Pourquoi les Palestiniens doivent reconquérir l’OLP

Une fresque sur le mur de séparation controversé entre Jérusalem et Ramallah représente Yasser Arafat, l’ancien président de l’Organisation de Libération de la Palestine en 2017.  AHMAD GHARABLI / GETTY IMAGES
L’Autorité palestinienne a échoué à faire advenir la démocratie ou la souveraineté pour le peuple palestinien. Il est temps qu’une nouvelle génération de dirigeants assure une gouvernance responsable et la liberté.

Par Marwa Fatafta et Alaa Tartir, le 20 août 2020

La pandémie de COVID-19 et les projets du gouvernement israélien de pousser plus loin l’annexion des territoires palestiniens occupés ont montré aux dirigeants palestiniens – une fois de plus – ce que signifie gouverner sans souveraineté. L’accord récemment annoncé entre Israël et les Émirats Arabes Unis est une nouvelle preuve de l’incapacité des dirigeants à influencer les événements qui façonnent le sort du peuple palestinien.

Ces récents développements soulignent l’échec du projet d’État de l’Autorité palestinienne (A.P.) et, avec lui, le paradigme de la solution à deux États. Les projets d’annexion d’Israël – qui sont toujours sur la table, selon le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu – laisseraient des enclaves fragmentées de Cisjordanie sous le contrôle nominal de l’A.P., le contrôle ultime étant exercé par Israël, comme c’est le cas depuis le début de l’occupation de 1967.

Parallèlement, le Hamas gouvernerait la Bande de Gaza dans les limites étroites du siège israélien qui lui a été imposé en 2007 et qui est soutenu par l’Égypte. Ces perspectives ne sont ni ce que la direction de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) envisageait lorsqu’elle a signé les accords d’Oslo avec Israël en 1993, ni ce que la communauté internationale entendait encadrer lorsqu’elle accepta de soutenir les efforts de paix dans la région.

L’Autorité palestinienne, initialement établie en tant que gouvernement intérimaire, a été, dès le départ, incapable de défendre son territoire et sa population contre le projet colonial israélien expansionniste et de gérer une entité économiquement viable, capable d’assurer une vie digne aux Palestiniens, en particulier en temps de crise grave.

L’économie palestinienne est toujours dépendante de l’aide étrangère ainsi que de l’économie israélienne et des dispositions préjudiciables mises en place dans le cadre des accords d’Oslo. Parmi celles-ci figure le protocole de 1994 sur les relations économiques, qui a formalisé les relations économiques israélo-palestiniennes au sein d’une union douanière biaisée qui favorise le renforcement de l’économie israélienne et laisse aux Palestiniens un espace limité pour développer leur indépendance et leur autonomie économiques.

L’approche de bonne gouvernance tant vantée, adoptée par l’A.P. au cours des dernières décennies, a eu pour conséquence, ironiquement, l’augmentation des tendances autoritaires et des structures de répression, plutôt qu’un processus de démocratisation et de responsabilisation. Le schisme politique entre le Fatah et le Hamas, qui remonte à 2007, a fait que l’A.P. dirigée par le Fatah a concentré son pouvoir sur la Cisjordanie, tandis que les donateurs internationaux ont investi massivement dans le renforcement de l’appareil de sécurité de l’A.P. Aujourd’hui, les structures de gouvernance des Palestiniens sont faibles et non démocratiques à tous les niveaux.

Les factions de la résistance palestinienne qui ont pris le contrôle de l’OLP à la fin des années 1960 ont réussi à unir les communautés palestiniennes dispersées dans les camps de réfugiés et la diaspora, dans l’objectif commun de libérer la Palestine. L’OLP a abrité de nombreuses factions politiques palestiniennes, dont le Fatah (son membre le plus nombreux), le Front populaire de libération de la Palestine et le Front démocratique de libération de la Palestine, parmi beaucoup d’autres. Elle a aussi inclus des syndicats de travailleurs, d’écrivains, d’étudiants et de femmes, entre autres, tout en excluant les groupes islamistes.

