En temps de guerre, la joie de Noël est difficile à trouver à Bethléem


Par Louis Baudoin-Laarman, The Mercury, le 19 décembre 2024

Un prêtre marche dans l’église de la Nativité, pratiquement vide, située dans la ville biblique de Bethléem. Des milliers de touristes visitent normalement l’église à l’approche de Noël. AHMAD GHARABLI
Les commerçants de Bethléem souffrent d’un manque de clients. AHMAD GHARABLI

Sur la place de la Mangeoire à Bethléem, les décorations de Noël et les pèlerins sont notablement absents pour une deuxième saison festive en temps de guerre dans la ville de Cisjordanie occupée.

L’église de la Nativité, qui domine la place, est tout aussi vide. Seuls les chants des moines arméniens résonnent depuis la crypte où les chrétiens croient que Jésus-Christ est né. 

« Normalement, ce jour-là, on trouve 3 000 ou 4 000 personnes à l’intérieur de l’église », a déclaré Mohammed Sabeh, un garde de sécurité de l’église. 

La violence en Cisjordanie occupée s’est intensifiée depuis que la guerre à Gaza a éclaté le 7 octobre dernier, mais Bethléem est restée largement calme, même si les combats ont fait des ravages dans la ville, désormais majoritairement musulmane.

Les touristes étrangers, dont l’économie de Bethléem dépend presque entièrement, ont cessé leurs visites à cause de la guerre. L’augmentation des restrictions de circulation, par le biais des checkpoints israéliens, empêche également de nombreux Palestiniens de visiter la ville.

« Les chrétiens de Ramallah ne peuvent pas venir à cause des checkpoints », a déclaré M. Sabeh, ajoutant que les soldats israéliens « nous traitent mal », ce qui entraîne de longues files d’attente pour ceux qui tentent se rendre à Bethléem à 22 kilomètres de la ville cisjordanienne, située à l’autre côté de la ville voisine de Jérusalem.

Anton Salman, maire de Bethléem, a déclaré à l’AFP qu’en plus des checkpoints préexistants, l’armée israélienne avait mis en place de nouveaux barrages routiers autour de Bethléem, créant ainsi « un obstacle » pour ceux qui souhaitent s’y rendre.

« Peut-être qu’une partie d’entre eux réussiront à venir, et qu’une autre partie sera confrontée aux barrières et aux points de contrôle qu’Israël a installés autour », a déclaré M. Salman.

« Pas Noël comme d’habitude » 

L’atmosphère sombre créée par la guerre à Gaza, déclenchée par l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre 2023, ferait des célébrations ostentatoires une manifestation insensible, a déclaré M. Salman.

« Nous voulons montrer au monde que Bethléem ne vit pas Noël comme d’habitude », a-t-il déclaré. 

Les prières se poursuivront et le patriarche latin de l’Église catholique fera le voyage de Jérusalem comme d’habitude, mais les festivités seront plus strictement religieuses que les célébrations festives que la ville organisait autrefois. 

Cette année, il n’y aura ni défilé de chars, ni marche de scouts, ni grands rassemblements dans les rues.

« Bethléem est spéciale à Noël. C’est tellement spécial en Terre sainte. Jésus est né ici », a déclaré Souad Handal, une guide touristique de Bethléem de 55 ans. 

« La situation est si grave (maintenant) parce que l’économie de Bethléem dépend du tourisme ». 

Joseph Giacaman, propriétaire d’une des boutiques les mieux localisées de Bethléem, située juste sur la place de la Mangeoire, a expliqué qu’à cause du manque de clients, il n’ouvrait plus qu’une ou deux fois par semaine, « pour faire le ménage ». 

« Beaucoup de familles ont perdu leur commerce parce qu’il n’y a pas de touristes », a déclaré Aboud, un autre marchand de souvenirs, qui a préféré ne pas donner son nom de famille.

De même, dans la vieille ville de Jérusalem, à seulement huit kilomètres de Bethléem mais situé à l’autre côté du mur de séparation construit par Israël, le quartier chrétien a abandonné les traditionnelles décorations de Noël.

La municipalité a renoncé à son traditionnel arbre de Noël à l’entrée principale du quartier, la Nouvelle Porte, et les crèches ont été limitées aux résidences.

Exode

Le renforcement de la sécurité autour de Bethléem depuis le début de la guerre, ainsi que les difficultés économiques, ont poussé de nombreux habitants à quitter la ville. 

« Lorsque l’on ne peut pas répondre aux besoins de son fils, je ne pense pas que l’on puisse cesser de réfléchir à comment y répondre », a déclaré Salman, le maire de la ville. 

Pour cette raison, « beaucoup de gens ont quitté la ville au cours de cette dernière année », a-t-il déclaré, estimant qu’environ 470 familles chrétiennes avaient quitté la région de Bethléem.

Toutefois, le phénomène ne se limite pas aux chrétiens, qui représentaient environ 11 % des 215 000 habitants de la région (2017). 

Le Père Frédéric Masson, prêtre syrien catholique de la paroisse de Bethléem, a déclaré que les chrétiens et les non-chrétiens quittaient Bethléem depuis longtemps, mais que « les événements récents ont accéléré et amplifié le processus ». 

En particulier ce sont les « jeunes qui ne peuvent pas se projeter dans l’avenir » qui se joignent à l’exode, a déclaré M. Masson. 

« Lorsque votre avenir est confisqué par le pouvoir politique actuel… cela tue l’espoir », a-t-il déclaré.

Faisant écho au père Masson, Fayrouz Aboud, directrice de l’Alliance française de Bethléem, un institut culturel qui offre des cours de langue, a déclaré qu’à l’heure actuelle, « l’espoir est devenu plus douloureux que le désespoir ».

Alors que les politiciens israéliens parlent de plus en plus d’annexer la Cisjordanie, elle explique que de nombreux jeunes viennent lui demander d’apprendre le français et d’acquérir des compétences qui leur permettraient de vivre à l’étranger.

Son propre fils, de 30 ans, lui a même dit : « Viens, quittons cet endroit, (les Israéliens) vont venir. Ils vont nous tuer ».

Source : The Mercury
Traduction : SP pour l’Agence Média Palestine

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