Le prisonnier palestinien Walid Daqqa, en phase terminale de cancer et privé de soins par Israël, est mort le 7 avril dernier après 38 ans d’emprisonnement.
Par l’Agence Média Palestine, le 8 avril 2024
Emprisonné depuis 1986, Walid Daqqa est mort le 7 avril 2024 en prison, à l’âge de 62 ans.
Daqqa souffrait d’une myélofibrose, une forme de cancer de la moelle osseuse. Plusieurs organisations humanitaires des droits de l’homme et des prisonniers avaient exigé sa libération à plusieurs reprises, estimant que sans traitements ni soins, cet emprisonnement était en réalité une condamnation à mort. Israël a systématiquement refusé de soigner le prisonnier politique palestinien, et a étendu en 2023 sa peine d’incarcération.
Daqqa avait fini de purger sa peine initiale de 37 ans en mars 2023, mais en 2018 sa libération a été bloquée car les autorités israéliennes l’ont accusé d’avoir tenté – en 2018 – de faire entrer clandestinement des téléphones portables en prison et l’ont ainsi condamné à deux années de prison additionnelles, sachant qu’il était en phase terminale. Le 31 mai 2023, le comité de libération conditionnelle de l’administration pénitentiaire israélienne a rejeté l’appel en faveur de la libération anticipée de Daqqa. Peu de temps après, un tribunal israélien a également rejeté l’appel.
Sans traitement médical adéquat, l’état de santé de Daqqa n’a cessé de se dégrader ces dernières années. Il a été victime d’un accident vasculaire cérébral, d’une pneumonie, d’une ablation d’une partie de son poumon et de multiples infections.
Le 11 mars 2023, quelques semaines avant sa mort, un rapport d’Amnesty International réitérait son appel en faveur de sa libération, soulignant l’urgence de la situation : « Depuis le 7 octobre 2023, Walid Daqqa est torturé, humilié, privé de visites de sa famille et confronté à de nouvelles négligences médicales. Au cours de cette période, il a été transféré deux fois à l’hôpital en raison de la détérioration de son état de santé. »
L’Agence de presse palestinienne Wafa affirme dans un communiqué suite à sa mort que Daqqa est décédé après « des années de négligence médicale délibérée de la part de l’administration pénitentiaire israélienne ».
Accusé par Israël en mars 1986 d’être impliqué – aux côtés du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) – dans le meurtre d’un soldat israélien, Daqqa avait été condamné à une peine de 37 ans d’emprisonnement.
Écrivain et poète, Daqqa était l’auteur de plusieurs romans, dont « Témoignages de résistance : La bataille du camp de Jénine 2002″ (2004), « La conscience façonnée ou la ré-identification de la torture » (2010), mais aussi des contes pour enfants, notamment « L’histoire secrète de l’huile » (2018), « Le conte secret de l’épée » (2021) ou encore Le conte secret de l’esprit / Le retour des martyrs à Ramallah » (2022). Lors de la publication de son dernier livre pour enfant, « Le secret du pétrole », Daqqa est placé en isolement. Dans la préface, Daqqa avait écrit : « J’écris jusqu’à ce que je sois libéré de prison, avec l’espoir de libérer la prison de moi ».
Ci-dessous, l’un de ses poèmes émouvant, où il évoque sa relation à sa fille Milad, intitulé « Un lieu sans porte » :
Un lieu sans porte
Un jour où Milad venait de rentrer d’une escapade au bord de l’océan, je lui ai promis au téléphone que je l’emmènerais là-bas, la prochaine fois. Elle s’est arrêtée quelques secondes, hésitante, comme si elle ne voulait pas me choquer, avant de finalement répondre : « non, tu n’as pas de porte ».
Longtemps, à chaque fois que Milad me demandait au téléphone « papa, où es-tu ? », j’évitais d’utiliser le mot prison. Je craignais que ce soit trop pour elle, à cet âge tendre, de commencer à vivre avec ce mot et ses lourdes implications. Déchiré, je me débattais avec cette question : devais-je dire à ma fille la vérité ? Ou devais-je lui cacher la réalité amère, empêcher les implications du mot prison de s’immiscer dans son imagination ?
Avec ses visites, Milad avait compris ce qu’était une prison bien avant qu’elle ne connaisse la signification du mot. Pour elle, c’était un lieu sans porte. Où son père était confiné. Qu’il était incapable de quitter. Et pour elle, s’il n’y avait pas de porte, il ne pouvait y avoir d’escapade au bord de l’océan. Pas de petit-déjeuner pris ensemble. Et pas d’opportunité pour moi de l’accompagner à la garderie qu’elle appelait affectueusement « l’école ».
Dès les premiers moments de leur vie, nos enfants sont amenés à comprendre la réalité des murs, des barrières, des checkpoints. Ils comprennent bien avant de connaître le mot « occupation ». Alors on se pose une question contrariante, qui est de la plus haute importance pour leur éducation : comment transformer la sensation oppressante créée par cette réalité en force pour l’action positive, qui puisse contribuer de façon constructive au développement de leurs jeunes personnalités ?
En me demandant si je devais utiliser le mot « prison » avec Milad, des souvenirs de mes années de captivité ont commencé à se rejouer dans mon esprit. Pendant ces années, je me suis retrouvé à vivre aux côtés non pas d’une, mais de trois générations de prisonniers : le Père, le Fils et le Petit-fils. Peut-être que c’est l’omniprésence des prisons dans les vies des enfants, à travers leurs visites fréquentes à des membres incarcérés de la famille, qui les ramène aux limites de la prison comme les prisonniers eux-mêmes. Dans une de mes histoires de prison, intitulée « Mon oncle, donne-moi une cigarette », un jeune garçon de 12 ans m’a demandé une cigarette. Dans des circonstances normales, au-delà des murs de la prison, j’aurais dit non. On ne veut pas que les enfants fument. Mais dans cet environnement, il m’a semblé que par cette requête, le garçon voulait grandir vite, pour mieux pouvoir supporter les années d’enfermement qui se dessinaient alors devant lui, ou peut-être pour se remettre de la violence de son arrestation. Par l’acte de fumer, il aurait l’air de proclamer « regardez-moi, je suis un adulte ». J’ai donc tendu une cigarette au garçon. Et en présence de Milad, j’ai finalement dit le mot « prison ». En fin de compte, je n’ai fait que suivre le signal que Milad m’avait envoyé. Elle m’avait enseigné l’importance de l’honnêteté et de la sincérité lorsqu’on éduque les enfants. En fin de compte, peu importait qu’elle m’entende utiliser le mot « prison ». Dans son cœur, elle savait déjà ce que ça voulait dire. C’était un lieu sans porte.
Walid Daqqa