Plus de 600 artistes et organisations appellent au boycott du Zabludowicz Art Trust en raison de ses liens avec Israël

Par Valentina Di Liscia, le 18 mai 2021 

Ils sont des centaines à avoir signé une lettre dénonçant les liens de Poju Zabludowicz avec un lobby pro-Israël et avec l’armée de l’air israélienne. 

Dessin de l’artiste Leomi Sadler citant la déclaration de Boycott Divest Zabludowicz (avec l’autorisation de Leomi Sadler)

Tandis que les violences contre les Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés s’intensifient de façon alarmante, un collectionneur de premier plan suscite de vives protestations en raison de ses liens avec un lobby pro-Israël et l’armée de l’air israélienne. Boycott Divest Zabludowicz (BDZ, Boycottez et désinvestissez Zabludowicz), groupe anonyme d’artistes et d’activistes fondé en 2014, encourage les artistes à retirer leur signature de leurs œuvres acquises ou exposées par le Zabludowicz Art Trust.

“Nous appelons tou·te·s celles et ceux qui travaillent dans le champ de la culture, dans les institutions et la presse artistiques, à nous rejoindre en menant des actions solidaires avec tou·te·s les Palestinien·ne·s forcé·e·s de subir quotidiennement de terribles actes d’oppression violente infligés par l’État israélien”, dit BDZ dans une déclaration en date de vendredi [14 mai]. 

Accueillie dans une église méthodiste désaffectée, construite au 19e siècle dans le centre de Londres, la Collection Zabludowicz, qui comporte plus de 4 000 œuvres d’art contemporain, a été constituée par Anita Zabludowicz et son mari Poju, financeurs du lobby pro-Israël BICOM (Britain Israel Communications and Research Centre). Poju Zabludowicz est par ailleurs PDG du Tamares Group, une société d’investissement détenant une participation dans Knafaim. Knafaim, qui possède la Maintenance Wings Limited Partnership, fournit à l’armée de l’air israélienne des services de maintenance des aéronefs militaires.

En 2009, un épisode de la série documentaire d’investigation de Channel 4 Dispatches a également révélé les intérêts financiers de Zabludowicz, à l’époque, dans un centre commercial de Ma’ale Adumim, colonie illégale en Cisjordanie. 

La lettre de BDZ a été signée par plus de 600 artistes et organisations, notamment Eyal Weizman, fondateur de Forensic Architecture ; la galerie d’art Reena Spaulings ; Claire Bishop, historienne de l’art ; Lawrence Abu Hamdan, artiste. Certain·e·s artistes, notamment Rachel Pimm et Jasmine Johnson, ont suivi l’appel de la pétition à “retirer le contenu conceptuel” des œuvres présentées ou achetées par la collection ou ses filiales, comme Daata Art Fair, ou Times Square Space à New York, résidence d’artistes et lieu d’exposition fondé par Tiffany Zabludowicz, fille d’Anita et de Poju.

Rachel Pimm a publié cela sur Instagram :

JE RETIRE LE CONTENU CONCEPTUEL

de mes œuvres de la Collection Zabludowicz et de Tamares. Il est important que cela soit rendu public. 

Je présente mes excuses et m’engage à ne plus jamais agir de la sorte. Si une autre personne a fait la même erreur et souhaite elle aussi retirer sa signature, entrez en rapport avec moi pour que nous en parlions et en vue d’une action collective. Actuellement je travaille à mes excuses sous forme d’actions et de paroles, y compris mais pas seulement en contribuant à un guide sur le retrait de signature édité par BDZ (Boycott Divest Zabludowicz) en solidarité avec la Palestine et contre la brutalité de l’État israélien.

Si c’est une décision difficile à prendre et que vous en perdez le sommeil, voici l’élément déterminant et j’aurais dû en tenir compte. En 2014 quand je me suis retirée des évènements prévus et que j’ai assisté aux bombardements épouvantables de Gaza, j’étais gênée et je me suis tue, et naïvement j’ai exercé une pression sur eux pour qu’ils démontent mon œuvre et communiquent à ce sujet, sans comprendre que j’avais le pouvoir de le faire moi-même. Cela ne suffit plus. Depuis, j’ai retiré ma signature de l’exposition, et également des éditions, et d’une œuvre qui avait été vendue à cette collection à condition qu’elle soit destinée non à la collection elle-même mais à être offerte à une autre institution de choix, la Tate. Aucune de ces pièces n’est conceptuellement intacte dans la @zabludowicz_collection. Merci à vous mes camarades pour de nombreuses et longues conversations. Montrer son travail, en dernière instance, cela n’a pas de sens si cette œuvre perd tout son mérite. Aucun·e artiste, aucune œuvre d’art, n’est assez exceptionnelle pour échapper à ce contexte. Mais ce qui est encore plus important, c’est ceci : ni une somme d’argent soulageant temporairement la précarité, ni une œuvre d’art ne peuvent être plus importants que la vie d’un être humain. 

Je me rappelle avoir participé à un débat, et une personne dans l’auditoire a attaqué de plein fouet, affirmant que je n’aurais pas dû être au programme vu mon implication antérieure, et je respecte totalement ce point de vue, je l’ai apprécié et de nouveau je l’en remercie.

Le nombre de gens qui me contactent en privé, sans trop savoir s’ils ou elles doivent exposer, et qui ensuite se retirent ou refusent, croît année après année. Important de continuer à parler pour ne pas avoir l’impression d’agir dans la solitude.

