Par David Matthews, 23 mai 2024
Les universités européennes coupent les liens et mettent fin à leur coopération, ce qui soulève des questions sur l’avenir d’Israël dans la recherche européenne.
Un nombre croissant d’universités européennes mettent fin à leurs liens avec Israël en raison de la guerre à Gaza, y compris dans le cadre des projets Horizon Europe existants, ce qui a incité le ministre israélien des sciences à tenir en urgence des discussions avec les leaders de la recherche dans le pays sur la manière de maintenir les liens scientifiques avec l’Europe.
Gila Gamliel a déclaré qu’Israël envisageait de nouvelles mesures incitatives pour encourager les universitaires à venir en Israël. La semaine dernière, elle a signé un accord de coopération avec le Guatemala, pour tenter de renforcer les coopérations scientifiques externes du pays face aux boycotts européens.
Avec les campements de protestation étudiants qui se répandent sur le continent, le boycott des universités européennes pourraient s’avérer un casse-tête majeur pour l’ensemble de la stratégie scientifique de l’UE qui, depuis 1996, a inclus Israël, leader en technologies, comme partie intégrante de ses programmes-cadres de recherche et d’innovation.
À ce jour, Israël a reçu plus de 600 millions d’euros au titre d’Horizon Europe, soit plus que de nombreux États membres de l’UE, dont la Pologne et la République tchèque.
La semaine dernière, l’Université de Grenade a déclaré qu’elle suspendait les échanges d’étudiants et de chercheurs avec les institutions israéliennes et qu’elle cessait de coopérer avec Israël dans le cadre de cinq projets Horizon Europe et Horizon 2020.
L’Université de Barcelone a confirmé hier qu’elle ne conclurait aucun accord avec des institutions israéliennes « tant que les conditions dans la région de Gaza ne garantiront pas une paix et un respect des droits humains absolus », et qu’elle romprait immédiatement un accord de coopération avec l’université de Tel-Aviv.
Elle a également demandé à l’UE d’exclure immédiatement les institutions israéliennes de tous les projets financés par l’Europe et a déclaré qu’en attendant, l’université « ne participerait à aucun événement académique ou institutionnel dans lequel des institutions israéliennes sont impliquées ».
Certains chercheurs israéliens affirment que leur pays est déjà exclu d’Horizon Europe. « On leur a dit de quitter [les consortiums] parce qu’ils étaient israéliens », a déclaré Netta Barak-Corren, professeure de droit qui dirige à l’Université hébraïque de Jérusalem un groupe de travail chargé de surveiller les tentatives de boycott. « C’était très brutal. «
Un rapport interne du ministère israélien du Renseignement, compilé à la mi-avril et consulté par Science|Business, avertit que la vague croissante de boycott européen « fait peser des risques sur la place scientifique et technologique d’Israël dans le monde et, à long terme, pourrait nuire à la sécurité nationale et à la vigueur de l’économie israélienne ».
Le rapport avertit également que le mouvement de boycott risque d’empêcher les scientifiques israéliens de rejoindre les consortiums de recherche dans le cadre d’Horizon Europe.
Le rapport distingue la Norvège, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Suède, l’Irlande, la Belgique et l’Italie comme les pays européens où les actions de protestation, de pétition et de boycott ont été particulièrement prononcées.
Égalité de traitement
M. Gamliel s’est emparé de ses conclusions et a déclaré le mois dernier qu’Israël prendrait « toutes les mesures pour leur garantir [aux chercheurs israéliens] l’égalité de traitement au sein de la communauté scientifique internationale ».
Le mois dernier, les médias israéliens ont averti que les universitaires du pays étaient confrontés à un boycott mondial « sans précédent », avec des invitations à des conférences annulées, des cours à l’étranger interrompus et des articles scientifiques rejetés pour des raisons politiques.
Depuis l’évaluation israélienne de la mi-avril, d’autres universités européennes ont annoncé qu’elles mettraient fin à leurs liens avec Israël, ou du moins qu’elles les réexamineraient, à la suite de la guerre de Gaza, ce qui soulève des interrogations quant à l’avenir de plusieurs projets Horizon Europe en cours.
Les critiques de la conduite d’Israël à Gaza ont reçu un coup de pouce cette semaine après que le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a demandé des mandats d’arrêt à l’encontre du président israélien Benjamin Netanyahu, pour crimes de guerre, notamment pour avoir affamé des civils. Yoav Gallant, ministre israélien de la défense, et des dirigeants du Hamas, sont également accusés.
La campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), qui milite depuis longtemps sur les campus européens pour que les universités coupent leurs liens avec Israël, a déclaré cette semaine qu' »en près de 20 ans de campagne, nous n’avons jamais vu autant de progrès en si peu de temps. »
L’Espagne semble avoir pris les devants en rompant ses liens. Au début du mois, la Conférence des recteurs des universités espagnoles (Crue) a déclaré qu’elle examinerait l’opportunité de suspendre les accords de collaboration avec les universités et les centres de recherche israéliens qui « n’ont pas exprimé un engagement ferme en faveur de la paix et du respect du droit humanitaire international ». La Crue n’a pas précisé comment elle mesurerait cet engagement.
« Bien sûr, nous pleurons la tragédie qui se déroule des deux côtés de la frontière de Gaza », a déclaré Mme Barak-Corren. Mais elle a fait valoir que les universités israéliennes étaient préoccupées par les étudiants et les professeurs kidnappés, tués, blessés et convoqués, ainsi que par le retard de plusieurs mois pris par le début de la session en raison des attaques du 7 octobre, ce qui signifie qu’elles ne se sont pas concentrées sur des déclarations plus larges concernant la guerre.
