Critique de « Gaza mon amour » : à une attachante histoire d’amour de l’âge mûr se mêle une farce grivoise dans une sympathique sélection de la Palestine pour les Oscars

Par Guy Lodge, le 31 décembre

Le film d’Arab et Tarzan Nasser associe de façon attrayante Hiam Abbass et Salim Daw comme des cœurs solitaires sur le marché de Gaza, bien que la tendresse de l’histoire soit un peu fluide.

Photo: Film du Tambour

Le titre, « Gaza mon amour » fait écho de façon menaçante à ces courtes anthologies d’auteurs mièvres, (« Paris je t’aime », « New York, je t’aime »), où des âmes à la dérive trouvent l’amour dans les mêmes rues pittoresques de la ville. Heureusement, le long métrage entièrement indépendant de ces deux cinéastes palestiniens, frères jumeaux, Arab et Tarzan Nasser, n’a rien d’aussi superficiel et désinvolte, tout en étant empreint d’une fantaisie romantique aux accents internationaux. Mêlant une histoire d’amour de la petite quarantaine à une farce gentiment politisée, dans le contexte turbulent de la bande de Gaza, le film, hirsute d’agréable façon, ressemble un peu, en réalité, à un court métrage arachnéen étiré à la limite du point de rupture en moins de 90 minutes – juste soutenu par son sens de ce lieu aux vives couleurs, et par le charisme spontané des vedettes, Salim Daw et Hiam Abbass.

De tels charmes ont fait de « Gaza mon amour » un film très apprécié au Circuit Festival : il a obtenu des places à Venise et à Toronto à l’automne, avant d’être nommé candidat de la Palestine à l’Oscar du long métrage international. Quand même, le récit indolent et léger du film, son humeur farfelue, ne devraient pas en faire un grand film d’art et d’essai, même si son statut de coproduction internationale devrait lui garantir une vaste distribution en Europe. La redoutable Abbass, qui a récemment étendu son audience mondiale par des apparitions acidulées à la télévision dans « Succession » et « Ramy », représente le principal argument de vente pour ce film arabophone auprès d’un public anglophone, même si son rôle discret, et quelque peu mélancolique, n’est pas parmi les plus dynamiques.

C’est Daw, (vu récemment dans « Tel Aviv en feu », film à succès d’un même festival), avec son air de chien battu, qui s’amuse le plus ici : un rôle romantique inattendu qui conduit aussi les divertissements du film vers une comédie pince-sans-rire à la Kaurismäk. La barbe en bataille et d’un pas traînant, il incarne Issa, un célibataire dans la soixantaine qui gagne modestement sa vie comme pêcheur, parcourant les côtes de Gaza la nuit et vendant sa pêche sur les marchés locaux. Là, Siham (Abbass) lui fait tourner la tête, une veuve réservée, au visage solennel, qui travaille comme couturière dans un magasin voisin. Bien qu’il soit tacite et apparemment non réciproque, son engouement l’incite à informer sa sœur (Manal Awad), qui s’occupe de tout, qu’il a finalement l’intention de se marier ; elle lui répond en alignant toute une série non demandée d’épouses éligibles.

Une petite intrigue légèrement loufoque s’ensuit quand, une nuit, dans son bateau, il accroche quelque chose d’inattendu dans son filet, une grande statue d’Apollon, en bronze, de la Grèce antique, avec un pénis en forte érection qui se détache rapidement quand le reste du corps se renverse. Bien qu’il tente de garder caché son étonnant nouveau trésor dans sa garçonnière de célibataire, il ne faut pas longtemps pour que les autorités palestiniennes en aient vent, et qu’elles en revendiquent la propriété. S’en suit alors toute une série de raids de la police, d’interrogatoires et de détentions, qui sont décrits dans le mélange d’un humour blasé et d’une véritable alarme anti- pouvoir. Ce que vit Issa est présenté comme un avant-goût de la vie restreinte sous la direction du Hamas, mais sans jamais s’intensifier au point de perturber l’aspect généralement drôle du film.

Curieusement, cela ne s’inscrit pas non plus dans la construction détendue d’une relation entre Issa et Siham. Le fait que la veuve, très comme il faut, ne se laisse jamais entraînée dans ces intrigues grivoises semble être une opportunité comique qui manque dans le scénario informel des Nasser, et cela ne donne à Abbass – tout en étant radieuse comme toujours, en particulier quand elle cède aux charmes timides d’Issa – que trop peu à faire. En effet, sa vie intérieure est presque hermétiquement fermée au reste du récit, sauf à quelques scènes de colère avec sa grande fille Leila (Maisa Abd Elhadi), divorcée à la voix acerbe, qui, étant l’une des plus jeunes associées d’Issa, aspire à commencer une nouvelle vie en Europe.

Ce refrain agité, qui inspire l’évasion, se retrouve dans un portrait urbain marqué par la déchéance du temps, saisie par le photographe Christophe Graillot dans une palette utilitariste, jaunie, kakie et bleue chambray. Les réalisateurs, eux-mêmes natifs de Gaza, voient l’endroit avec une affection claire même si critique, et l’exploration sinueuse du film avec ses quais en ruine, ses marchés industrieux et ses appartements fonctionnels en boîtes d’allumettes – victimes d’habituelles coupures de courant – lui donnent une impulsion même quand le récit plane et serpente. On y voit plus du conflit que le titre extasiant ne le laisse entendre, même lorsque le véritable amour prévaut et que Puccini s’impose sur la bande sonore : « Gaza mon amour » est en partie une Saint-Valentin pour le territoire titulaire, c’est vrai, mais cela pourrait se transformer un une note à la Dear John, à tout moment.

Une critique en ligne, Londres, 29 décembre 2020 (Festivals de Venise, Toronto). Durée : 88 minutes

– Production : (Palestine-France-Allemagne-Portugal-Qatar) Présentation d’une production de Les Films du Tambour, Riva Filmproduktion, Ukbar Filmes production, en coproduction avec ZDFF/Das Kleine Fernsehspiel en collaboration avec Arte, Made in Palestine Project, Jordan Pioneers en association avec Versatile, Dulac Distribution, Alamode Film. (Ventes internationales : Versatile, Paris.) Producteurs : Rani Massalha, Marie Legrand, Michael Eckelt. Producteurs exécutifs : Julia Balaeskoul Nusseibeh, Johannes Jancke. Coproducteurs : Pandora de Cunha Telles, Pablo Iraola, Rashid Abdelhamid, Khaled Haddad.

– Équipe : Réalisateurs, scénario : Arab Nasser, Tarzan Nasser. Caméra : Christophe Graillot. Monteur : Véronique Lange. Musique : André Mathias.

– Avec : Salim Daw, Hiam Abbass, Maisa Abd Elhadi, George Iskandar, Manal Awad, Hitham Al Omari. (Dialogue en arabe)

– Musique par : André Matthias.

Source : Variety

Traduction : BP pour l’Agence média Palestine

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