Les Palestiniens demandent la libération anticipée d’un jeune prisonnier palestinien dans l’affaire qui a secoué Jérusalem

Un garçon palestinien arrêté à l’âge de 13 ans et dont le cas est devenu à l’époque emblématique du conflit israélo-palestinien est maintenant, 7 ans plus tard, un homme encore emprisonné, languissant en isolement, et aux prises avec la schizophrénie.

Par Isabelle Debré, le 10 novembre, 2022

Ce fut un crime qui bouleversa Jérusalem.

Il y a sept ans, un jour d’automne, Ahmad Manasra, un Palestinien de 13 ans, et son cousin de 15 ans ont traversé les rues d’une colonie juive de Jérusalem-Est, armés de couteaux. Son cousin, Hassan, a grièvement blessé un garçon israélien de 13 ans qui sortait d’un magasin de friandises et a poignardé un autre israélien. Il a été abattu par la police. Ahmad fut, lui, renversé par une voiture, battu et raillé par des passants israéliens.

Une vidéo, très explicite, laquelle montre Ahmad allongé dans la rue, saignant de la tête pendant que les Israéliens le narguent et l’injurient, a été visionnée des millions de fois. L’affaire est vite devenue un paratonnerre pour le conflit israélo-palestinien, exaspérant les juifs israéliens qui considéraient Ahmad comme un terroriste cherchant à tuer de jeunes juifs – et exaspérant les Palestiniens qui le voyaient comme la victime d’une foule virulente et d’un procès inéquitable, puni pour un crime commis par son cousin désormais mort.

L’avocat d’Ahmad a soutenu à l’époque qu’il avait cherché non pas à tuer des juifs mais à les effrayer en représailles contre la politique israélienne envers Gaza. Le garçon israélien, victime de l’agression, a passé une semaine dans le coma mais s’est rétabli.

Au cours des six dernières années, depuis qu’Ahmad eut été reconnu coupable de tentative de meurtre et condamné à neuf ans et demi de prison, son calvaire s’est poursuivi en prenant une autre allure. Les médecins disent qu’Ahmad, aujourd’hui âgé de 20 ans, a développé pendant sa détention en isolement une schizophrénie, et a tenté de se nuire et de nuire à autrui. A ce jour, Ahmad a passé 354 jours en isolement.

Ahmad a dit à son avocat que mardi, il avait bu de l’eau de Javel. Quelques heures plus tard, le procureur général israélien a demandé à la Cour suprême de rejeter l’appel pour la libération anticipée d’Ahmad, déclarant que même si les prisonniers étaient normalement éligibles à la libération après avoir purgé les deux tiers de leur peine, Ahmad – un condamné pour « terrorisme » – ne l’était pas. La Cour suprême décidera dans les prochains jours si elle accepte de réexaminer son cas.

Les avocats d’Ahmad affirment que c’est la première fois qu’un comité de libération conditionnelle applique rétroactivement la loi antiterroriste de 2018 qui interdit pour des raisons de sécurité toute libération anticipée . Les groupes de défense des droits ont dénoncé la loi comme créant deux normes juridiques distinctes selon que le condamné est israélien ou palestinien.

« Les personnes qui commettent un viol peuvent bénéficier d’une libération anticipée, mais Ahmad, qui a été arrêté à 13 ans et condamné à une peine de prison qui voit sa vie mise en danger, ne l’est pas », a déclaré Budour Hassan, chercheur à Amnesty International.

Généralement en Israël, les enfants de moins de 16 ans sont envoyés dans des centres de détention pour mineurs, où ils reçoivent une éducation et des conseils dans de meilleures conditions que celles offertes par les prisons normales. Ensuite, les autorités judiciaires décident de les transférer ou non. Ahmad a été envoyé dans une prison publique après deux ans, là où sa santé mentale n’a cessé de se détériorer.

Pour la famille et pour ceux qui plaident la cause d’Ahmad, la transformation d’un enfant qui s’occupait des oiseaux et aimait le football en prisonnier de haute sécurité souffrant de troubles mentaux et d’un désespoir sans cesse croissant sonne l’alarme sur la violence du conflit au Moyen-Orient et son impact sur la jeune génération.

« Lorsqu’il avait 13 ans et qu’il avait le plus besoin de sa mère, il a été jeté en prison », a déclaré sa mère, Maysoon Manasra, depuis leur domicile de Beit Hanina, à Jérusalem-Est. C’est juste en face de la colonie Pisgat Ze’ev, où des images de surveillance avaient montré à l’époque les garçons armés de couteaux pourchassant un homme dans la rue. « La prison ne lui a procuré que de la souffrance. »

Un groupe de défense des droits des enfants, Defense for Children International-Palestine, estime que 700 Palestiniens de moins de 18 ans sont arrêtés chaque année en Cisjordanie occupée, et des centaines d’autres à Jérusalem-Est. Entre 2016 et 2021, le groupe a documenté 155 cas de détention en solitaire prolongée en Cisjordanie, ce territoire envahi et annexé par Israël lors de la guerre de 1967.

