens de sauvegarder la santé de leur peuple.

A court et à long terme, lever le siège sert au mieux les intérêts de chacun.

Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Source : The Washington Post

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