Les progressistes continueront à se battre pour la Palestine – avec ou sans Biden

Par Edo Konrad, le 10 Novembre 2020

Plutôt que de nourrir des espoirs dans une Maison Blanche amarrée à des politiques passées, les militants pour la palestine devraient continuer à soutenir le mouvement à partir de la base.

Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avec le vice-président américain Joe Biden, lors de la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos le 21 janvier 2016. (Haim Zach/GPO)

Le 23 juillet 1986, Joe Biden, alors sénateur américain au sein de la commission des relations étrangères, a publiquement affronté l’administration Reagan pour ses relations avec le gouvernement d’apartheid en Afrique du Sud. Alors qu’une grande partie de la communauté internationale avait pris des mesures pour sanctionner le régime raciste, le président Reagan et son secrétaire d’État George P. Shultz ont plutôt encouragé une politique d' »engagement constructif » avec Pretoria.

Une vidéo1 désormais célèbre montre le sénateur du Delaware s’en prendre à Shultz lors d’une audition de la commission pour s’être opposé au renouvellement des sanctions, malgré un mouvement mondial de boycott initié par les Sud-Africains noirs eux-mêmes. « Ils ont tout essayé ces 20 dernières années. Ils ont supplié, ils ont consulté, ils ont rampé. Maintenant, ils prennent les armes », s’exclame Biden. « Quel est notre calendrier ? Que disons-nous à ce régime répugnant ? Nous disons que vous avez 20 jours ? Vingt mois ? Vingt ans ? »

En regardant cette vidéo emblématique maintenant, il est stupéfiant de voir la dissonance entre la défense passionnée de Biden de la résistance sud-africaine – y compris la résistance violente – et son rejet et même son obstruction à la lutte palestinienne. Biden, qui abhorrait le fait que Shultz dorlote le régime d’apartheid, insistera avec véhémence, près de 30 ans plus tard, pour qu’il n’y ait « pas de distance » entre les États-Unis et Israël, malgré l’appareil oppressif étrangement similaire de ce dernier.

Les quatre dernières années ont été une aubaine pour le « régime répugnant » d’Israël, qui a maintenant dépassé de près de trois décennies celui de l’Afrique du Sud. Depuis son entrée en fonction, la Maison Blanche de Donald Trump a mené une guerre d’usure brutale contre les Palestiniens et leurs partisans. Du soutien inconditionnel aux rêves annexionnistes de la droite israélienne à l’étouffement des fonds essentiels pour les réfugiés palestiniens, en passant par la déformation de la définition de l’antisémitisme afin de faire taire les critiques d’Israël, l’assaut n’a été rien de moins qu’implacable.

Le président élu Joe Biden pourrait faire obstacle aux aspects les plus flagrants de la guerre de Trump contre la Palestine – mais il y a très peu de choses qui laissent penser qu’il va changer de cap. Cela ne devrait pas être une surprise. Comme Peter Beinart l’a rapporté plus tôt cette année dans Jewish Currents, alors que l’administration Obama envisageait de faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à l’expansion des colonies, le vice-président a fait « davantage que tout autre membre du cabinet pour protéger Nétanyahou » des mesures qui auraient pu maintenir un État palestinien en vie.

L’équipe politique de Biden semble peu susceptible de sortir de ce moule. La vice-présidente élue Kamala Harris a fait des apparitions à la conférence nationale de l’AIPAC, et a même coparrainé un projet de loi du Sénat condamnant la décision d’Obama de s’abstenir, plutôt que de mettre son veto, à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU critiquant les colonies israéliennes. Selon un article du New York Times, l’équipe de politique étrangère de Biden pourrait bien finir par être une réplique de l’équipe d’Obama, qui n’a pas réussi à progresser dans ses efforts de médiation.

Un moment de réflexion

Au-delà de quelques revirements fondamentaux des décisions de Trump, nous ne devrions pas nous attendre à ce que Biden dépense beaucoup de capital politique sur Israël-Palestine. Il s’agira probablement de revenir sur l’accord nucléaire iranien négocié par Obama, de renouveler le financement de l’UNRWA et de rouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est, qui a fusionné avec l’ambassade d’Israël après son déménagement à Jérusalem en mai 2018. Les accords de normalisation conclus sous l’égide de Trump, avec les monarchies arabes répressives, resteront probablement en place, mais il n’est pas certain que Biden encourage de tels accords à l’avenir.

