Par Oren Ziv, le 5 septembre 2023
Huit nouveaux réfractaires.rices au service militaire parlent de l’occupation, des manifestations contre la réforme judiciaire et de l’objection de conscience en tant qu’outil de protestation.
Dimanche matin, des centaines d’israélien.ne.s se sont rassemblé.e.s devant le gymnase du lycée hébraïque Herzliya, au centre de Tel Aviv, pour le lancement d’une nouvelle lettre de jeunes objecteurs.rices de conscience sous la bannière “La jeunesse contre la dictature”. Malgré les pressions de l’extrême droite et du Ministère de l’Éducation, et malgré la décision du conseil d’administration du lycée d’annuler l’événement, des centaines de personnes sont venues écouter les étudiant.e.s lire leur lettre à voix haute, participer à des ateliers, et supporter les 230 jeunes personnes ayant signé la lettre et prévoyant de refuser de s’enrôler dans l’armée israélienne.
Contrairement aux lettres précédentes dites « refuznik », la lettre actuelle relie l’opposition à la réforme judiciaire du gouvernement à l’objection de conscience due à l’occupation. Les signataires avec lesquels +972 s’est entretenu ont déclaré qu’ils avaient prévu de refuser de s’enrôler dans l’armée avant même la formation du gouvernement actuel, pour protester contre l’occupation.
D’autres ont décidé de le faire au cours des derniers mois, disant que le gouvernement, le plus extrême dans l’histoire d’Israël, a fait pencher la balance et les a poussés à refuser. Certains d’entre eux expliquent que la présence du “bloc anti-occupation” aux manifestations hebdomadaires contre la réforme judiciaire les a aidés à prendre leur décision, et que dans l’atmosphère publique actuelle, l’objection de conscience est plus largement acceptée qu’elle n’a pu l’être par le passé, notamment à la suite du refus massif des réservistes de l’armée dans le sillage de la réforme.
“En tant que jeunes femmes et hommes sur le point d’être enrôlé.e.s dans le service militaire d’Israël, nous disons NON à la dictature en Israël et en territoires palestiniens occupés. Nous déclarons par la présente que nous refusons de nous enrôler dans l’armée tant que la démocratie ne sera pas garantie à tous.tes ceux.celles qui vivent sous la juridiction du gouvernement israélien », indique la déclaration. “Malgré nos six mois de lutte déterminée pour une véritable démocratie, menée dans les rues presque quotidiennement, le gouvernement continue de poursuivre son programme destructeur. Nous craignons vraiment pour notre avenir et pour celui de tous.tes ceux.celles qui vivent ici. Dans ces conditions, nous n’avons d’autre choix que de prendre des mesures extrêmes et de refuser de servir dans l’armée. Un gouvernement qui détruit le pouvoir judiciaire n’est pas un gouvernement que nous pouvons servir. Une armée qui occupe militairement un autre peuple n’est pas une armée que nous pouvons rejoindre.”
Nous nous sommes entretenus avec huit adolescent.e.s signataires de la lettre qui ont parlé de leur décision de refuser de s’enrôler dans l’armée.
Nuri Magen, 17 ans
Je pensais m’enrôler jusqu’à ce que le gouvernement commence à adopter la loi sur la clause de raisonnabilité. J’étais contre l’occupation avant cela, mais je pensais que j’allais occuper un poste qui ne serait pas directement impliqué dans l’occupation. J’envisageais de servir dans la marine, et je pouvais en quelque sorte le justifier. C’était avant qu’ils ne commencent à adopter les lois.
Par dessus tout, j’ai eu peur des horreurs qui pourraient se produire dans un an, deux ans, quand je serai coincé [dans l’armée]. Je ne veux pas avoir l’impression de faire partie de tout cela. Alors que la situation devient de plus en plus extrême, même les personnes apolitiques ou celles qui ont des positions centristes deviennent plus ouvertes à des opinions qui étaient considérées comme « extrêmes » il y a encore peu de temps. Il y a encore deux ans, les objecteurs.rices de conscience n’étaient qu’une très petite minorité. Aujourd’hui, nous avons pris possession de l’école et organisé un événement avec des centaines de personnes et les médias ; c’est sans précédent.
Sofia Orr, 18 ans
J’ai signé la lettre parce que je m’oppose à la dictature et je veux me battre pour une réelle démocratie pour tous, en Israël et dans les territoires occupés. Il était important pour moi de signer cette lettre parce qu’elle établit ce lien, qui pour moi est évident, à savoir que la réforme et l’occupation ne peuvent être séparées.
Je pense que cet événement et le nombre de signataires montrent que ces opinions commencent lentement à s’infiltrer dans le courant dominant, ou du moins que le courant dominant est prêt à les entendre et à s’y intéresser. C’est une véritable bénédiction. Cela montre le changement qui s’opère ici. Nous devons continuer et ne pas les laisser nous réduire au silence. Essayer de nous faire taire fait partie de leur politique dictatoriale à laquelle nous nous opposons.
