‘Moins que des esclaves’ : les Palestiniens détenus par Israël malgré le cessez-le-feu

Israël a arrêté plus de Palestiniens qu’il n’en a libérés à la suite de son accord de cessez-le-feu avec le Hamas.

Par Mat Nashed, le 24 janvier 2025

Une prisonnière palestinienne libérée embrasse son enfant après sa libération d’une prison israélienne dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu à Gaza, à Ramallah, en Cisjordanie occupée par Israël, le 20 janvier 2025 [Ammar Awad/Reuters].

Lorsque l’accord de cessez-le-feu à Gaza entre Israël et le Hamas a été annoncé le 15 janvier, Ghassan Alyeean raconte que son premier sentiment a été le soulagement de voir que le massacre de ses compatriotes allait enfin cesser.

Comme tout le monde en Cisjordanie occupée, Ghassan Alyeean était impatient de célébrer la libération de 90 prisonniers palestiniens qui devaient être relâchés dans les prochains jours en échange de trois prisonnières israéliennes dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu.

Mais le lendemain – le 16 janvier, trois jours avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu – des soldats israéliens ont fait irruption au domicile d’Alyeean à Bethléem et ont enlevé son fils de 22 ans, Adam, qui était censé passer des examens universitaires dans les jours à venir.

» Ils l’ont enlevé sans raison », explique M. Alyeean, 60 ans, à Al Jazeera par téléphone. » Il n’y avait aucun moyen de le défendre, ni de défendre ma famille.

« Nous ne sommes pas des saboteurs », a-t-il ajouté, ce qui signifie qu’ils ne résistent pas et ne provoquent pas de troubles.

Depuis l’annonce du cessez-le-feu à Gaza, Israël a arrêté au moins 95 Palestiniens lors de raids et à des points de contrôle sans raison précise en Cisjordanie, selon Jenna Abu Hasna, chercheuse chez Addameer, une organisation de la société civile palestinienne qui surveille les arrestations et les détentions dans le territoire occupé.

Nombre d’entre eux ont été arrêtés dans les quelques jours qui ont suivi le début du cessez-le-feu, entré en vigueur le 19 janvier.

L’incarcération massive de Palestiniens n’est qu’une des caractéristiques de l’occupation illégale de la Cisjordanie par Israël, qui implique également l’expansion des colonies israéliennes illégales et le meurtre, la blessure et la dépossession massive de civils, selon les groupes de défense des droits et les familles des prisonniers.

« La situation que nous vivons est vraiment difficile en ce moment. Nous sommes traités comme des esclaves … ou même moins que des esclaves », a déclaré Alyeean, depuis son domicile.

Outil de répression

Depuis qu’Israël a saisi et occupé Jérusalem-Est, la Cisjordanie et Gaza au cours de la guerre israélo-arabe de 1967, Israël a emprisonné quelque 800 000 Palestiniens dans l’ensemble du territoire occupé, selon les Nations unies et B’Tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme.

« L’incarcération de masse fait partie du régime d’apartheid », a déclaré Sharon Parnes, porte-parole de B’Tselem, à Al Jazeera.

« Cela fait partie des efforts déployés pour rendre la vie des Palestiniens misérable afin de les inciter à partir », a-t-il ajouté.

Abuhasna, d’Addameer, a également précisé qu’Israël a pour habitude de réarrêter des dizaines, voire des centaines, de Palestiniens récemment libérés dans le cadre d’« accords de captivité ». Cela a parfois eu lieu immédiatement après la conclusion d’un accord, mais parfois aussi des mois, voire des années plus tard.

Elle a fait référence à l’accord de captivité pour le retour du soldat israélien Gilad Shalit, qui avait été capturé par le Hamas lors d’un raid transfrontalier et ramené à Gaza en 2005.

Cinq ans plus tard, Shalit a finalement été libéré en échange de 1 027 prisonniers palestiniens, dont Yahya Sinwar, qui a aidé à orchestrer les attaques du 7 octobre et qu’Israël a tué à Gaza en octobre de l’année dernière.

Trois ans plus tard, Israël a perquisitionné des maisons et arrêté à nouveau des dizaines de Palestiniens qui avaient été libérés dans le cadre de l’accord Shalit, sans raison manifeste.

