En souvenir de notre grand-mère, Nahil Bishara : L’artiste palestinienne et la femme de la renaissance qui a préservé son identité à travers la créativité

Dans une interview avec « The New Arab », les petits-enfants de Nahil Bishara parlent de l’héritage artistique de leur grand-mère et de son rôle dans la préservation de l’identité palestinienne.


Par Rawaa Talass, The New Arab, le 6 décembre 2024

L’histoire regorge de femmes remarquables mais oubliées, et dont les récits n’ont pas encore été racontés.

Parmi elles, la regrettée artiste palestinienne Nahil Bishara, une femme active et érudite qui cherchait à préserver son identité palestinienne en faisant preuve d’une créativité sans fin, malgré l’instabilité politique constante de sa patrie.

Près de trois décennies après la mort de Nahil Bishara, ses petits-enfants sont prêts à partager son histoire avec le monde. 

« Elle était toujours à la recherche d’un projet artistique », a déclaré à « The New Arab » Assad Bishara, le petit-fils de l’artiste, basé aux Émirats Arabes Unis.

« C’était quelqu’un qui voulait maîtriser tout médium artistique qui lui était accessible. Elle créait quelque chose avec tout ce qui lui tombait sous la main », a ajouté Assad.

Nahil avec une de ses peintures [Photo : La famille Bishara].   

En écho à ce sentiment, sa sœur, Talia Bishara, spécialiste des relations publiques dans le domaine de la culture, se souvient avec tendresse de sa grand-mère comme une femme avec l’esprit des années soixante. 

« C’était une femme élégante, les cheveux coiffés en chignon avec un million d’épingles », se souvient Talia.

« Elle voulait projeter une image. Son identité dans la société était également très importante. En général, les artistes à l’époque créaient des œuvres pour les vendre, mais elle n’a jamais créé pour vendre. Elle créait de l’art pour ancrer sa palestinité ».

De Ramallah à Jérusalem 

Nahil est née à Ramallah en 1919, peu après la fin de la Première Guerre mondiale, et a passé la plupart de sa vie à Jérusalem, où elle a cultivé son talent artistique.

En 1940, à l’âge de 21 ans, l’artiste a épousé le Dr Assad Bishara, un gynécologue renommé qui, comme l’affirme Talia, « a vu naître toute une génération de Palestiniens sous ses mains ».

Selon Talia, Dr Assad était ouvert d’esprit et soutenait les rêves de sa femme.

Comme le dit Talia, « chaque fois que je parle de ma grand-mère, je dois aussi parler de mon grand-père. C’était une personne à part entière. Il n’était pas le type de personne qui la cantonnait à rester à la maison et à élever une famille. C’est ce qu’elle a fait, mais en plus, elle explorait son talent artistique et soutenait sa communauté de femmes palestiniennes ».

Au-delà de ses succès personnels, Nahil a également vécu des événements politiques importants du XXe siècle, notamment la Nakba – le déplacement massif de Palestiniens – qui a conduit à l’occupation israélienne en 1948.

Nahil devant une de ses peintures, avec ses deux petits-enfants, Talia et Assad, à ses côtés. 
[Photo : La famille Bishara] 
 

« Une force et une avant-gardiste »

Au cours de cette période, Nahil a reçu une rare opportunité d’étudier en Angleterre, mais elle a refusé, choisissant plutôt de rester dans son pays par défi.

L’artiste a marqué l’histoire en devenant la première Arabe et Palestinienne à étudier l’art à L’École des arts et métiers de Bezalel à Jérusalem, qui avait été fondée en tant qu’institution artistique juive au début des années 1900.

À l’époque, Nahil était l’une des rares artistes palestiniennes à étudier l’art de manière formelle. Mais son éducation ne s’est pas arrêtée là.

Toujours en quête de nouveaux horizons et de nouvelles compétences, elle a suivi un cours de design par correspondance dans une université américaine à Washington, DC. Ensuite, dans les années 60, Nahil s’est retrouvée dans la ville italienne de Pérouse, où elle a étudié la peinture classique et la céramique.

Connue pour être toujours en mouvement, Talia a expliqué : « Toute sa vie, ma grand-mère a aimé l’art. C’était une force et une avant-gardiste. Elle voulait être en avance sur tout le monde à son époque ».

Nahil est décrit par beaucoup comme une « pionnière » dans l’innovation et la préservation de l’art en Palestine. 
[Photo : La famille Bishara]
 

« Elle voulait constamment créer »

Aujourd’hui encore, on se souvient de Nahil comme une femme de la Renaissance.

L’artiste cultivée parlait quatre langues (dont l’italien et le français), s’essayait à la couture, au travail du bois et au soufflage de verre, organisait des dîners culturels, faisait du bénévolat dans des camps de réfugiés et maîtrisait la décoration d’intérieur.

