Cette semaine, des familles de la ville de Gaza ont suivi les ordres d’évacuation vers une école voisine, puis Israël l’a bombardée, tuant 18 personnes. Il n’y a pas de choix sûr pour les Palestiniens lorsqu’ils sont contraints de décider s’ils doivent ou non quitter leur maison.
Par Tareq S. Hajjaj, le 29 novembre 2024
Le samedi 23 novembre, l’armée israélienne a donné l’ordre d’évacuer les quartiers d’Al-Shujai’yya et d’Al-Zaytoon, à l’est de la ville de Gaza, deux des zones les plus peuplées de la ville de Gaza. Abdulrahman Eliwa, 11 ans, s’est précipité en tremblant vers sa mère, Dina, 28 ans, mère de cinq enfants. Il tenait le téléphone et répondait à un appel de l’armée israélienne qui leur ordonnait de partir vers le sud. Sa mère a crié après avoir compris le message. Ce n’était pas la première fois qu’elle recevait un message de ce type. Dina et sa famille avaient été déplacées à plusieurs reprises lors de l’invasion israélienne de Gaza, mais elle savait que, jusqu’à présent, l’attaque qui avait suivi chaque avertissement avait été plus brutale que la précédente.
« Je ne peux pas prendre le risque de rester avec mes enfants qui crient à chaque bombe et dorment à peine, et je n’ai nulle part où aller », a déclaré Dina à Mondoweiss. » Les Israéliens continuent de tuer des gens et de les pousser à partir ; ils veulent notre terre et nous tueront si nous restons, sans la moindre hésitation. »
Trois jours après les avertissements, l’armée israélienne n’avait toujours pas envahi la zone. Cette situation n’est pas rare. Cela se produit chaque fois qu’Israël envoie un avertissement d’évacuation à un endroit ; seule l’armée choisit le moment de lancer son attaque. En attendant, les familles doivent décider de ce qu’elles doivent faire.
Dina est retournée dans sa maison du quartier de Zaytoon au bout de trois jours. D’autres familles sont également revenues, mais elles vivaient dans la peur. Elles sont rentrées parce qu’elles ne pouvaient plus supporter leurs conditions de déplacement sous la pluie et dans le froid, sachant que leurs maisons n’étaient qu’à quelques kilomètres. Mais bien sûr, la décision de rester n’est pas facile à prendre. Compte tenu des précédentes invasions israéliennes, ceux qui sont restés savaient qu’ils pourraient être contraints de partir sous les tirs israéliens. Et même si ce n’était pas le cas, ils seraient confrontés à des conditions difficiles pour survivre : le siège israélien du nord qui empêche la nourriture et l’eau d’entrer dans la région, la détention et la mort une fois qu’Israël commencera à cibler tout ce qui bouge sur le terrain.
Dans ces conditions, de nombreuses personnes ont suivi les ordres de l’armée et ont quitté les quartiers de Shujai’yya et de Zaytoon. Elles se sont réfugiées dans une école voisine, mais comme souvent auparavant, l’armée israélienne n’a pas tardé à faire de cet espace supposé sûr sa prochaine cible.
Le mardi 26 novembre, l’armée israélienne a bombardé l’école Al-Hurriya dans le quartier de Zaytoon. Quatorze des personnes tuées sont arrivées dans les hôpitaux locaux, et au moins quatre autres n’ont pas été retrouvées ; en d’autres termes, leurs corps ont été complètement détruits.
À l’intérieur de l’hôpital baptiste arabe de la ville de Gaza, le porte-parole de la défense civile, Mahmoud Basal, est entouré de corps et de membres rassemblés sur des morceaux de tissu et des draps. Dans une vidéo obtenue par Mondoweiss, Basal décrit la scène de l’attaque. « L’occupation israélienne poursuit ses opérations de bombardement jusqu’à ce jour, et ce massacre dans l’école Al-Hurriya, qui abrite des milliers de personnes déplacées, est visé. Ce raid a laissé derrière lui plusieurs martyrs, dont certains ont été décapités et d’autres sont malheureusement difficiles à identifier », a-t-il expliqué.
« Il y a un certain nombre de martyrs dont le sort est inconnu jusqu’à ce jour, et ils ne peuvent pas être identifiés parce que leurs corps sont complètement déchiquetés.
Il confirme que le bilan initial est de 14 morts, dont certains sont arrivés à l’hôpital baptiste arabe, et qu’il y en a encore un certain nombre dans l’école sous les décombres. Il précise que les équipes de secours ont des difficultés à accéder à la zone en raison du danger que représentent les munitions non explosées.
M. Basal a également fait état de la pratique israélienne consistant à prendre pour cible les abris, les camps de déplacés et les écoles. « C’est la politique suivie par l’occupation israélienne depuis le début de la guerre jusqu’à aujourd’hui », a-t-il déclaré.
À l’intérieur de l’hôpital, les familles des victimes, qui étaient toutes déplacées et se trouvaient dans l’école, se rassemblent. L’une après l’autre, les femmes ne peuvent réprimer leurs sanglots et leurs cris de douleur et de chagrin pour la perte de leurs proches.
Au milieu de l’hôpital, les membres des familles errent çà et là à la recherche de leurs proches parmi les piles de corps et de membres qui jonchent le sol, dans l’espoir de les reconnaître.
Une femme assise devant les corps crie et dit : « Je suis la mère d’un martyr et la sœur d’un martyr. J’ai perdu plus de la moitié de ma famille dans les bombardements et les déplacements. Ils nous tuent ouvertement et devant le monde entier. Combien de temps cette mort se poursuivra-t-elle au vu et au su du monde entier ? Tout ce que nous pouvons dire, c’est de demander à notre Seigneur de nous venger d’Israël, de l’Amérique et de tous ceux qui pensent avoir une conscience et n’arrêtent pas ces massacres contre nous. »
« Nous avons quitté nos maisons lorsqu’ils ont menacé de nous tuer si nous restions, et nous sommes allés dans les écoles pour sauver nos vies. Ils ont bombardé les écoles au-dessus de nous. Que veulent-ils ? Que devons-nous faire et où devons-nous aller ? Nous n’avons pas le choix, et l’armée nous tue sans pitié et n’hésite pas à tuer des centaines de civils à la fois ».
La femme, qui n’a pas donné son nom, regarde les corps. Derrière elles, des femmes la réconfortent et se réconfortent les unes les autres, pleurant collectivement tandis que la femme se souvient de ce qu’elle a vu à l’école.
« Ceux que nous avons vus et à qui nous avons parlé tous les jours, nous les avons vus après le massacre coupés en morceaux, avec des membres et des parties, sans tête. Nos enfants voient ces scènes tous les jours. Nous vivons avec elles à chaque instant et imaginons que ce qui est arrivé aux martyrs pourrait nous arriver. De quoi sommes-nous coupables pour vivre une telle vie ? ».
Tareq S. Hajjaj est le correspondant de Mondoweiss à Gaza et membre de l’Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l’université Al-Azhar de Gaza. Il a commencé sa carrière dans le journalisme en 2015 en tant que rédacteur et traducteur pour le journal local Donia al-Watan. Il a fait des reportages pour Elbadi, Middle East Eye, et Al Monitor. Suivez-le sur Twitter à @Tareqshajjaj.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss