Après l’attaque israélienne sur Jénine, il est temps de renforcer le mouvement BDS

Par Samir Eskanda, le 20 juillet 2023

Les dirigeants israéliens utilisent la culture comme outil de propagande tout en faisant la guerre à la vie culturelle de la société palestinienne. La meilleure façon de contester la normalisation de l’apartheid israélien sur tous les fronts, y compris culturel, est de boycotter, de désinvestir et d’appeler aux sanctions.

Une femme assise près des destructions causées par les attaques des forces israéliennes à Jénine, en Cisjordanie, le 4 juillet 2023. (Issam Rimawi / Anadolu Agency via Getty Images)

Plus tôt ce mois-ci, les forces terrestres et aériennes israéliennes ont envahi Jénine et son camp de réfugiés en Cisjordanie palestinienne occupée. Ils ont tué treize personnes, dont cinq enfants, et en ont déplacé des milliers, donnant lieu à des images déchirantes qui rappellent l’expérience du déplacement forcé il y a des décennies.

Cette attaque est la plus importante contre une ville palestinienne de la Cisjordanie depuis plus de deux décennies. Les forces israéliennes ont coupé l’électricité et l’eau, pris pour cible des journalistes, bloqué des ambulances et rasé des quartiers. Une centaine de palestiniens blessés s’ajoute à ceux qui ont été tués. Dans la foulée, le Palestinian Performing Arts Network ou PPAN (Réseau palestinien des arts du spectacle) a appelé à une pression internationale urgente pour mettre fin au meurtre du peuple palestinien par Israël et pour l’en tenir responsable.

Le Freedom Theatre de Jénine, membre du PPAN, a été directement touché par l’assaut — la route menant à ses locaux fut rasée au bulldozer. Capturant l’ambiance palestinienne de défi face à l’intensification des attaques, le directeur artistique du théâtre, Ahmed Tobasi, a déclaré : « Nous garderons ce théâtre ouvert. Il y a des invasions et des tueries ici, mais il y a aussi un théâtre dans le camp de Jénine. »

Une guerre culturelle

Ce n’est pas la première fois – loin de là — que la violence brutale d’Israël touche un centre culturel palestinien. En 2018, des avions de chasse israéliens ont complètement détruit le centre culturel Said al Mishal à Gaza qui hébergait alors un cinéma pour enfants, une bibliothèque et des compagnies de théâtre.

Le gouvernement israélien récemment formé est le plus d’extrême-droite et sectaire de son histoire. Un haut ministre se décrit sans vergogne comme un «homophobe fasciste ». L’indignation générale grandit face à ce régime d’apartheid et devant l’escalade de ses crimes. Au cours des deux dernières années, plusieurs organisations de défense des droits humains de premier plan ont rendu compte en détail de l’apartheid israélien, notamment Amnesty International, Human Rights Watch et la plus grande organisation israélienne de défense des droits humains, B’Tselem. Ces organisations rejoignent ainsi le consensus qui existait déjà parmi les analystes et organisations palestiniens.

Dans ce contexte, les dirigeants israéliens cherchent désespérément à blanchir leurs actions. En faisant la promotion des apparitions en Israël d’artistes internationaux, y compris des musiciens, ils espèrent dissimuler ses graves violations des droits de l’homme et son système d’oppression. Comme l’Afrique du Sud dans le passé, Israël ne se cache pas quant aux tentatives de « art-washing » de son propre régime d’apartheid. Comme l’a admis un responsable du ministère des Affaires étrangères : « Nous voyons la culture comme un outil de hasbara [propagande] de premier ordre, et je ne fais pas aucune différence entre hasbara et culture. »

Les médias israéliens et internationaux ont depuis longtemps rendu compte des rémunérations inhabituellement élevées que les promoteurs israéliens offrent régulièrement — un fidèle reflet des inquiétudes qui remontent à des années quant à un possible « boycott silencieux ».  Selon le correspondant culturel d’un média israélien, les artistes internationaux qui se produisent dans le pays « gagnent beaucoup plus d’argent que partout ailleurs dans le monde ».

