Plus d’un demi-million de Palestiniens ont regagné le nord de Gaza ces dernières semaines, pour y trouver une destruction accablante et peu d’aide humanitaire.
Par Ahmed Ahmed, le 13 février 2025

Mohammad Al-Amarin n’aurait jamais imaginé pouvoir retourner chez lui, dans le quartier de Zaytoun, à Gaza. Ce père de quatre enfants âgé de 34 ans et chef cuisinier d’Al-Taboon, l’une des pizzerias les plus connues de Gaza, avait été déplacé cinq fois depuis de son départ forcé de chez lui lors de l’incursion terrestre d’Israël en novembre 2023. Il était resté dans le sud de Gaza avec sa famille et avait même collaboré avec World Central Kitchen pour nourrir des milliers d’autres Palestiniens déplacés dans des camps de tentes. Mais il attendait toujours avec impatience le jour où il pourrait retourner dans le nord.
Al-Amarin faisait partie des plus de 586 000 Palestiniens déplacés qui ont commencé leur voyage de retour dans les jours qui ont suivi le 27 janvier, lorsque l’armée israélienne a ouvert le passage à travers le corridor de Netzarim – une bande de terre de six kilomètres qui traverse Gaza en deux et dont les forces israéliennes ne se sont que récemment retirées après avoir occupé la zone pendant plus d’un an. La plupart de ces personnes avaient été déplacées de force en novembre 2023, lorsque les forces israéliennes ont déclaré le nord de Gaza zone militaire.
Al-Amarin a effectué seul le difficile voyage de retour vers le nord ; il voulait s’assurer que sa maison était toujours debout et habitable avant que sa mère de 70 ans et ses jeunes filles ne le rejoignent. En mettant les pieds dans sa maison, qui n’avait été que partiellement détruite par les bombardements, Al-Amarin a été submergé par l’émotion. « C’était comme un rêve d’être de nouveau chez moi après tout ce que j’avais enduré. J’ai pleuré. J’ai embrassé les murs et le sol. J’ai commencé à nettoyer les décombres immédiatement, alors que ma femme et mes filles me suppliaient de les ramener à la maison », a-t-il déclaré à +972.
Pourtant, la joie de rentrer chez lui était déjà ternie par les scènes de destruction totale qui accueillaient Al-Amarin. « J’étais rempli [à la fois] de larmes de joie et de douleur en marchant dans les rues de Gaza », se souvient-il. « J’étais reconnaissant de pouvoir rentrer chez moi, mais l’endroit où j’ai grandi, autrefois connu pour sa beauté, avait disparu, transformé en un tas de décombres. »
Aujourd’hui, l’aide humanitaire n’arrivant pas en quantité suffisante dans le nord de Gaza, la situation d’Al-Amarin n’a fait que se dégrader. Alors qu’il recevait régulièrement des colis d’aide humanitaire à Khan Younis, il n’a rien reçu depuis son retour à Gaza. « De nombreuses personnes déplacées, comme moi, sont rentrées avec très peu d’effets personnels et n’ont rien trouvé à manger, à moins de pouvoir se permettre d’acheter de la nourriture elles-mêmes », a-t-il déclaré à +972. « Je ne sais pas quand, ni si, je recevrai quoi que ce soit à nouveau. »

