Par Dan Sheehan, le 21 décembre 2023
« Un de mes rêves est que mes livres et mes écrits parcourent le monde, que ma plume ait des ailes pour qu’aucun passeport non tamponné ou refus de visa ne puisse la freiner dans sa course. Un autre de mes rêves est de fonder une petite famille, d’avoir un petit fils qui me ressemble et de lui raconter une histoire au moment du coucher en le berçant dans mes bras. »
Depuis le 7 octobre, Israël a tué au moins treize poètes et écrivain.e.s palestinien.ne.s à Gaza.
Si nous nous considérons comme une communauté littéraire mondiale, alors ces personnes étaient nos compagnons de voyage, nos pairs.
Ils et elles – tout comme les plus de 66 journalistes palestinien.ne.s tué.e.s à Gaza dans l’exercice de leurs fonctions ; tout comme chacune des plus de 21 000 personnes innocentes massacrées à Gaza, en Cisjordanie et en Israël au cours des 75 derniers jours – méritent que l’on s’en souvienne.
Voici qui ils et elles étaient :
Heba Abou Nada
La romancière, poète et éducatrice Heba Abu Nada, figure bien-aimée de la communauté littéraire palestinienne et auteure du roman L’oxygène n’est pas pour les morts (non traduit en français), a été tuée, aux côtés de son fils, dans sa maison au sud de la ville de Gaza par une frappe aérienne israélienne le 20 octobre dernier.
Dans son dernier tweet , publié le 8 octobre, l’écrivaine a écrit :
« La nuit de Gaza est sombre sans la lueur des roquettes, calme sans le bruit des bombes, terrifiante sans le confort de la prière, noire sans la lumière des martyrs. Bonne nuit, Gaza. »
Abu Nada a fait ses études à l’Université islamique de Gaza, où elle a obtenu une licence en biochimie. Elle a ensuite obtenu une maîtrise en nutrition clinique à l’Université Al-Azhar de Gaza. En 2017, Abu Nada a remporté le prix Sharjah de la créativité arabe pour Oxygen is Not for the Dead .
Vous pouvez lire deux de ses derniers poèmes, traduits de l’arabe original en anglais par Huda Fakhreddine, ici et ici .
Omar Abou Shaweesh
Le poète, romancier et militant Omar Faris Abu Shaweesh a été tué le 7 octobre dernier lors du bombardement du camp de réfugiés de Nuseirat à Gaza.
Abu Shaweesh a cofondé plusieurs associations de jeunesse et a remporté de nombreux prix locaux et internationaux, notamment le prix de la « Meilleure chanson nationale de l’année 2007 » au Festival international de la chanson et du patrimoine nationaux en Jordanie, et le prix « Bénévole distingué et jeune idéal » en 2010 au Sharek Youth Forum en Palestine. Il a également reçu le prix « Jeunesse arabe distinguée dans le domaine des médias, du journalisme et de la culture » décerné par le Conseil de la jeunesse arabe pour le développement intégré de la Ligue arabe en 2013.
Il a publié plusieurs recueils de poésie, ainsi qu’un roman, Alā qayd al-mawt (2016).
Refaat Alareer
Le 6 décembre, le poète, écrivain, professeur de littérature et activiste Dr Refaat Alareer a été tué dans une frappe aérienne israélienne ciblée qui a également tué son frère, sa sœur et quatre des enfants de celle-ci. Il laisse dans le deuil son épouse, Nusayba, et leurs enfants.
Alareer était professeur de littérature et d’écriture créative à l’Université islamique de Gaza, où il enseignait depuis 2007.
Il a été coéditeur de Gaza Unsilenced (2015) et rédacteur en chef de Gaza Writes Back : Short Stories from Young Writers in Gaza, Palestine (2014). Dans sa contribution à la collection 2022 Light in Gaza : Writings Born of Fire , intitulée « Gaza demande : quand est-ce que cela cessera? », Refaat écrit :
« Cela cessera, je continue d’espérer. Cela cessera, je n’arrête pas de le dire. Parfois, je le pense. Parfois non. Et alors que Gaza continue à aspirer à la vie, nous luttons pour que cela cesse, nous n’avons d’autre choix que de riposter et de raconter ses histoires. Pour la Palestine. »
Alareer fut également l’un des fondateurs de We Are Not Numbers , une organisation à but non lucratif lancée à Gaza après l’attaque israélienne de 2014 et dédiée à la création « d’une nouvelle génération d’écrivains et de penseurs palestiniens, hommes et femmes, capables de transformer profondément la cause palestinienne ».
