Censure d’État et politique identitaire : ce qui pousse les cinéastes palestiniens à quitter Israël

Par Nirit Anderman, le 27 avril 2021

Les financements sont difficiles, les tribunaux s’en mêlent, l’État censure, les coproductions ont disparu et le monde arabe réagit avec méfiance. La réalité impossible à laquelle sont confrontés les réalisateurs palestiniens acclamés en Israël les oblige à partir.

Il y a trois mois, un tribunal de district israélien a décidé que le film documentaire controversé « Jenin, Jenin » ne pourrait plus jamais être diffusé dans le pays. Le juge a ordonné la confiscation de toutes les copies du film qui, selon lui, insinue que des soldats israéliens auraient commis des crimes de guerre à Jénine pendant l’opération « Bouclier défensif », et a condamné le réalisateur, Mohammed Bakri, à verser 175 000 shekels (44 600 euros) de dommages et intérêts à un soldat réserviste apparaissant dans le film et qui avait intenté un procès. En substance, le tribunal a déclaré que la narration du réalisateur palestino-israélien était fausse et que les Israéliens ne pouvait y entendre une autre version des faits.

Pour les cinéastes palestiniens, il s’agissait d’une nouvelle menace implicite de l’establishment israélien : adaptez-vous au récit que ce pays veut faire entendre, ou vos films seront interdits et vous serez condamnés à une amende.

Pour la plupart d’entre eux, cette décision n’a pas été une surprise. C’était peut-être la première fois qu’Israël interdisait un film racontant une histoire palestinienne, mais les obstacles auxquels sont confrontés les réalisateurs arabes en Israël ne cessent de s’élever. Lorsque l’establishment israélien censure, que la réalité politique dresse des obstacles et que le monde arabe érige ses propres empêchements, il n’est pas étonnant que de plus en plus de cinéastes reconnus fassent leurs valises et aillent réaliser leurs films ailleurs.

C’est un « transfert » volontaire, explique la scénariste et réalisatrice Suha Arraf. « Regardez autour de vous, il n’y a presque plus personne. Parmi les artistes [palestiniens] les plus anciens, il ne reste que moi et deux autres personnes ici. Tous les autres ont fui. Même ceux d’entre nous qui ont une carte d’identité israélienne ne s’adressent généralement plus aux fondations israéliennes pour obtenir des fonds, car la situation est impossible. Je ne peux pas monter sur les scènes du monde entier et représenter un pays qui ne me représente pas. »

Elle parle en connaissance de cause. En 2014, l’enfer s’est déchaîné lorsqu’elle a présenté son film « Villa Touma » comme un film palestinien alors qu’il avait été produit avec des fonds israéliens (la Fondation du film israélien, Mifal Hapayis et le ministère de l’Économie l’ont soutenu). Les politiques ont exigé qu’elle rende l’argent. Le ministère de la culture a infligé une amende à la Fondation du film israélien. Depuis, les fondations sont tenues d’insérer dans leurs contrats une clause obligeant les cinéastes à présenter leurs films comme israéliens. La Fondation Yehoshua Rabinovich pour les arts exige des artistes recevant un financement qu’ils signent un « engagement de loyauté » selon lequel leurs films ne dénigreront pas Israël.

Définir un « film palestinien » ?

Mais de nombreux cinéastes s’identifient à leur film, les cinéastes palestiniens ne peuvent tolérer de présenter leur travail uniquement comme israélien. Suha Arraf affirme que le film appartient au réalisateur, pas au bailleur de fonds. « Les fondations ne nous font aucune faveur. C’est de l’argent auquel nous avons droit selon la loi. C’est comme un tableau de Picasso qui n’est pas censé représenter le pays dans lequel il a été créé. C’est un tableau de Picasso », dit-elle.