David Caspi, un ancien sergent des communications de l’armée israélienne, a expliqué comment les promoteurs israéliens paient désormais « plus du double du cachet habituel des artistes ». Caspi cite un cofondateur de Live Nation Israel, la principale société organisatrice de concerts dans le pays, qui parle d’une lutte constante pour vaincre les partisans d’un boycott culturel : « Notre guerre contre eux est quotidienne.

« Positiver l’image de marque »

Le milliardaire canado-israélien Sylvan Adams aurait versé à Madonna un million de dollars pour se produire à Tel-Aviv afin de contribuer à « renforcer  l’image de marque positive d’Israël dans le monde ». Son défunt père, Marcel Adams, avait dans son temps contribué à financer les performances israéliennes de plusieurs artistes internationaux, dont Leonard Cohen.

Des ministres du gouvernement israélien et des diplomates en poste dans le monde entier sont également directement impliqués dans cette opération de « art-washing » à grande échelle. Lorsque Radiohead a ignoré les appels palestiniens et s’est produit à Tel-Aviv, le ministre israélien des Affaires stratégiques, Gilad Erdan, qui dirigeait les efforts anti-BDS d’Israël, a déclaré à CNN « nous saluons Radiohead ».

Les ambassades israéliennes du monde entier ont salué les performances de Radiohead et de Nick Cave , qui ont, comme l’avaient prédit des groupes comme Artists for Palestine UK, franchi les lignes de piquetage.  Un porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères a lancé un « bravo Nick Cave ! ». Le promoteur du concert de Radiohead a obtenu un permis pour le lieu après avoir présenté le spectacle comme une victoire pour les efforts de propagande israéliens. Le ministère israélien des Affaires étrangères lui-même a donné son accord .

Avant que Lana Del Rey n’annule sa performance au festival israélien Meteor en 2018, l’application anti-BDS du gouvernement israélien ordonnait à ses partisans de commenter les publications laissées par l’artiste sur les réseaux sociaux. Del Rey était l’un(e) des vingt artistes internationaux à se retirer du festival.

De nombreux autres artistes ont annulé des concerts et d’autres événements en réponse à des appels à la prise de position éthique émis par des artistes palestiniens et internationaux et par des défenseurs des droits de l’homme – le plus récemment Buddy Guy, Sam Smith , Rodrigo et Gabriela, Natalie Portman et Big Thief. D’autres incluent Lorde, Shakira, Lauryn Hill, Elvis Costello et bien d’autres.

Une solidarité éloquente

Des milliers d’artistes du monde entier ont exprimé publiquement leur approbation de BDS et du boycott culturel d’Israël, y compris des musiciens, des DJ, des cinéastes et des acteurs, des artistes visuels, des artistes noirs, des artistes latino-américains et d’innombrables autres dans tous les domaines et sur tous les continents. Ceci en dépit des efforts déployés par des groupes de pression liés au gouvernement israélien comme la dite Creative Community for Peace . Ces actions de solidarité parlent au peuple palestinien et les touchent profondément.

Le mouvement BDS dirigé par les palestiniens et palestiniennes vise la fin de l’occupation militaire israélienne, la pleine égalité de ceux et celles qui possèdent la citoyenneté israélienne et la garantie du droit au retour des réfugiés.  BDS ne demande pas aux artistes internationaux de venir sauver la Palestine. Nous leur demandons simplement, à tout le moins, de ne pas saper notre mouvement non- violent.

Au-delà de ce que l’on doit considérer comme un devoir moral fondamental, il est indiscutable que de puissantes pressions internationales et une solidarité enthousiasmante  ont contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud.  L’on peut participer de la même façon à démanteler le régime israélien d’apartheid, d’occupation et de colonisation qui affligent le peuple palestinien indigène depuis des décennies.

Le théâtre dans le camp de Jénine, qui a pour nom la liberté (Freedom Theater), restera ouvert, symbole de la fermeté palestinienne face à la brutalité en cours. Un jour, la liberté, comme la justice, ne seront plus que de puissants symboles d’espoir pour le peuple  palestinien. Elles deviendront une réalité.

Source : Jacobin

Traduction BM pour l’Agence média Palestine

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