Cela ne signifie pas que le changement d’administration n’aura pas d’effets positifs. Malgré ce que Netanyahu affirme publiquement, la victoire de Biden a déjà un effet psychologique sur la droite israélienne, qui considérait le mandat de Trump comme un signe que les vents de l’histoire soufflaient derrière leurs ambitions messianiques. À en juger par la campagne électorale, il est peu probable qu’une administration démocrate respecte le soi-disant « pacte du siècle » de Trump, concocté avec les dirigeants israéliens pour donner le feu vert à l’expansion coloniale. Sous Biden, l’annexion formelle de grandes parties de la Cisjordanie sera exclue, au moins pour un certain temps.

La perspective d’un retour à une politique étrangère à la Obama ne signifie donc pas grand chose pour mettre fin à 53 ans de dictature militaire sur les territoires occupés. Mais pour les militants des droits des Palestiniens aux États-Unis, le refus du carnage de Trump est aussi un moment de véritable réflexion sur la voie à suivre.

La députée Ilhan Omar danse sur la scène d’un rallye de Bernie Sanders à St. Paul, Minnesota, le 2 mars 2020. (Lorie Shaull/CC BY-SA 2.0)

Ils n’ont pas besoin de regarder bien loin pour trouver des signes d’espoir. Au cours de leurs campagnes primaires, Bernie Sanders, Elizabeth Warren et Pete Buttigieg ont tous évoqué l’idée de conditionner l’aide à Israël à sa politique. La réélection de femmes progressistes au Congrès, telles que Rashida Tlaib, Ilhan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez et Betty McCollum – qui s’expriment toutes courageusement et de manière importante sur les droits des Palestiniens – témoigne de la résonance de leurs opinions parmi leurs électeurs.

Biden peut essayer d’ignorer ces voix, y compris celles des mouvements populaires et des coalitions comme Black Lives Matter qui ont défendu la liberté des Palestiniens. Mais comme d’autres causes urgentes – dégradation du climat, soins de santé pour tous, droits des travailleurs – la Palestine ne disparaîtra pas de sitôt de l’ordre du jour de la gauche.

Construire un nouveau contrat social

La pression est maintenant sur les progressistes américains et les militants des droits des Palestiniens pour qu’ils utilisent l’ère Biden pour changer les termes de la discussion sur Israël-Palestine. En tirant les leçons des années Obama, le mouvement progressiste ne devrait pas gaspiller les quatre prochaines années à espérer une Maison Blanche amarrée à la politique d’antan ; il devrait plutôt consacrer son énergie à continuer de soutenir le mouvement des droits des Palestiniens à partir de la base.

Le président Barack Obama et le vice-président Joe Biden plaisantent avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas dans le bureau ovale, le 28 mai 2009. (Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza)

Cela signifie entre autres qu’il faut reconnaître que si l’annexion officielle est actuellement gelée, la voie à suivre ne passe pas par un retour aux anciennes solutions. Cela signifie qu’il faut continuer à appuyer les élus qui soutiennent les pressions exercées sur Israël. Cela signifie pousser les centristes et les sionistes libéraux à reconnaître que l’apartheid existe sur le terrain, indépendamment de l’annexion.

Cela signifie soutenir ceux qui se battent, comme Salem Barahmeh l’a écrit dans ces pages au début de l’année2, pour construire un nouveau contrat social entre le fleuve et la mer, où chacun peut être libre avec des droits égaux. Cela signifie continuer à ouvrir le débat public sur une série de solutions au conflit, y compris un État binational, une confédération israélo-palestinienne, un État démocratique unique ou une configuration différente de deux États.

Cela signifie qu’il faut faire pression sur les démocrates de gauche et les démocrates du centre pour qu’ils écoutent les voix palestiniennes, qui ont historiquement été presque entièrement absentes du discours public américain. Et, peut-être plus important encore, cela signifie soutenir les Palestiniens et les Israéliens sur le terrain qui luttent pour la justice dans une réalité de siège et de dictature militaire. Le Joe Biden de 1986 aurait été fier.

Edo Konrad est le rédacteur en chef du magazine +972. Basé à Tel-Aviv, il a auparavant travaillé comme rédacteur en chef pour Haaretz.

1 https://www.youtube.com/watch?v=0_v00iGJCLY

2 https://agencemediapalestine.fr/blog/2020/07/02/les-palestiniens-luttent-pour-demanteler-lapartheid-et-non-seulement-lannexion/

Source: +972 Magazine

Traduction Agence média Palestine

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