À travers son compte Twitter très apprécié ,« Refaat in Gaza », Alareer a condamné avec véhémence les atrocités commises contre son peuple par les forces israéliennes, ainsi que par les administrations américaines successives qui les ont laissé faire.
Suite à sa mort, le poème d’adieu prophétique et déchirant d’Alareer, « Si je dois mourir », a été traduit dans plus de 40 langues ; il a été lu à haute voix sur scène et écrit sur les murs du métro ; il a été imprimé sur des banderoles, des pancartes, des drapeaux et des cerfs-volants brandis lors des manifestations partout dans le monde pour un cessez-le-feu.
Abdul Karim Hashash
L’écrivain et défenseur du patrimoine palestinien Abdul Karim Al-Hashash, ainsi que de nombreux membres de sa famille, ont été tués le 23 octobre dans la ville de Rafah. Al-Hashash était connu pour ses écrits sur le patrimoine populaire palestinien et ses recherches sur le patrimoine bédouin, les coutumes et les proverbes arabes. Il a également collectionné des dizaines de livres rares sur l’histoire et le patrimoine de la Palestine.
Inas al-Saqa
Inas al-Saqa, célèbre dramaturge, actrice et éducatrice qui a beaucoup travaillé dans le théâtre pour enfants, a été tuée par une frappe aérienne israélienne fin octobre aux côtés de trois de ses enfants : Sara, Leen et Ibrahim. Saqa et ses cinq enfants se réfugiaient dans un immeuble de la ville de Gaza lorsque celui-ci a été touché par une frappe aérienne israélienne. Deux de ses enfants, Farah et Ritta, ont survécu à l’attaque mais sont grièvement blessés et en soins intensifs.
Saqa est apparue dans le film palestinien Sara de 2014 , un film réalisé par Khalil al-Muzayen qui traite de la question des crimes d’honneur dans le monde arabe.
Elle est également apparue dans le film The Homeland’s Sparrow , produit à Gaza et réalisé par Mustafa al-Nabih. Le film suivait la lutte palestinienne depuis la Nakba en 1948 jusqu’à l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza. On se souvient également de Saqa pour son travail culturel, notamment avec des troupes de théâtre à Gaza.
Le poète palestinien Khaled Juma a écrit à propos de la mort de Saqa : « Aujourd’hui, mon ami, le rideau est tombé… et toute la scène du théâtre s’est assombrie. »
La dernière publication de Saqa sur Facebook date du 27 août — elle y parlait, sans connaître ce qui devait lui arriver en octobre, de son expérience de survie aux horreurs passées de Gaza,: « Parfois, on jette un regard en arrière sur son passé… pour découvrir qu’on est sorti vivant d’un massacre ».
Jihad Al-Masri
Le Dr Jihad Suleiman Al-Masri est décédé le 17 octobre dernier, succombant aux blessures subies lors du bombardement israélien de Khan Yunis. Il était en route pour rejoindre sa femme et sa fille au moment de l’attaque. Al-Masri était un historien et professeur d’université dont les contributions s’étendent sur plusieurs générations. Il a été directeur de la branche Khan Yunis de l’Université ouverte d’Al-Quds. Il a publié de nombreux articles de recherche dans des revues arabes et internationales sur l’histoire islamique et les traditions orales palestiniennes.
Yusuf Dawas
L’écrivain, journaliste et photographe palestinien Yousef Dawas a été tué par une frappe aérienne israélienne sur sa maison familiale dans le nord de Gaza le 14 octobre dernier.
Dawas était également guitariste et participait activement à l’initiative We Are Not Numbers. Il a écrit en arabe et en anglais et a produit plusieurs vidéos sur divers sujets, notamment son rêve de voyager et d’explorer le monde.
En janvier 2023, Yousef a publié un essai intitulé « Qui nous compensera les 20 années que nous avons perdues ? » Dans l’essai, il raconte la destruction du verger de sa famille par une frappe de missile israélien en mai 2022. Les arbres du verger produisaient des olives, des oranges, des clémentines, des nèfles, des goyaves, des citrons et des grenades, et sa perte « a détruit une partie importante de notre passé. L’histoire de notre famille. Notre héritage. »
Shahadah Al-Buhbahan
Le poète palestinien et chercheur en éducation Shahdah Al-Buhbahan a été tué, aux côtés de sa petite-fille, par une frappe aérienne israélienne à Gaza le 6 novembre dernier.
Nour al-Din Hajjaj
Le poète et écrivain Nour al-Din Hajjaj a été tué par une frappe aérienne israélienne sur sa maison à Al-Shujaiyya ce 2 décembre. Il est l’auteur de la pièce Les Gris (2022) et du roman Des ailes qui ne volent pas (2021). Hajjaj a participé activement à l’initiative « Passion culturelle », à la Cordoba Association, à la Days of Theater Foundation.