La création de l’A.P. a éviscéré l’OLP sur le plan politique, par le transfert du pouvoir décisionnel à l’A.P. Parallèlement, l’afflux d’aide étrangère a assuré à l’A.P. la place de représentant palestinien de facto dans les relations avec Israël et dans le soi-disant processus de paix.

Pourtant, malgré sa faiblesse, l’A.P. a réussi à dominer l’OLP et à affaiblir son rôle de représentant unique du peuple palestinien, reconnu par les Nations Unies et la Ligue arabe en 1974, et de fer de lance du mouvement de libération nationale palestinien. Cela doit changer – et la première étape est de replacer le centre de gravité sur l’OLP.

L’absence de souveraineté de l’A.P. l’a conduite à dépendre totalement de la volonté financière et politique de la communauté internationale pour sa survie, et par conséquent à perdre l’indépendance de la décision politique. La décision de la communauté internationale de suspendre le financement de l’A.P. après la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006 est, en effet, un exemple manifeste de l’incapacité de l’A.P. à défendre les choix démocratiques des Palestiniens, même s’ils sont issus d’élections libres et équitables. Ce qui empêche l’A.P. de se dissoudre, c’est le soutien international dont elle bénéficie : Si l’A.P. s’effondre, sa coordination sécuritaire avec Israël s’effondrera également, ce que la communauté internationale préfère éviter.

Mais après presque trois décennies d’existence, l’A.P. n’a pas amené le peuple palestinien plus près de la réalisation de son droit inaliénable à l’autodétermination. Il est grand temps de déclarer l’A.P. et ses structures obsolètes : elle est tout simplement inadaptée aux générations palestiniennes actuelles et futures qui recherchent avant tout l’égalité, la justice et la liberté.

Les Palestiniens sont confrontés, une fois de plus, à la tâche difficile de ré imaginer leur avenir et de tracer leur chemin vers la justice et la liberté. Repenser fondamentalement le cadre existant et dominant signifie remettre en question l’utilité institutionnelle de l’A.P. et son rôle dans la lutte des Palestiniens pour l’autodétermination. Les Palestiniens pourraient être mieux servis en faisant revivre, en réformant et en revendiquant une institution potentiellement plus représentative et plus inclusive : l’OLP.

Au cours de l’année dernière, une douzaine d’analystes politiques palestiniens de Al-Shabaka ont cherché à aborder les questions épineuses auxquelles le peuple palestinien, en particulier les jeunes, exige des réponses. Citons notamment les questions suivantes : Comment l’OLP peut-elle maintenir sa responsabilité en tant que mouvement de libération nationale et organe de direction ? Comment le Hamas et le mouvement du Jihad islamique peuvent-ils être intégrés dans les structures de l’OLP après des décennies d’exclusion ? Et quels modèles de leadership de la jeunesse palestinienne peuvent être développés pour l’ère à venir ? Les messages clés du rapport « Reclaiming the PLO, Engaging the Youth »  (Reconquérir l’OLP, Engager la Jeunesse) disponible ici – sont que l’inclusion, la responsabilité et le leadership des jeunes sont importants.

Reconstituer l’OLP impliquerait d’intégrer le Hamas et le mouvement du Djihad islamique. Une OLP sans ces deux grandes factions réduit ses prétentions à être représentative de tous les Palestiniens et érode sa légitimité. Une représentation symbolique n’est pas suffisante : Leur inclusion doit faire partie intégrante d’un dialogue national qui repense le programme politique palestinien et, surtout, revoie ses modèles de leadership et ses styles de gouvernance.

Israël a souvent exploité les actions du Hamas et du mouvement du Jihad islamique pour se soustraire à ses engagements au titre des accords de paix d’Oslo et pour justifier sa violence contre le peuple palestinien. Israël a cependant lui-même conclu à plusieurs reprises des accords avec le Hamas – que ce dernier a respectés – et qu’il a fait respecter par d’autres factions à l’intérieur de Gaza. De plus, l’occupation militaire d’Israël et l’expansion des colonies illégales, malgré le contrôle du Fatah sur la Cisjordanie, sont une réfutation du mythe selon lequel le Hamas est le principal obstacle à la paix.

