Philippe Lazzarini, commissaire générale de l’UNRWA, dans le Washington Post.
Par Philippe Lazzarini, le 8 novembre 2023
“Eau ? Pain ?” Ces questions étaient sur les lèvres de chaque enfant que j’ai pu croiser à Gaza la semaine dernière alors que je visitais les refuges de l’UNRWA à Rafah. J’étais le premier haut fonctionnaire de l’ONU à entrer dans Gaza depuis le 7 Octobre, jour où des militants du Hamas ont tué 1400 civil.e.s israélien.ne.s. En 30 ans de travail dans des zones de conflit, la rencontre avec ces enfants désespéré.e.s a été l’une des plus tristes de ma carrière.
Je n’oublierai jamais les visages de ces enfants. Alors que je les écoutais me raconter leurs histoires je devais garder à l’esprit que nous nous trouvions dans une école convertie en refuge — un lieu qui en temps de paix est dédié à l’apprentissage, aux rires et aux jeux. Le Ministère de la Santé à Gaza rapporte que plus de 4000 civil.e.s tué.e.s dans cette guerre sont des enfants. Ce chiffre d’enfants mort.e.s en un mois à Gaza est plus élevé que le nombre d’enfants tué.e.s dans tous les conflits à travers le monde depuis 2019.
À l’extérieur du refuge, le monde devient très sombre pour les Palestinien.ne.s à Gaza. À cause du siège en cour, il n’y a ni nourriture, ni médicament, ni carburant. Les marchés seront bientôt vides. L’aide humanitaire qui arrive au compte-goutte par camions à Rafah est loin d’être suffisante. Les services municipaux s’effondrent. Les eaux usées coulent dans les rues. Les gens font la queue pendant des heures devant les boulangeries. Bientôt l’hiver sera là et nombreux seront celles et ceux qui subiront la famine. Gaza est encerclée et les Forces de Défense Israéliennes ordonnent aux civil.e.s encore présent.e.s de partir dans le Sud de la Bande de Gaza. Mais ils.elles ne sont pas non plus en sécurité là-bas. Plus de 700 000 personnes vivent maintenant dans 150 bâtiments de l’UNRWA à travers la Bande de Gaza. Alors que j’écris ce texte, près d’une cinquantaine de ces bâtiments ont subi des dommages, et certains ont directement été touchés. Quatre-vingt-dix-neuf collègues de l’UNRWA ont été tué.e.s.
Pour de nombreux.ses Palestinien.ne.s, cet exode est un rappel du premier transfert en 1948 de plus de 700 000 personnes de leurs villes et villages, aussi connu sous le nom de Nakba (“catastrophe” en arabe). Ils.elles lisent les textes sur le papier blanc du gouvernement israélien indiquant qu’ils.elles seront expulsé.e.s dans le Sinaï. Leur peur est exacerbée lorsqu’ils.elles entendent des politicien.ne.s israélien.ne.s et autres se référant aux habitant.e.s de Gaza comme des “animaux humains” et des “terroristes,” ou appelant à “supprimer Gaza et ses habitant.e.s” — un langage déshumanisant que je ne pensais pas entendre au 21ème siècle. Le Secrétaire d’État des États-Unis, Antony Blinken, a eu raison de prévenir les Israélien.ne.s cette semaine, insistant sur le fait qu’il n’y aurait “pas de déplacement forcé de Palestinien.ne.s de Gaza. Ni maintenant, ni après la guerre.” Il devrait aller plus loin et demander un cessez-le-feu immédiat. Le siège de Gaza doit cesser, et l’aide humanitaire doit être autorisée à entrer dans la Bande de Gaza sans restriction.
Cela doit être fait au nom des droits humains fondamentaux. Cela doit aussi être fait afin d’éviter une plus grande tragédie. La punition collective réservée aux civil.e.s de Gaza est élargie à la Cisjordanie, où des personnes ont été contraintes de quitter leur terre ou pire, pour aucune autre raison que d’être Palestinien.ne. Cela risque d’enclencher la guerre et de mettre le feu au Moyen-Orient.
Le cap actuel choisi par les autorités israéliennes n’apportera pas la paix et la stabilité qu’Israélien.ne.s et Palestinien.ne.s désirent et méritent. Détruire des quartiers entiers n’est pas la réponse aux crimes monstrueux commis par le Hamas. Au contraire, cela donne naissance à une nouvelle génération de Palestinien.ne.s lésé.e.s, susceptibles de poursuivre le cycle de violence. Ce carnage doit simplement cesser.
Philippe Lazzarini est commissaire général à l’Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugié.es de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Source: The Washington Post
Traduction LG pour l’Agence Média Palestine