Le réalisateur Ali Nassar, qui a été nommé deux fois à l’Ophir Award (équivalent israélien des Césars français) du meilleur réalisateur, pour ses films « La voie lactée » et « Au 9e mois », est d’accord. « Suha Arraf serait censée ignorer son identité palestinienne ? Elle serait en quelque sorte une menace pour Israël ? C’est une honte », dit-il. « Ce sont des racistes qui n’ont aucune pensée pour la coexistence ou la communication…. Qu’est-ce qu’un ‘film palestinien’ ? Il n’y a pas de films réalisés avec de l’argent palestinien, car il n’y a pas de fondation cinématographique palestinienne. Un film palestinien est donc une histoire palestinienne sur la culture palestinienne, réalisée par un cinéaste palestinien, quelle que soit l’origine du soutien financier. En tant que Palestinien vivant en Israël, j’ai le droit de recevoir un soutien, et mon film est un film palestinien. Oui, il est réalisé en Israël, mais il porte sur la culture palestinienne, et il ne devrait être une menace pour personne. »

Plusieurs causes sont à l’origine de la fuite des artistes palestiniens : l’anathème contre Suha Arraf ; le jugement contre Mohammed Bakri ; la « censure patriotique » encouragée par la ministre de la culture Miri Regev, championne du projet de loi sur la « loyauté dans la culture ». Certains restent mais évitent les financements israéliens. Les artistes débutants s’adressent toujours aux fondations cinématographiques israéliennes, mais après un premier film réussi (et les cinéastes palestiniens ne sont pas rares à remporter des prix dans les festivals de cinéma, car outre le talent, ils présentent souvent un point de vue complexe et intéressant), beaucoup vont exercer leur talent ailleurs.

Après cette expérience en 2014, Suha Arraf renonce aux financements israéliens. La talentueuse cinéaste, qui a déjà été nominée avec Eran Riklis pour un prix Ophir, pour le scénario de « La fiancée syrienne », et pour un oscar européen pour le scénario de « Lemon Tree », a choisi de lever des fonds à l’étranger pour son prochain film, afin que personne ne puisse exiger d’elle qu’elle le présente comme israélien.

Idem pour Maha Haj, dont le film « Personal Affairs » a été projeté au Festival de Cannes en 2016 et a remporté le prix du meilleur film au Festival du film de Haïfa. Maysaloun Hamoud, dont le film « In Between » (2016) a présenté une voix féministe audacieuse, a remporté deux Ophir Awards : son film a attiré près de 100 000 spectateurs dans les salles de cinéma en Israël, un record pour une cinéaste arabe.

La liste est longue. Scandar Copti, qui a coréalisé « Ajami » (2009) avec Yaron Shani, nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger, a déclenché un tollé lorsque, quelques jours après la cérémonie à Hollywood, il a déclaré qu’il ne représentait pas Israël (« Je ne peux pas représenter un pays qui ne me représente pas », a-t-il dit). Il enseigne désormais le cinéma sur le campus de la New York University d’Abou Dhabi et a récemment tourné un film dans cette ville, en renonçant au financement israélien.

Hany Abu-Assad, dont le film « Paradise Now » a été nommé aux Oscars et a remporté un Golden Globe, a également quitté Israël et partage désormais son temps entre les États-Unis et les Pays-Bas. Quant à Sameh Zoabi, il vit désormais à New York. Son film de 2018 « Tel Aviv on Fire », qui abordait le conflit israélo-palestinien sous un angle sarcastique, a été présenté à la prestigieuse Mostra de Venise. Kais Nashef a remporté le prix du meilleur acteur, et au Festival du film de Haïfa, le film a remporté le prix du meilleur film. Mais Sameh Zoabi a fait ses valises peu après et enseigne actuellement le cinéma à l’université de New York.

Cette fuite des talents a peut-être commencé avec le départ de deux artistes estimés, Elia Suleiman (« Chronique d’une disparition », « Le temps qui reste », « It must be heaven »…), qui vit en France depuis des années, et Michel Khleifi (« Noces en Galilée »…) qui a déménagé en Belgique. Mais ces dernières années, la fuite sporadique s’est transformée en un flux incessant.