Son plus grand projet a été la décoration de l’intérieur du bâtiment de la Young Men’s Christian Association (YMCA) à Jérusalem, qui a ensuite été converti en hôtel sous le nom d’Aelia Capitolina par les Israéliens. Aujourd’hui, l’hôtel est connu sous le nom de Legacy Hotel.

En utilisant des matériaux locaux, Nahil a conçu le lustre (fabriqué avec des Palestiniens réfugiés), a réalisé des tables en bois et a fait don d’une trentaine de ses peintures à l’établissement.

« Je pense qu’elle a compris qu’il y avait un pouvoir dans la création, plutôt que de se concentrer sur la destruction. Elle voulait constamment créer », explique Talia.

« Des gens du monde entier visitaient Jérusalem. Je pense qu’elle s’est sentie responsable de montrer au monde une image différente de la Palestine ».

Un autre événement marquant de la carrière de Nahil s’est produit en 1964 lorsqu’elle a été chargée par le Royaume de Jordanie de créer un buste du pape Paul VI en hommage à son pèlerinage en Palestine. Aujourd’hui, le buste se situe au Vatican.

Le lustre conçu par Nahil [Photo : La famille Bishara].  
Détail d’une chaise en bois, conçue par Nahil [Photo : La famille Bishara].  

« Capturer tout pour préserver la Palestine »

En ce qui concerne l’héritage artistique de Nahil, elle était connue pour ses paysages religieux, ses représentations de Palestiniens réfugiés et ses compositions florales (ces dernières étant particulièrement appréciées par son mari).

Ses petits-enfants sont convaincus que l’art de leur grand-mère est porteur d’un message puissant, comme l’explique M. Assad : « Pour elle, il s’agissait de capturer tout ce qu’elle pouvait pour préserver la Palestine. Elle était préoccupée par la préservation de l’identité parce qu’elle était en train d’être effacée ».

Lors de l’entretien avec « The New Arab », Talia a montré une œuvre que sa grand-mère avait peinte en 1948, représentant des femmes réfugiées, dont une tenait un enfant dans ses bras.

Talia a expliqué qu’elle tenait dans ses mains un morceau du passé, ajoutant : « Quand je regarde les actualités aujourd’hui, c’est comme si l’histoire se répétait », faisant référence aux bombardements en cours à Gaza.

« Une partie de notre société civile a été détruite et transformée en réfugiés qui vivent dans des tentes, et c’était quelque chose qu’il fallait capturer », a commenté Assad en parlant de la représentation du déplacement dans l’art de Nahil.

Peinture de Nahil représentant des réfugiés palestiniens en 1948 [Photo : La famille Bishara].  
Un tableau figuratif peint par Nahil [Photo : La famille Bishara]. 
Peinture de Nahil représentant le Dôme du Rocher [Photo : La famille Bishara]. 
Talia avec la peinture de sa grand-mère (1948) représentant des femmes réfugiées, dont une tient un enfant dans ses bras. [Photo : La famille Bishara]

Célébration d’une artiste oubliée

En 1997, Nahil est décédée d’un cancer, mais sa mémoire reste vivante dans le cœur et l’esprit de sa famille et de ses amis.

Dernièrement, Nahil, autrefois oubliée, a peu à peu réintégré la sphère publique. Grâce à Talia, le nom de Nahil apparaît désormais dans les recherches Google, et certaines de ses œuvres d’art ont trouvé leur place dans des institutions culturelles publiques, telles que la Barjeel Art Foundation aux Émirats Arabes Unis et Dar El Nimer au Liban.

Selon Talia, certains musées ont manifesté leur intérêt pour l’acquisition des œuvres de Nahil depuis qu’elle s’est exprimée plus ouvertement sur l’histoire de sa grand-mère.

Cette reconnaissance a motivé Talia à poursuivre un jour la publication d’un catalogue des œuvres de sa grand-mère.

« Toute ma vie, j’ai voulu faire quelque chose pour elle », explique Talia.

« Je n’ai pas étudié l’art, mais je connais son importance et je la ressens. J’ai commencé à établir des contacts dans le milieu artistique, mais cela n’a pas été facile. J’ai été encore plus déterminée à le faire après les attaques du 7 octobre », ajoute-t-elle. 

« Tout le monde devrait être motivé à défendre ces noms et à les mettre en avant, parce qu’on a justement besoin du passé… Le passé, c’est le présent. Le passé c’est votre présent. C’est à nous de le préserver ».

Rawaa Talass est une journaliste indépendante qui s’intéresse à l’art et à la culture du Moyen-Orient. Son travail a été publié dans Art Dubai, Arab News, Al Arabiya English, Artsy, The Art Newspaper, Kayhan Life, Dubai Collection et The National.

Suivez-la sur X : @byrawaatalass

Source : The New Arab
Traduction : SP pour l’Agence Média Palestine

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