Utiliser la « vision » de Trump pour se libérer des cadres du passé

Par Yara Hawari, le 21 mai 2020

Beaucoup d’idées politiques mainstream sur l’avenir de la Palestine sont d’abord tournées vers le contrôle des Palestiniens natifs et vers la sécurité de l’État colonial israélien. La plus récente manifestation en a été la « Vision pour la Paix, la Prospérité et pour un Meilleur Avenir pour Israël et pour le Peuple Palestinien » de l’administration Trump. Cette « vision » a proposé rien moins qu’une capitulation dans laquelle les Palestiniens de Cisjordanie seraient encagés dans une série de bantoustans et où la bande de Gaza resterait une enclave assiégée tandis que les droits des Palestiniens en exil, dont ceux des réfugiés, seraient abandonnés.

La vision de Trump – dictée de fait par la droite israélienne – ne rompt pas radicalement avec ce qui avait été précédemment présenté aux Palestiniens comme des avenirs possibles. Elle est plutôt conforme à une tradition de propositions de paix  des décennies passées dans lesquelles l’avenir des Palestiniens n’est pas fondé  sur les droits fondamentaux et où les aspirations des Palestiniens à la souveraineté sont méprisées. Certains avancent que la vision de Trump est plus candide que celle des efforts de paix antérieurs en ce qu’il décrit ouvertement ce que les USA et Israël considèrent comme une forme acceptable d’État palestinien : la carte proposée dans le document de cette vision reflète exactement la réalité géopolitique du terrain.

La direction palestinienne a eu une réponse faible, continuant à adhérer à une ligne politique qui a conduit le peuple palestinien au point le plus vulnérable de son histoire depuis 1948. De plus, les dirigeant palestiniens ont mal placé leurs espoirs dans des acteurs qui ont démontré au cours de plusieurs décennies qu’ils n’ont pas la volonté politique d’assurer le respect des droits, comme l’Union Européenne et ses États membres. Ils ont aussi maintenu des dialogues impopulaires et non stratégiques tel le « comité de communication » validé par l’OLP, qui s’est réuni avec des politiciens israéliens du parti du travail israélien (Meretz) à Tel Aviv en février 2020. La dernière déclaration d’Abbas annonçant l’annulation de tous les accords avec Israël et l’Amérique s’inscrit dans la suite de déclarations et menaces semblables qui ne représentent pas grand chose. Jusqu’à quel point celle-ci sera menée, reste à voir.

En dépit de ces obstacles, les Palestiniens peuvent s’appuyer sur la « vision » de Trump pour se libérer des cadres politiques qui ont limité leurs droits et libertés depuis si longtemps. Il y a de nombreuses façons de contrer le désastre imminent de davantage d’annexion et de dépossession de la part d’Israël et de le transformer en opportunités. En voici juste trois.

  •  Pour beaucoup de Palestiniens l’illusion que des négociations satisferaient les droits des Palestiniens a été ébranlée dans les années qui ont suivi les Accords d’Oslo, quand il devint clair que l’accord conduirait à une capitulation palestinienne. Pour la plupart du reste du monde, cependant, l’illusion commence seulement à être ébranlée. Comprendre cette réalité est un élément-clef si des tierces parties veulent sincèrement garantir les droits des Palestiniens. Il est aussi important d’avancer sur une approche fondée en priorité sur les droits, c’est à dire une approche qui reconnaisse le déséquilibre de pouvoir intrinsèque entre Palestiniens et Israéliens et qui cherche à ce que les droits fondamentaux des Palestiniens soient atteints avant de mener des négociations politiques. Pousser des tierces parties dans cette direction demandera des efforts concentrés et stratégiques de la part de la société civile palestinienne et du mouvement de solidarité avec la Palestine pour éduquer et tenir les tierces parties responsables, particulièrement en Europe, vu que par le passé ils ont bien voulu laisser les USA diriger le soi-disant « processus de paix ».
  • La tiédeur de la réponse globale à la vision de Trump, malgré la façon dont il néglige le droit international, démontre les limites du régime juridique international pour la protection des Palestiniens du colonialisme agressif d’Israël. Les enthousiastes du droit international devraient en prendre bonne note : il est impératif que les Palestiniens considèrent le droit international uniquement comme un outil dans une stratégie plus large de résistance et déploient de l’énergie sur d’autres outils, comme les boycotts, la reconstruction de réseaux communautaires  et le renforcement de la solidarité avec d’autres luttes.
  • La réalité exposée ci-dessus signifie que les Palestiniens doivent revoir leur programme politique et leur stratégie. Pour ce faire, ils ont besoin d’une direction responsable, légitime et représentative qui puisse proposer une vision future construite sur la base d’un large consensus parmi les Palestiniens. En l’absence de souveraineté et d’autonomie, il est nécessaire d’envisager des voies  alternatives dans lesquelles cette représentation et ce consensus peuvent être réalisés en dehors des limites structurelles actuelles. L’histoire palestinienne nous apporte, certes, de riches exemples où la légitimité révolutionnaire et la démocratie peuvent être pratiquées en dehors des limites actuelles, y compris celles imposés par des donateurs étrangers. Le grand soulèvement palestinien de 1936-39 contre le régime britannique, le succès de l’OLP à promouvoir un narratif palestinien face à un occident hostile de 1968 à 1988 et les comités et groupes révolutionnaires de la Première Intifada (soulèvement) ne sont que trois exemples mais ils apportent tant d’enseignements.

Yara Hawari est chargée de mission politique en chef de Al-Shabaka : le réseau politique palestinien. Elle a obtenu un doctorat en politique moyen orientale de l’Université d’Exeter où elle a enseigné plusieurs cours et dont elle continue à être chercheure associée honoraire.

Traduction : SF pour l’Agence Média Palestine

Source : Al-Shabaka

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