« À l’époque, j’ai disais que je payais des impôts ici, et donc j’étais éligible (pour recevoir un financement pour mon film) comme n’importe qui d’autre. Mais il y avait tellement d’obstacles », explique Elia Suleiman, qui ne donne généralement pas d’interviews à la presse israélienne, mais qui a accepté de raconter ce qui s’est passé lorsqu’il a décidé de réaliser son premier film, « Chronique d’une disparition » (1996), avec le financement d’une fondation israélienne. Le financement israélien ne représentait que 20 % du budget du film, mais il a entraîné de nombreuses complications. « Ils m’ont causé d’énormes problèmes parce que je me présentais comme Palestinien, puis ils ont dit qu’en me qualifiant de Palestinien alors que je suis de Nazareth et que j’ai un passeport israélien, je niais essentiellement le droit à Israël d’exister. C’était une bataille affreuse et sans fin », ajoute-t-il.

Ensuite, l’ambassade d’Israël à Rome a transcrit tous les mots qu’il a prononcés devant les médias lors du Festival de Cannes et les a envoyés aux bailleurs de fonds, comme pour leur dire : « Regardez qui vous avez soutenu ». Et cela a continué : « Il y a eu un débat à la Knesset pour savoir si je devais être déclaré ennemi de l’État d’Israël. Ils ont même envoyé quelqu’un à la conférence de presse de Cannes pour me demander si je soutenais le terrorisme », poursuit Elia Suleiman. « Finalement, mon avocat leur a dit que s’ils continuaient à me harceler et à me menacer de me juger si je ne présentais pas le film comme israélien, j’organiserais une conférence de presse internationale et je dirais au monde entier qu’Israël menace de me faire un procès. Il était clair que cela aurait créé un scandale international, alors ils ont laissé tomber. » Elia Suleiman ne demande plus de financement aux fondations israéliennes.

Un outil de l’establishment

L’acteur Makram Khoury, lauréat du prix Israël pour le théâtre et de l’Ophir Award du meilleur acteur, a actuellement deux scénarios prêts pour des longs métrages qu’il rêve de produire. Il a soumis l’un d’eux aux fondations cinématographiques il y a quelques années, mais après l’épisode de la « Villa Touma » et l’obligation qui en a découlé de présenter chaque film soutenu par la fondation comme israélien, il a retiré sa demande. « Maintenant, je ne veux plus soumettre mon film à la fondation, je ne suis pas prêt à le faire pour une question de dignité humaine. Je ne suis pas prêt à signer une déclaration de loyauté, puis à aller représenter Israël dans le monde entier alors que je ne suis pas vraiment considéré comme un citoyen au sens propre du terme. On me considère comme un « invité » ici, et les gens oublient que je suis le véritable natif de cette terre depuis des générations. Le manque de respect, ou le manque de reconnaissance, est donc perturbant. Aujourd’hui, j’hésite à soumettre mes scénarios aux fondations, et j’imagine qu’il y a beaucoup d’autres personnes comme moi », dit-il.

Mais en fait, c’est sa propre position qu’il remet en cause, explique Makram Khoury : il faut se battre pour changer ces règles. « Je suis un citoyen, n’en déplaise à Regev et aux personnes comme elle, et je suis convaincu que la loi sur l’État-nation sera modifiée. Je paie des impôts, et c’est mon argent. Je mérite de le recevoir. Je suis donc confronté à un dilemme personnel : faire ou ne pas faire une demande de financement. D’un côté, l’argument correct et sain est que je suis un citoyen, et que si le scénario est bon, il devrait recevoir un financement des fondations. Si le film marche bien et est présenté dans des festivals, j’aurai un problème avec ce qu’il faut dire, mais je présenterai ma vérité », dit Makram Khoury. « D’un autre côté, il existe maintenant une dynamique pour les réalisateurs palestiniens israéliens – localement ou pour ceux qui vivent à l’étranger, et qui font des films indépendants. Donc, dans tous les cas, nous n’attendrons pas que le cinéma israélien fasse appel à nous. S’il ne veut pas de nous, tant mieux. Nous ferons nos films sans lui ».