Entrez en contact si vous souhaitez rejoindre une action collective de retrait de signature. Pour ajouter votre nom au boycott, merci d’envoyer un email à bdzgrp@riseup.net

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Ce n’est pas la première fois que la Collection Zabludowicz attire l’attention. Dès 2014, le magazine d’art Mute a publié un éditorial dénonçant la connexion entre Poju et BICOM ainsi que la source de sa fortune : son père, Shlomo Zabludowicz, a financé l’entreprise de défense israélienne Soltam Systems, qui fournit des armes aux Forces de défense d’Israël ainsi qu’à l’armée des États-Unis.

Mais les appels à désinvestir de Zabludowicz ont gagné récemment en force, dans le sillage d’un raid policier israélien sur la Mosquée Aqsa pendant le Ramadan et d’une augmentation dramatique des  violences et des déplacements forcés dans les territoires palestiniens occupés. Selon les données préliminaires des Nations unies, au moins 177 Palestiniens et 10 Israéliens* ont été tués par les frappes aériennes israéliennes ou les roquettes des combattants palestiniens dans l’escalade la plus meurtrière du conflit dans cette région depuis 2014.

“Quand il n’aboutit pas au massacre massif de Palestiniens sous le prétexte peu convaincant de la défense nationale, ce projet s’appuie, structurellement, sur un système d’apartheid contraire au droit relatif aux droits humains qui opprime les Palestiniens vivant sous la gouvernance de facto d’Israël, du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée”, affirme BDZ dans sa déclaration.

L’artiste Adam Broomberg se dit “horrifié par l’absence de la moindre réaction du monde de l’art à la violence”. À ses yeux, l’aggravation récente des tensions est un point de basculement pour le secteur culturel, qui a longtemps fermé les yeux sur la complicité des entités philanthropiques.

“Tout le monde savait ce qu’il en était d’Harvey Weinstein et ce dont il était capable. Et le monde artistique tout entier sait que la Collection [Zabludowicz] est financée par cet argent”, a dit Broomberg  à Hyperallergic. Selon lui, l’appui apporté par Anita aux artistes, en particulier à celles et ceux en début de carrière, parmi les plus vulnérables dans un marché de l’art pyramidal qui voue un culte aux valeurs sûres, a probablement dissuadé les gens de sortir du silence.

“Mais, à un moment donné, un nombre suffisant de personnes rassemble un courage suffisant et construit une solidarité mutuelle, et ces gens, tous ensemble, ont le courage de parler” poursuit Broomberg. “Bien que la situation soit brutale pour les Palestiniens depuis 70 ans, ils ont atteint une masse critique qui est tout simplement insupportable.”

BDZ demande un boycott de la Collection Zabludowicz et de ses nombreuses filiales, notamment Daata Art Fair et Times Square Space Gallery. (Dessin de Leomi Sadler, avec son autorisation)

Répondant à une demande de commentaire, un porte-parole de la Collection a dit à Hyperallergic : “la Collection Zabludowicz n’est pas une organisation politique. Nous condamnons la violence et avons pour objectif de promouvoir le dialogue. Nous sommes au courant de la récente pétition et estimons qu’elle est mal informée et regrettable. Une artiste nous a contactés et nous avons respecté ses vœux en retirant de notre site web toute référence à son projet.” (Le porte-parole n’a pas souhaité fournir davantage de détails sur les aspects de la pétition considérés comme “ mal informés”, ni nommer l’artiste dont référence avait été retirée.)

Bien que la Collection affirme être une plate-forme apolitique consacrée à l’art et aux échanges, de très nombreuses œuvres figurant dans ses découvertes ou présentées dans ses espaces sont intensément politiques : l’artiste et vidéaste Yael Bartana, par exemple, a créé une œuvre sur la reconstruction de maisons palestiniennes dans les territoires occupés ; Seth Price a lancé un site web qui détecte les donations des collectionneurs d’art à des partis politiques. Et ainsi de suite : Francis Alÿs, Allora & Calzadilla, Glenn Ligon, Wolfgang Tillmans ne sont qu’une partie des artistes de la Collection Zabludowicz dont les pratiques s’intéressent de façon diverse à des questions urgentes de justice sociale. 

Un·e membre de BDZ ayant eu un entretien avec Hyperallergic en demandant à rester anonyme s’exprime ainsi : “il est de plus en plus difficile pour toute personne ayant des œuvres dans la collection de défendre la position selon laquelle son travail artistique aurait une valeur politique.”

“C’est une grève culturelle, il ne s’agit pas d’un boycott économique”, poursuit cette personne. “Nous voulons éviter de nous laisser enfermer dans une position selon laquelle l’argent serait toujours mauvais, c’est pourquoi nous retirons le travail culturel et le capital culturel de toute association à laquelle ils ajouteraient de la valeur ou confèreraient  de l’importance ou du crédit.”

“Nous voulons montrer le lien avec ce front culturel qui, à notre sentiment, se charge de blanchir au moyen de l’art ce que cette institution représente”, a ajouté l’artiste.

*Ces chiffres ne sont plus à jour au moment de la publication de cette traduction (N.d.T)

Valentina Di Liscia fait partie de la rédaction d’Hyperallergic. Originaire de l’Argentine, elle a étudié à l’université de Chicago et travaille actuellement à son MA à Hunter College, où elle a reçu la bourse Brodsky d’Histoire de l’art de l’Amérique latine. Envoyez vos questions, vos récits, vos suggestions à valentina@hyperallergic.com.

Source : Hyperallergic

Traduction SM pour l’Agence média Palestine

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