La reconstitution de l’OLP nécessitera la recherche d’un consensus significatif, ce qui est crucial pour un mouvement de libération nationale. N’étant pas un gouvernement, il doit rendre des comptes au peuple qu’il représente en le consultant et en parvenant à un consensus plutôt qu’en organisant des élections.

Il importe aussi de rendre des comptes pour sortir du marasme actuel. Non seulement les dirigeants politiques actuels des Palestiniens au sein de l’OLP et de l’A.P. ont évolué en une élite égoïste, largement déconnectée de ceux qu’elle prétend représenter, mais il en va de même, dans une large mesure, pour le Hamas à Gaza depuis 2007.

L’écart est flagrant : peu de Palestiniens – qu’ils vivent dans les territoires palestiniens occupés ou en diaspora – ont eu leur mot à dire dans les décisions politiques prises en leur nom. Alors que les sondages d’opinion montrent, année après année, que la majorité des Palestiniens dans les territoires occupés sont déçus de la direction palestinienne, soit l’A.P. et les factions politiques palestiniennes, les Palestiniens ne disposent d’aucun mécanisme politique pour changer leurs dirigeants, et encore moins pour reconstruire leur système politique.

En l’état actuel, il ne peut y avoir de discussion sérieuse sur la réforme de la direction palestinienne sans que le peuple palestinien ait partout son mot à dire dans le processus de prise de décision, dans la correction de la stratégie et dans la responsabilisation de ses dirigeants politiques. Une OLP réformée doit avant tout répondre au peuple palestinien.

Il est impératif de faire appel à la nouvelle génération de dirigeants palestiniens. Pour autant, le terrain de jeu politique palestinien est actuellement parsemé d’obstacles structurels à l’émergence de jeunes dirigeants palestiniens engagés dans la lutte palestinienne pour la justice et la liberté. De l’obsession des donateurs internationaux à cultiver les technocrates palestiniens, qui sont étrangers aux réalités vécues par les Palestiniens sous occupation et dans la diaspora, à la protection des élites dirigeantes et à la suppression violente des voix qui pourraient remettre en cause le statu quo, les jeunes dirigeants palestiniens sont affaiblis à tous les coups.

Les Palestiniens peuvent tirer des leçons de leur propre histoire pour trouver des modèles de leadership, y compris les débuts de l’OLP elle-même, où les Palestiniens ont formé une direction collective basée sur le consensus et ont réussi à mobiliser et à faire participer les Palestiniens à la base.

Si la direction actuelle de l’A.P. a rejeté à juste titre le plan de paix du président américain Donald Trump, elle continue de s’accrocher à un programme politique qui a laissé tomber le peuple palestinien, en continuant à placer ses espoirs dans des acteurs, tels que les États-Unis et l’Union européenne, qui ont démontré pendant des décennies qu’ils n’avaient pas la volonté politique de faire respecter les droits des Palestiniens. Il est impossible, dans ce chaos, de construire un nouvel organe palestinien représentatif doté d’un programme politique efficace.

Même si l’OLP est dans un état de demi sommeil, elle reste l’organe le plus proche des communautés palestiniennes dans le pays et dans la diaspora. La seule façon de sortir de l’impasse politique actuelle est que les Palestiniens revivent et construisent leurs réseaux de base chez eux, dans les camps de réfugiés et dans la diaspora à partir de la base.

Une nouvelle génération de dirigeants palestiniens doit reconquérir l’OLP comme le seul toit sous lequel le peuple palestinien peut se réunir, s’organiser, élire ses représentants, recréer un récit national unifié, et débattre et décider d’un programme politique qui permettra de réaliser au mieux les droits du peuple palestinien à l’autodétermination, à la liberté et à la justice.

Marwa Fatafta est analyste politique chez Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network. Twitter : @marwasf

Alaa Tartir est conseiller de programme à Al-Shabaka, Le réseau palestinien d’analyse politique ; chercheur à l’Institut Universitaire des Hautes Études Internationales et du Développement DE Genève et boursier international à l’Institut de Recherche sur la Paix d’Oslo. Twitter : @alaatartir 

Traduction : SF pour l’Agence Média Palestine

Source : Foreign Policy

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