Ali Nassar convient que les cinéastes palestiniens sont entre l’enclume et le marteau. « Les Israéliens ne veulent pas d’eux et les Arabes les remettent en cause, quoi qu’ils fassent. Dans tous les festivals auxquels j’ai participé dans le monde, des Arabes m’ont dit : ‘Votre film est excellent, mais pourquoi prenez-vous de l’argent d’une fondation israélienne ?’. Pendant des années, on m’a posé cette question, et j’ai répondu que je n’étais pas un collaborateur, que je recevais le soutien de la fondation du film parce que je payais des impôts, que je ne leur faisais pas de faveur, que c’était mon droit de recevoir cet argent. Je leur ai dit : « Vous ne voulez pas que je prenne l’argent d’Israël ? Alors créons une fondation cinématographique palestinienne avec l’argent du monde arabe et faisons des films. Mais je ne renoncerai pas à l’argent israélien parce que c’est mon droit plein et entier, c’est mon argent. »

L’intrigue se corse si un film est un succès international. Dans ce cas, l’establishment israélien exige son dû. Parfois, la demande est manifeste, comme lorsqu’on exige que le film soit présenté comme israélien, mais parfois elle est plus subtile. « Cela me dérange quand un film a du succès, que l’establishment israélien essaie de déformer la réalité », déclare un réalisateur palestinien parti à l’étranger et qui préfère rester anonyme. « Dans les ambassades [israéliennes], par exemple, ils font cela tout le temps. Ils essaient de montrer, en parlant de nos films, qu’Israël est un endroit démocratique et affirment : ‘Vous voyez, nous les laissons parler, ils font des films’. Donc, en ce qui me concerne, je crains que si nous recevons de l’argent des fondations, l’État finira par utiliser nos films à des fins de propagande. Si vous vous présentez comme un Palestinien, ils veulent vous effacer et vous présenter comme un Israélien. Et si votre film a du succès, ils veulent une partie de ce succès. »

Il semble facile, dit-il, de prendre position – de justifier le fait de prendre de l’argent de fondations israéliennes, ou de s’y opposer. Mais la réalité est plus complexe.

« Pourquoi certains demandent-ils aux cinéastes palestiniens de ne pas accepter l’argent ? Les étudiants arabes obtiennent des bourses, les membres arabes de la Knesset reçoivent des salaires, ma mère reçoit un soutien de l’Institut national d’assurance, et c’est correct. Mais pour nous, ça ne l’est pas ? Vous réalisez alors que les personnes qui nous demandent de renoncer au financement des fondations prétendent que si vous le faites, les Israéliens vous utilisent ensuite comme un « Arabe de compagnie », vous allez à des festivals et ils disent : « Cet Arabe, nous l’avons fait, et il est bon ». C’est donc compliqué. Même le mouvement BDS qui, au début, demandait de ne pas prendre l’argent des fondations, a changé de position. Maintenant, la question est de savoir comment vous présentez votre film. La question est de savoir comment naviguer là-dedans et ne pas devenir un outil de l’establishment israélien. »

Interdit dans le monde arabe

La question n’est pas anodine. Les cinéastes palestiniens qui réussissent découvrent rapidement qu’avec le succès viennent de grandes responsabilités. « En tant qu’artiste, vous devez savoir comment expliquer votre film, comment exprimer votre identité », explique le même réalisateur. « Croyez-moi, c’est beaucoup de travail, beaucoup plus que d’écrire un scénario. Un politicien peut changer d’avis tous les soirs mais il peut exiger des cinéastes une déclaration signée de loyauté envers l’État. »

Les Arabes représentent environ un cinquième de la population israélienne, mais selon les chiffres obtenus par Haaretz, entre 2014 et 2020, les cinéastes arabes ont obtenu 4,3 % du budget total investi dans le soutien aux films.