Itay Gavish, 17 ans
Pendant les manifestations, j’ai rejoint le bloc anti-occupation, où j’ai réalisé que je ne voulais pas participer à l’occupation, et que je refusais de rejoindre l’armée. J’ai signé la lettre afin de montrer que moi, et des centaines d’autres jeunes, ne serviront pas dans l’armée d’occupation. Grâce à ces manifestations, j’ai senti qu’il était légitime de sortir pour protester.
Je pensais que j’avais peur d’être trop radical, et le bloc anti-occupation était un endroit où l’on pouvait manifester avec d’autres sionistes, puis aller un peu plus loin. La lutte contre la réforme judiciaire montre aux personnes qui ne sont pas nécessairement liées à l’occupation et qui ne s’en soucient pas nécessairement que le refus est un outil de protestation important.
Lily Hochfeld, 17 ans
Je me suis demandé quelle était ma ligne rouge, si j’étais prête à servir dans n’importe quelle armée de n’importe quel pays. J’ai décidé qu’il y a des armées dans lesquelles je veux croire que je ne servirai pas. Pour moi, soutenir pleinement la violence coloniale, des décennies de régime militaire et une réforme judiciaire qui donne tout le pouvoir à des politiciens corrompus et cléricaux franchit complètement ma ligne rouge. Je ne peux plus m’engager dans une telle armée sans craindre pour mon avenir et celui de mon pays.
Les manifestations ont fait sortir tous les démons du placard. Soudainement, nous nous sommes réveillé.e.s un matin et nous avons vu siéger au gouvernement des gens qui étaient autrefois illégitimes, même à droite, comme [Itamar] Ben Gvir, qui continue sur les traces de [Meir] Kahane. Le nouveau gouvernement a tout clarifié – nous avons compris ses véritables intentions.
Tal Mitnick, 17 ans
Avec d’autres jeunes, j’ai réalisé que la dictature qui existe en Israël et celle qui existe depuis des décennies dans les territoires occupés sont indissociables. Le but ultime des politiciens et des colons est d’approfondir l’occupation et l’oppression d’un plus grand nombre de populations en Israël et dans les territoires occupés, et d’annexer la zone C de la Cisjordanie [qui est sous le contrôle total de l’armée israélienne].
Pour beaucoup d’entre nous, ces manifestations ont été une prise de conscience. Je n’étais pas actif politiquement avant les manifestations. Elles m’ont fait comprendre ce que signifie manifester en tant qu’appelé.e, avec des centaines d’autres avant leur enrôlement, et dire “nous ne servirons pas”.
Ella Greenberg Keidar, 16 ans
Nous avons été interviewé.e.s par les médias avant l’événement d’aujourd’hui. Dans presque chaque interview, les journalistes ont essayé de profiter de l’occasion [et de demander] : “Êtes-vous contre l’occupation ou contre la réforme ?” Parce que, disent-ils, “S’opposer à l’occupation n’est pas pertinent – c’est de l’histoire ancienne. Ce qui nous intéresse, ce sont ceux.celles qui refusent la réforme judiciaire. Qu’est-ce que l’occupation vient faire là-dedans ?” C’est le genre de discours que je rencontre chez les manifestant.e.s qui viennent au bloc anti-occupation avec des drapeaux israéliens.
L’opposition à l’occupation est incomplète sans l’opposition à la réforme judiciaire, et vice-versa. Les promoteurs.rices de la réforme – Simcha Rothman, Itamar Ben Gvir, Bezalel Smotrich, sont des colons. Leur programme est celui d’un colon, à savoir l’extension de l’occupation, le nettoyage ethnique et les expulsions. La réforme vise à évacuer les palestinien.ne.s de la zone C, à légaliser de nouveaux avant-postes et à accorder encore plus de privilèges, inscrits dans la loi, aux colonies et aux colons. Je tiens à dire aux médias et au public de Kaplan que ces choses sont liées.
Ayelet Kovo, 17 ans
J’ai signé la lettre parce que je ne suis pas prêt à faire partie du bras violent de l’État, qui est utilisé pour opprimer les gens. Je ne suis pas prêt à être la personne qui opprime les palestinien.ne.s dans les territoires occupés, ni à être celle qui opprime les juifs.ves et les palestinien.ne.s lors des manifestations en Israël. Je sais qu’il n’y a jamais eu de démocratie ou d’égalité des droits ici, et je ne suis pas prêt à servir un pays qui est fondamentalement inégal.
Iddo Elam, 17 ans
J’ai signé la lettre parce que je refuse de m’engager dans cette armée. Cette une armée qui occupe la Cisjordanie et des millions de palestinien.ne.s, et une armée issue d’un mouvement d’extrême droite qui tente d’introduire en Israël la dictature des territoires occupés. Nous l’avons bien vu ces dernières semaines, avec les menaces contre notre événement au gymnase et les violences policières contre les manifestant.e.s.
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
Source: +972 Magazine
Traduction ED pour l’Agence média Palestine