En outre, Israël a arrêté et réarrêté des centaines de personnes en Cisjordanie depuis qu’il a conclu un accord de captivité avec le Hamas lors d’un cessez-le-feu temporaire entre les deux parties belligérantes en novembre 2023, a déclaré M. Abuhasna.

« La tactique consistant à détenir des Palestiniens, même en cas d’accord ou d’échange de prisonniers, n’est pas nouvelle », a-t-elle déclaré à Al Jazeera.

« L’occupation [israélienne] continue de détenir des Palestiniens le jour même de la libération des prisonniers et parfois des jours ou des années après, car c’est ce que fait une occupation : elle viole le droit international », a-t-elle ajouté.

Une porte tournante

Malgré les récentes arrestations, de nombreuses familles palestiniennes ont pu accueillir leurs proches chez elles après le dernier échange de captifs, le 20 janvier.

Mohamed Amro, 55 ans, père de sept enfants, qui vit à Hébron, raconte avoir enfin retrouvé sa fille de 23 ans, Janin, qui avait été enlevée en pleine nuit au domicile familial lors d’un raid israélien le 3 décembre 2023, soit moins de deux mois après le début de la guerre contre Gaza.

Il se remémore encore les événements de cette nuit éprouvante, qui sont devenus une réalité commune pour de nombreux Palestiniens vivant sous l’occupation en Cisjordanie.

« Les soldats de l’occupation ont enfoncé la porte et sont entrés en trombe, puis l’ont enlevée de son lit », a expliqué M. Amro à Al Jazeera.

Janin a été placée en détention administrative, une procédure héritée du mandat colonial du Royaume-Uni en Palestine, qui a duré de 1920 à 1948. Pendant cette période, le Royaume-Uni a souvent emprisonné des critiques et des résistants palestiniens sans raison et sans procès, sur la base d’accusations secrètes.

Lorsqu’Israël a obtenu le statut d’État après avoir expulsé les Palestiniens de leurs terres en 1948 – un événement appelé Nakba, ou « catastrophe » -, il a intégré ce processus afin de juger les Palestiniens devant des tribunaux militaires plutôt que devant les tribunaux civils où sont jugés les Israéliens.

M. Amro a déclaré que sa fille ne savait toujours pas si des charges avaient été retenues contre elle et qu’elle avait été soumise à des mauvais traitements extrêmes en prison. « Du jour où elle a été emmenée jusqu’au jour où elle a été libérée, Janin a dormi et s’est réveillée sur le sol froid toutes les nuits. Sa chambre était aussi très froide […] et elle avait constamment peur », a-t-il déclaré.

Menaces et intimidations

Amro faisait partie des centaines de personnes qui ont attendu dans le froid pendant une dizaine d’heures à Beitounia, en Cisjordanie, que les prisonniers palestiniens de l’échange de prisonniers soient libérés.

Les prisonniers étaient censés être libérés vers 16 heures (14 heures GMT) en fin d’après-midi le 19 janvier, mais cette sortie a été retardée jusqu’à 2 heures du matin (00 heure GMT) le lendemain. En voyant enfin Janin sortir en titubant, Amro constate immédiatement qu’elle a perdu beaucoup de poids et qu’elle a des poches sous les yeux à cause du manque de sommeil. Il ramène rapidement sa fille à la maison, afin qu’elle puisse se reposer et passer enfin une bonne nuit de sommeil après avoir passé plus d’un an en prison.

» Elle était traumatisée », confie M. Amro à Al Jazeera. » Elle n’était pas en mesure d’expliquer comment ils l’avaient traitée en prison ».

Le lendemain, des soldats israéliens frappent à la porte d’Amro et l’avertissent de ne pas organiser de fête ou de ne pas célébrer la libération de Janin, sous peine de l’arrêter à nouveau.

Il a promis de ne pas le faire, mais reste terrifié à l’idée que les soldats israéliens fassent une nouvelle descente chez lui pour arrêter Janin ou l’un de ses autres enfants.

Vivre sous l’occupation, explique-t-il, c’est notamment se rendre compte que ses proches peuvent être arrêtés à tout moment sans raison particulière.

« Il y a beaucoup de peur en ce moment à cause de l’escalade de la situation en Cisjordanie », a-t-il déclaré, résigné.

» Chaque jour, l’armée d’occupation arrête 30 à 40, voire 50 nouveaux prisonniers ».

Source : Al Jazeera : Al Jazeera

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Al Jazeera

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