Les fondations cinématographiques sont en fait désireuses d’investir dans des films de Palestiniens, car pour la Commission du cinéma, qui fixe leurs budgets, cela est considéré comme un investissement dans la « périphérie », ce qui donne des points bonus aux fondations. Mais le nombre de cinéastes arabes qui soumettent des demandes de financement n’est pas très élevé.

La procédure actuelle est que toutes les demandes adressées aux fondations doivent être anonymes, mais entre les lignes, on peut généralement deviner si l’artiste est arabe, explique le producteur Baher Aghbariya (« Atash -Thirst »). « Je pense que les fondations veulent investir dans ces films, et je suis heureux qu’elles approuvent des projets en arabe », dit-il. Il soupçonne cependant l’existence d’une contrainte non écrite – « nous avons déjà donné de l’argent cette année à un film arabe, allons-nous en donner à un autre ? »

Dans son livre « Full-length Palestinian Film » (2019), Shadi Balan, rédacteur et présentateur culture et musique sur la radio arabophone Radio Makan, observe un renversement de tendance : si autrefois la plupart des créateurs palestiniens prenaient de l’argent des fondations, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les films palestiniens qui se sont distingués dans les festivals internationaux ont été réalisés par des réalisateurs qui n’ont même pas la nationalité israélienne : « Gaza mon amour » de Tarzan et Arab Nasser, qui a été projeté au festival de Venise et de Toronto ; « 200 mètres » d’Ameen Nayfeh de Ramallah, qui a été projeté à Venise, et « Entre ciel et terre » de Najwar Najjar de Jérusalem.

Il y a un autre hic à l’acceptation d’un financement israélien : un film ainsi financé ne sera pas projeté dans les festivals du monde arabe. En 2016, il semblait qu’il y aurait une petite faille dans cette disqualification systématique lorsque « Personal Matters » de Maha Haj a été accepté par le Festival international du film de Beyrouth, mais deux jours avant l’ouverture du festival, les services de sécurité libanais ont bloqué sa projection.

C’est difficile même sans le facteur financement. « Les artistes qui vivent ici et qui ont la nationalité israélienne n’ont aucune chance d’être acceptés dans les festivals du monde arabe », explique Shadi Balan. Parfois, ils se retrouvent même attaqués. « Holy Air », un film de Shady Srour, a été visé il y a deux ans par le mouvement BDS à Nazareth, au motif qu’il avait été projeté au Festival international du film de Seret (the Israeli Film and Television Festival), en Grande-Bretagne, et qu’il coopérait à ce titre avec des organismes sionistes liés à l’establishment israélien.

« Qui plus est, si nous parlons de productions israéliennes réalisées par des Palestiniens, notez que la plupart de ces films ne sont pas projetés en Israël, le public juif ne les voit pas », déclare Shadi Balan. « Dans mon livre, je recense 73 films réalisés ici depuis 1982, dont 12 seulement ont été projetés dans des salles de cinéma [locales]. « Si vous faites un film et que vous n’avez nulle part où le distribuer, c’est bien sûr quelque chose qui frustre beaucoup les artistes. »

L’accord irréel

Résumons – on serre les dents et on soumet son projet à un financeur potentiel, en hébreu. En sachant que tous les festivals du monde arabe vont vous boycotter. S’attendre à ce que son film soit présenté à l’étranger comme un film israélien (même si on le considère comme totalement palestinien). Il faut faire attention à ce que l’État ne vous recrute pas comme Arabe de service et n’utilise pas votre film comme outil de propagande. Et enfin, il faut admettre que le film n’aura pas beaucoup de spectateurs. C’est le marché alléchant qui attend les cinéastes palestiniens qui décident de demander un soutien financier à une fondation israélienne.

