Karim Younis, 40 ans passés dans les geôles israéliennes

Karim Younis est le prisonnier palestinien ayant subit la plus longue durée de détention dans une prison israélienne. Il avait été arrêté en 1983 pour avoir prétendument commis une attaque contre un soldat israélien sur le plateau du Golan occupé, et condamné à la prison à vie (réduite ensuite à 40 ans). Il a été libéré de prison le 5 janvier 2023.

Le premier geste qu’a fait Karim Younis après sa libération fut d’aller se recueillir sur la tombe de sa mère, décédée en mai dernier, quelques mois avant sa libération. Elle lui a rendu visite 700 fois lors de son interminable détention dans les geôles israéliennes.

Karim Younis pleurant sur la tombe de sa mère.
La mère de Karim Younis embrassant la photo de son fils.

Nous republions ci-dessous la lettre rédigée par Karim Younis (traduite en français) à l’occasion de sa libération.

Source : Reuters

La lettre de Karim Younis après 40 ans dans les prisons israéliennes : Liberté pour la Palestine, les prisonniers Palestiniens et le peuple Palestinien

A ma mère et mon père,

Je sais que mon emprisonnement vous a affecté comme il m’a affecté, mais je me console en me rappelant votre conviction que la Palestine le mérite. Je n’ai jamais vécu un moment aussi douloureux que lorsque j’ai été empêché de vous faire mes adieux et d’assister à vos funérailles Mais je veux que vous sachiez que ces quarante dernières années n’ont pas eu raison de moi. Je suis revenu digne, comme tu l’as souhaité pour moi, mon père. J’ai préservé mon humanité, celle d’un combattant de la Palestine Libre, comme tu le souhaitais, ma mère. Je suis revenu pour chanter l’hymne national avec mon peuple partout dans le monde – l’hymne de la lutte pour le retour et la libération.

Maman, Papa, que vos âmes reposent en paix.

À mon vaillant peuple palestinien en Palestine et en exil, à mon peuple qui m’a accompagné tout au long de ces quarante années de captivité et m’a donné la force et l’espoir nécessaires pour rester digne, à mon peuple qui n’a pas manqué d’embrasser, de protéger, de soutenir et de respecter ses engagements pour la libération auprès des martyrs et des combattants de la liberté.

A mon peuple, je dis : Me voici, lesté de quarante ans de captivité, avec quelques cheveux blancs, et de nombreuses blessures, mais je suis encore assez dévoué pour poursuivre le chemin de la libération avec dignité et détermination. Lorsque le tribunal israélien a annulé ma condamnation à mort et l’a remplacée par une condamnation à perpétuité, je ne me suis pas senti heureux car je savais que l’appareil répressif israélien me tuerait chaque jour un peu plus. Et lorsque ma peine a été réduite à quarante ans, je ne me suis pas réjoui parce que je n’ai pas vu de différence entre la perpétuité et quarante ans, mais aussi et surtout parce que je sais qu’il y a des centaines de prisonniers condamnés à la prison à vie par un appareil judiciaire qui est l’un des principaux piliers du régime colonial israélien d’apartheid.

Fils et filles de mon peuple, je n’ai aucun ressentiment envers ceux qui disent que c’est une honte que les partis et les dirigeants politiques palestiniens ou les défenseurs des droits de l’Homme restent les bras croisés alors que nos prisonniers politiques palestiniens croupissent des années dans les prisons israéliennes. Mais maintenant que j’ai quitté ma cellule, je tiens à vous rassurer : nous, les combattants de la liberté, étions et sommes toujours fiers de vous. Nous sommes fiers de notre peuple, où que vous soyez, dans la patrie et en exil. Vous êtes la cause palestinienne et la source de l’espoir. Vous donnez de la force à notre résilience. Vous êtes le but et l’essence de notre lutte. Ô fils et filles, les prisonniers politiques palestiniens sont sur le point d’affronter une nouvelle campagne de répression de la part d’Israël. Ils comptent sur vous, alors soyez leur soutien et leur colonne vertébrale comme vous l’avez toujours été.