Ceci fut son dernier message au monde extérieur :
« Voilà pourquoi j’écris maintenant ; ce sera peut-être le dernier de mes messages à parvenir au monde libre, à voler avec les colombes de la paix pour lui dire à ce monde que nous aimons la vie, ou du moins celle que nous avons réussi à vivre ; à Gaza, tous les chemins nous sont bloqués, et il n’y a que le temps d’un Tweet ou d’une actualité brûlante qui nous sépare de la mort.
Quoi qu’il en soit, je vais commencer.
Je m’appelle Nour al-Din Hajjaj, je suis un écrivain palestinien, j’ai vingt-sept ans et de nombreux rêves.
Je ne suis pas un numéro et je n’accepte pas que ma mort ne soit qu’un item de presse. Dis aussi que j’aime la vie, le bonheur, la liberté, les rires des enfants, la mer, le café, l’écriture, Fairouz, tout ce qui est joyeux — bien que tout cela puisse s’évanouir en un instant.
Un de mes rêves est que mes livres et mes écrits parcourent le monde, que ma plume ait des ailes pour qu’aucun passeport non tamponné ou refus de visa ne puisse la freiner dans sa course.
Un autre de mes rêves est de fonder une petite famille, d’avoir un petit fils qui me ressemble et de lui raconter une histoire au moment du coucher en le berçant dans mes bras. »
».
Mustafa Al-Sawwaf
L’écrivain et journaliste Mustafa Hassan Mahmoud Al-Sawwaf a été tué, aux côtés de plusieurs membres de sa famille, lorsqu’un obus israélien a frappé sa maison le 18 novembre. Al-Sawwaf, l’un des journalistes et analystes palestiniens les plus éminents, a écrit des centaines d’articles sur les affaires politiques en Palestine. Il a été rédacteur en chef de plusieurs journaux et fondateur et rédacteur en chef du premier quotidien publié dans la bande de Gaza.
Al-Sawwaf a également publié un certain nombre de livres, dont une série d’articles en six parties, Days of Rage (2005), et un recueil de nouvelles politiques, There Was a Householder (2017).
Abdallah Al-Aqad
Le 16 octobre dernier, l’écrivain Abdullah Al-Aqad a été tué, aux côtés de sa femme et de ses enfants, lorsqu’un obus israélien a touché sa maison à Khan Younis. Son dernier message sur les réseaux sociaux était : « A partir d’aujourd’hui, il n’y aura plus d’immigration, tout mon respect va aux habitants du camp de réfugiés d’Al-Shate et du quartier d’Al-Jala qui ont manifesté en affirmant qu’ils resteront chez eux jusqu’à la fin. »
Said Al-Dahshan
L’écrivain Said Talal Al-Dahshan et sa famille ont été tués par une frappe aérienne israélienne le 11 octobre. Al-Dahshan, spécialisé dans les affaires palestiniennes, était un expert en droit international. Son livre, How to Sue Israel , décrit une stratégie juridique pour tenir Israël responsable de ses violations du droit international.
Saleem Al-Naffar
Saleem Al-Naffar était un poète renommé qui prônait une résistance pacifique et dont la poésie exprimait la lutte du peuple palestinien pour survivre et pour garder leur place dans l’Histoire.
Le 7 décembre, Al-Naffar et sa famille ont été tués dans une frappe aérienne israélienne contre leur maison dans la ville de Gaza. Né dans un camp de réfugiés à Gaza, Al-Naffar a fui avec sa famille pendant la guerre de 1967 vers la Syrie. Orphelin de père à 10 ans, Al-Naffar a trouvé du réconfort dans la poésie et a ensuite étudié la littérature arabe à l’Université de Tishreen en Syrie.
En 1994, sa famille est retournée à Gaza, où il a publié des recueils de poésie, des romans et une autobiographie en arabe.
Son poème Life dit : « Les couteaux pourront manger / ce qui reste de mes côtes, / les machines briser / ce qui reste des pierres, / mais la vie arrive, / car c’est sa nature, /de faire surgir la vie même pour nous. »
Al-Naffar a dit un jour : « Je chante parfois notre désespoir. Mais peut-être que les gens aiment mon travail parce que, malgré tout, il ne cède jamais à la haine et n’appelle jamais à la violence. »
Nous remercions ArabLit et le « Deuxième rapport préliminaire sur les dommages au secteur culturel de la guerre contre la bande de Gaza » du ministère de la Culture de Gaza pour avoir fourni une grande partie de ces informations.
Traduction: BM pour Agence Média Palestine
Source : Literary Hub