« Dès qu’il y a de l’argent israélien dans le projet, ça y est, le film devient israélien, même si l’ADN du cinéaste est palestinien », explique Maysaloun Hamoud. « Par exemple, ma nationalité est palestinienne mais sur ma carte d’identité, je suis israélienne. Cela crée une confusion qui m’empêche non seulement de collecter des fonds dans le monde arabe, mais aussi de nouer des collaborations avec des artistes du monde arabe, et c’est un problème parce que vous voulez opérer dans un environnement naturel ». L’artiste libanais qui a fait la musique de mon film, par exemple – son nom qui apparaît au générique était un pseudonyme, car s’il était démasqué, il irait en prison pendant 10 ans. »

Seule une minorité des cinéastes qui demandent un financement l’obtiennent, et pour les Palestiniens, dit Maysaloun Hamoud, la concurrence est encore plus rude. « Beaucoup de projets israéliens médiocres, en hébreu, sont réalisés, mais pour qu’un film palestinien se réalise, il doit être super brillant et toucher à quelque chose de très spécifique. »

Il existe une fondation cinématographique pour les colons (la Fondation Shomron, qui soutient les films des colons résidant en Cisjordanie) mais il n’y a rien d’équivalent pour les Palestiniens, souligne-t-elle. Et quand ils obtiennent des financements, c’est généralement à la plus petite échelle : « J’ai dû faire mon film avec un petit budget ».

Les cinéastes palestiniens qui ont un passeport étranger ont tendance à quitter Israël et à travailler à l’étranger, une solution sur laquelle Maysaloun Hamoud compte aussi. « Dès que vous n’êtes pas ici, lorsque vous obtenez la double nationalité quelque part, cela libère tout. Mon partenaire vient de recevoir un passeport portugais, et je peux aussi en obtenir un par son intermédiaire, et une fois que nous serons Européens, cela m’ouvrira un tout nouveau monde de collaborations potentielles. Lorsque cela se produit et que vous sortez de « l’israélité », vous vous retrouvez dans une situation totalement différente, en termes de budgets et de réseaux également. Nous avons donc l’intention de nous éloigner un peu de cet endroit qui devient de plus en plus mauvais ».

Les cinéastes palestiniens pourraient renoncer au financement israélien et trouver des fonds à l’étranger. Sur le papier, c’est très bien. Pour les réalisateurs ayant un passeport étranger, cela peut fonctionner, mais pour ceux qui ont une carte d’identité israélienne bleue, « c’est l’enfer. Si vous n’avez pas d’argent de chez vous, votre seule chance est de grappiller des fonds dans toutes sortes d’endroits et de renoncer à vos droits », explique le producteur Baher Aghbariya.

Pendant ce temps, les collaborations cinématographiques israélo-palestiniennes sont moins nombreuses, selon Shadi Balan. « À quand remonte la dernière fois où vous avez entendu parler d’une production conjointe ? ». Les réalisateurs palestiniens commencent à chercher d’autres voies et c’est dommage, car je pense qu’ils devraient recevoir de l’argent des fonds cinématographiques et se réserver le droit de faire le film qu’ils veulent faire et de dire ce qu’ils ont à dire. Il y a beaucoup de gens qui ont fait un premier film et qui ne travaillent plus. »

Le premier film de la réalisatrice Maha Haj, « Personal Affairs », a été réalisé avec le soutien de la Israeli Film Foundation. Pour son prochain film, elle fait appel à des sources étrangères. « Ce n’est pas que j’ai eu des problèmes avec la fondation, ils étaient tout à fait corrects. Le problème était que je devais présenter le film uniquement comme israélien, ce qui me gênait… Israël est le seul endroit au monde qui vous donne de l’argent et impose immédiatement une condition : ‘Ne présentez pas le film comme palestinien, seulement comme israélien’. Pour mon film suivant, j’ai obtenu des financements de France, d’Allemagne et d’autres pays, et personne ne m’a dit de ne pas mentionner le mot palestinien. Quel est ce grand épouvantail ? Pourquoi cette peur de ce mot ? Je ne comprends pas comment l’incident de la « Villa Touma » a conduit à une règle fasciste qui nous oblige, en tant que Palestiniens, à dissimuler notre identité. Notre identité, la voilà : ma carte d’identité nationale et mon passeport sont israéliens, mais je suis palestinienne, totalement palestinienne. »

Source : Haaretz

Traduction JCP

Retour haut de page