Les adolescents sont généralement détenus dans une cellule de 1 sur 1,5 mètres fortement éclairée en permanence, a déclaré le groupe. Leur seul contact humain est avec leurs interrogateurs. Ils retournent profondément marqués dans leurs familles, a déclaré Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme de DCIP qui cherche à mettre Israël devant ses responsabilités.

« Les parents nous confient que leurs enfants leurs reviennent méconnaissables », a-t-il déclaré.

Selon sa famille et ses avocats, Ahmad reste enfermé dans une petite cellule 23 heures par jour. Il lutte contre la paranoïa et les délires qui l’empêchent de dormir. Les autorités l’ont d’abord placé en cellule d’isolement en novembre 2021, à la suite d’une bagarre avec un autre détenu. Il se montre tellement terrifié par ses hallucinations qu’il est emmené tous les quelques mois dans l’aile psychiatrique de la prison de Ramla, dans le centre d’Israël. Les médecins lui font des injections de psychotropes pour le stabiliser avant de le renvoyer à l’isolement, dit sa famille.

Le service pénitentiaire israélien a déclaré qu’Ahmad « est détenu dans une cellule de surveillance et non à l’isolement » en raison de « son état mental ». Ils n’ont pas répondu aux questions sur la différence entre une cellule d’isolement et une cellule de surveillance.

« Son état de santé s’est stabilisé et il n’y a aucune raison de poursuivre son hospitalisation », ont-ils déclaré.

Son père, Saleh Manasra, a décrit les conditions comme atroces.

« Il ne parle à personne sauf aux vers qui rampent sur le sol de sa cellule », a-t-il déclaré. « Il s’imagine que quelqu’un va le tuer. Il s’imagine que quelqu’un le poursuit ».

Manasra a déclaré que les autorités pénitentiaires refusaient souvent ses demandes de rendre visite à Ahmad. À travers le plexiglas, tous les quelques mois, Manasra voit clairement que son fils « va de pire en pire ». Le seul désir qu’Ahmad exprime est de rejoindre les autres détenus.

La souffrance mentale chez Ahmad s’est manifestée pour la première fois peu après son arrestation. Une vidéo divulguée de son interrogatoire à l’âge de 13 ans le montre en train de pleurer et de se cogner la tête de frustration alors que les interrogateurs israéliens lui hurlent des questions sur l’attaque.

Au moment de l’arrestation d’Ahmad en 2015, les enfants de moins de 14 ans ne pouvaient être tenus pénalement responsables selon la loi israélienne. Le procès traînant en longueur. Ahmad ne fut condamné qu’après son 14e anniversaire. Deux ans plus tard, les législateurs ont cité le cas d’Ahmad pour justifier une loi autorisant l’emprisonnement de jeunes de 12 ans pour terrorisme.

« Ils sont traités comme des prisonniers adultes de haute sécurité », a déclaré Naji Abbas, chargé de dossiers individuels pour l’organisation à but non lucratif Physicians for Human Rights Israel.

Après des demandes répétées, les autorités pénitentiaires israéliennes ont autorisé un médecin de PHRI à évaluer l’état d’Ahmad, alors âgé de 18 ans. Constatant que lui et sa famille n’avaient aucun antécédent psychiatrique, le psychiatre basé à Jérusalem, Noa Bar Haim, a attribué la « schizophrénie » d’Ahmad à l’impact psychologique néfaste de la prison sur le jeune.

« Son incarcération continue entraînera inévitablement une aggravation de sa maladie et entraînera une incapacité permanente », a-t-il averti, recommandant une libération immédiate et des soins psychiatriques intensifs.

Au lieu de cela, il a été remis à l’isolement. Au cours des deux dernières années, son avocat Khaled Zabarqa a déclaré qu’Ahmad avait essayé d’entailler ses poignets avec tout ce qu’il pouvait trouver dans sa cellule.

Malgré l’attention extraordinaire que son cas a attirée et l’indignation que celui-ci a engendrée, ses parents insistent sur le fait que même en grandissant, Ahmad n’a toujours pas compris les événements qui ont déterminé le cours tragique de sa vie.

« Ils le traitent de terroriste. Je pense qu’il ne savait même pas ce qu’il faisait ou ce que cela voulait dire », a déclaré Maysoon.

Trad. B.M pour l’Agence Média Palestine

Source : Independent

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