Aux dirigeants palestiniens, aux partis et mouvements palestiniens, y compris ceux qui sont actifs en Palestine dans ses frontières de 1948, je dis :

Les combattants Palestiniens de la liberté ne sacrifient pas seulement leur vie. Chaque jour qui passe, un instant de vie leur est confisqué, l’espoir leur est retiré, un rêve leur est arraché. Chaque jour qui passe sème en eux la douleur et les laisse estropiés. Les dirigeants, plus que quiconque, doivent se rappeler que les prisonniers n’ont abandonné personne, et vous ne devez pas les laisser tomber non plus. Oui, les chemins de la lutte exigent des sacrifices, mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait un autre Karim Younis. Les combattants de la liberté ne devraient pas rester en captivité pendant vingt, trente ou quarante ans. Et nous savons tous que, sans ces prisonniers, notre peuple n’aurait ni voix ni dignité et que les dirigeants non plus, sans eux, n’auraient aucun statut ou renommée. Mettez fin à la division, restaurez l’unité de notre peuple dans toute la Palestine et en exil, et restaurez sa détermination à lutter pour la libération.

Aux peuples libres du monde et aux combattants de la liberté partout dans le monde,

Les mouvements de libération des peuples et pour leur indépendance, la fin de l’oppression coloniale et le renforcement de la dignité humaine, des droits de l’Homme, de l’égalité, de la justice, des droits des femmes, des peuples indigènes et des minorités, sont des causes qui, parmi tant d’autres, méritent résistance, ténacité et persévérance. Mais n’oubliez pas que la cause palestinienne mérite une attention particulière car le peuple palestinien est confronté à des puissances internationales complices des crimes du régime israélien de colonisation, d’apartheid, d’oppression et d’injustice. Elevez votre voix haut et fort : liberté, liberté pour la Palestine.

Aux pays du monde et aux organismes internationaux,

Si les États appliquaient un dixième de ce qui est énoncé dans les centaines de traités relatifs aux droits de l’Homme, le monde serait différent. Est-il permis de garder le silence face aux exécutions commises contre notre peuple dans les rues ? Est-il permis à Israël de qualifier de terroristes les combattants palestiniens de la liberté ? Est-il permis d’assimiler le colonisé au colonisateur et de se contenter d’appeler à la paix ? Dans les prisons israéliennes, cimetière des vivants, des personnes libres sont emprisonnées arbitrairement sous le régime de la détention administrative ou sont la cible d’injustes condamnations à une mort lente. La communauté internationale doit faire plus que publier de simples communiqués et rédiger des rapports. Le monde doit intervenir pour protéger notre peuple de l’oppression du régime colonial israélien d’apartheid. Le monde doit intervenir pour mettre fin à la détention administrative, pour mettre fin aux condamnations injustes et pour libérer les combattants de la liberté.

À mes camarades de cellule, combattants de la Palestine Libre dans les prisons israéliennes :

J’ai quitté ma cellule physiquement, mais j’ai laissé mon âme avec vous. Je l’ai laissée avec ceux qui ont sacrifié leur vie pour protéger les droits légitimes de notre peuple. Je l’ai laissée avec ceux qui n’ont pas été et ne seront pas vaincus, avec ceux qui continueront à défier l’oppresseur, à renouveler leur désir de vivre et à inspirer d’autres personnes à embrasser le soleil de la liberté.

À tous, je dis :

Parce que la liberté est le plus sacré des objectifs, la Palestine mérite tous nos sacrifices. Oui, mes chers camarades, la Palestine est digne et vous, combattants de la liberté, méritez d’être libres. Aujourd’hui, je ne peux que vous promettre d’être une voix pour votre liberté, que je porterai parmi notre peuple, ses dirigeants, et à travers le monde autant que je le pourrai.

Source : BADIL

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