Désinvestissement
En Irlande, à la suite de manifestations étudiantes, le Trinity College de Dublin a accepté, au début du mois, de se désinvestir des entreprises israéliennes actives dans les territoires palestiniens occupés qui figurent sur une liste noire des Nations unies. Un groupe de travail a également été mis en place pour étudier le désinvestissement d’autres entreprises israéliennes et revoir les échanges d’étudiants avec Israël.
En Slovénie, l’université de Ljubljana a conclu hier qu’elle vérifierait si les futurs partenaires israéliens potentiels d’Horizon Europe ont des liens avec l’armée ou s’ils soutiennent la « violence ».
Aux Pays-Bas, l’Université de Leiden a déclaré la semaine dernière qu’elle n’admettrait pas d’étudiants de l’Université hébraïque de Jérusalem et de l’Université de Tel-Aviv dans le cadre d’un programme d’échange avant d’avoir procédé à une évaluation. Des comités seront également mis en place pour examiner les collaborations existantes et nouvelles avec Israël dans le domaine de la recherche.
En Belgique, l’université de Gand a déclaré qu’elle couperait les liens avec trois organismes de recherche israéliens qu’elle a jugés « très problématiques » en raison de leurs liens avec l’armée et les ministères du gouvernement israélien.
En Norvège, l’Université d’Oslo-Met a été l’une des premières institutions à prendre des mesures, en décidant en février de cesser de conclure des « accords de coopération générale avec des universités israéliennes » et de suspendre un accord existant avec l’université de Haïfa. En février également, l’Université du Sud-est de la Norvège a mis fin à ses accords avec Haïfa et le Hadassah Academic College de Jérusalem, tout en soulignant qu’elle ne mettait pas fin à sa collaboration individuelle avec Israël.
Ces boycotts « mettent déjà à rude épreuve les collaborations existantes entre les individus », a déclaré Michael Elbaum, chercheur en sciences cellulaires à l’Institut Weizmann des sciences. « Un boycott est impersonnel, basé sur l’association plutôt que sur la familiarité », a-t-il ajouté.
Risque pour l’Espace européen de la recherche
Jusqu’à présent, les universités européennes qui ont annoncé des mesures de boycott ou l’examen de leurs collaborations restent une petite minorité.
Mais même ces mesures risquent de saper l’Espace européen de la recherche (EER) – une tentative de construire une sorte de marché unique pour les universitaires – et les programmes-cadres de l’UE, a averti Christian Ehler, un eurodéputé qui a été rapporteur lors de la conception d’Horizon Europe, dans une déclaration la semaine dernière, en réponse au Trinity College de Dublin.
« L’EER ne peut exister si nous permettons aux institutions universitaires de discriminer certaines personnes qui font partie de l’EER », a-t-il déclaré.
Le boycott universitaire soulève également la question de la réaction des gouvernements européens : soit ils laissent les universités déterminer leur propre politique, soit ils interviennent pour tenter de préserver les relations avec Israël dans le domaine de la recherche.
L’Europe est déjà divisée sur la guerre à Gaza plus globalement. L’Irlande, la Norvège et l’Espagne s’apprêtent à reconnaître l’État palestinien. L’Allemagne, quant à elle, a continué à soutenir Israël – avec des réserves – et s’est plainte en début de semaine que la CPI avait créé une « implication incorrecte d’équivalence » entre le Hamas et les dirigeants politiques israéliens.
Une porte-parole du ministère irlandais de l’Enseignement supérieur, de la recherche, de l’innovation et des sciences a déclaré que les universités irlandaises étaient « indépendantes sur le plan académique et avaient le droit de gérer leurs propres affaires, y compris leurs engagements avec d’autres organisations de recherche et le programme-cadre [de l’UE] ».
Une porte-parole du ministère norvégien de l’Education et de la recherche a déclaré qu’il n’y avait pas eu de contact avec le gouvernement israélien au sujet de ses préoccupations concernant le boycott. « Il n’y a pas de restrictions nationales à la coopération avec Israël dans le domaine de la recherche », a-t-elle déclaré.
Un porte-parole de la ministre italienne des sciences, Anna Maria Bernini, a déclaré que la ministre avait rejeté à plusieurs reprises les appels au boycott d’Israël lancés en Italie. Elle a « mis en garde contre le fait d’associer le gouvernement Netanyahu à des personnes et à des universités », a déclaré le porte-parole.
Autre casse-tête pour l’UE, la Commission européenne a proposé d’autoriser la recherche à double usage dans le cadre du programme succédant à Horizon Europe, le FP10, qui doit débuter en 2028.
Il n’est pas clair si cette recherche liée au domaine militaire sera limitée aux États membres de l’UE, mais toute allusion à une utilisation militaire pourrait rendre l’implication d’Israël encore plus controversée.
En mars, l’ONG Statewatch a publié une enquête révélant que de nombreuses entreprises israéliennes de drones avaient reçu de l’argent des programmes-cadres de l’UE, et que cette technologie de drone était maintenant potentiellement utilisée dans la guerre à Gaza.
Interrogé sur l’enquête, un porte-parole de la Commission a souligné que « les résultats des projets de R&D peuvent aboutir au développement – immédiatement ou après adaptation – de technologies à double usage, même si ces projets de R&D étaient à l’origine destinés à des applications purement civiles. Cette transition peut se produire au-delà de la durée de vie du projet de R&D lui-même ».
Traduction: SD pour l’Agence Média Palestine
Source: ScienceBusiness