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 19 janvier, l’ONU rapporte qu’elle a pu acheminer l’aide et les fournitures dans toute la bande de Gaza, y compris au nord de Netzarim. Mais les responsables admettent qu’ils sont loin de répondre aux besoins de plus de 2 millions de Gazaouis, dont beaucoup ont souffert de la famine ces derniers mois et sont actuellement confrontés à des conditions hivernales glaciales et à des abris inadéquats.
La question de l’aide humanitaire menace également de faire dérailler le cessez-le-feu, le Hamas accusant Israël de violer l’accord en empêchant l’entrée de fournitures médicales, de tentes, de carburant et de matériaux de construction dont le besoin est urgent, ce que même les responsables et médiateurs israéliens ont confirmé. Israël semble maintenant augmenter le nombre de camions d’aide qu’il autorise à entrer dans Gaza, mais alors que les forces israéliennes continuent d’attaquer les Palestiniens et que les dirigeants américains et israéliens clament haut et fort leur intention de déplacer et de nettoyer ethniquement l’ensemble de la population de Gaza, on ne sait pas combien de temps la trêve pourra encore tenir.
« Nous n’avons nulle part où aller »
Comme Al-Amarin, Sharifa Hassan, 35 ans, était impatiente de retourner à Gaza après une série d’évacuations éprouvantes. Hassan et sa famille de quatre personnes ont d’abord fui leur domicile à Tel al-Hawa, un quartier à l’ouest de la ville de Gaza, le 14 octobre 2023, au début de l’invasion terrestre israélienne.
« Nous ne voulions pas quitter notre maison jusqu’à ce qu’un obus d’artillerie israélien frappe notre toit au milieu de la nuit », a-t-elle raconté. « Nous avons fui à pied vers l’hôpital Al-Quds sous les tirs israéliens et y sommes restés pendant 30 jours jusqu’à ce que les forces israéliennes encerclent l’hôpital et nous forcent, évacués et patients, à nous déplacer vers le sud. »
Hassan a été blessée à deux reprises lors de frappes aériennes israéliennes pendant son déplacement dans le sud de Gaza. Sa famille s’était réfugiée dans l’immeuble résidentiel Al-Turkmani à Nuseirat, dans le centre de Gaza, lorsque les forces israéliennes l’ont bombardé le 18 octobre 2024 sans avertissement. Hassan se souvient que trois ambulances sont arrivées pour emmener les blessés, mais que des quadricoptères israéliens ont ouvert le feu sur elles. « Les gens nous ont sortis, mes enfants et moi, des décombres », a-t-elle raconté. « Nous avons eu de la chance de nous en sortir avec des blessures légères. »

Hassan et sa famille ont repris espoir après l’annonce du cessez-le-feu. Ils ont attendu quelques jours et ont estimé qu’il était sans danger de retourner à Gaza et de retrouver les deux frères et sœurs d’Hassan restés dans le nord.
Le 25 janvier, ils ont démonté leur tente à Az-Zawayda, un quartier de Deir Al-Balah au milieu de la bande de Gaza, et ont récupéré leurs affaires. Le lendemain matin à 9 heures, ils ont entamé le trajet de 13 kilomètres jusqu’à la ville de Gaza, qui a duré 12 heures en raison de la foule d’autres personnes qui se déplaçaient également vers le nord.
« Le voyage a été extrêmement épuisant, surtout pour mes trois enfants », a déclaré Hassan à +972. « Nous avions désespérément besoin d’eau, car nous transportions nos affaires et marchions le long de la route endommagée par les bulldozers israéliens. »
Ils ont également été choqués de constater l’ampleur catastrophique des destructions dans la ville de Gaza, y compris dans leur propre quartier. « Je ne reconnaissais plus ma maison ni celles de mes voisins ; elles s’étaient toutes effondrées les unes sur les autres », a-t-elle déclaré. « Mes enfants se sont mis à pleurer, car ils s’imaginaient qu’ils allaient enfin pouvoir dormir dans leur propre lit, dans leur chambre. Mon mari s’est effondré. Je l’ai regardé et je ne savais pas quoi faire ni où aller. »
Hassan et sa famille sont allés s’installer dans la maison partiellement détruite de ses parents, dans le quartier d’Al-Karama, au nord de la ville de Gaza. Cependant, ils continuent de souffrir d’un manque d’eau potable et de connexion Internet, en raison des bombardements systématiques d’Israël sur la plupart des sources d’eau de Gaza pendant son siège du nord.
Au cours des trois semaines qui se sont écoulées depuis le retour de Hassan à Gaza, elle n’a pas reçu un seul colis d’aide. « Mes frères et sœurs partagent avec moi toute la nourriture et les vêtements qu’ils ont. Bien qu’il y ait de la nourriture abordable sur les marchés, les habitants de Gaza n’ont pas l’argent pour l’acheter. » Elle craint en outre que la lenteur du processus de distribution de l’aide ne soit pas une conséquence de la situation, mais une manœuvre délibérée d’Israël visant à forcer les Palestiniens à quitter la bande de Gaza. « Je crains qu’Israël et les États-Unis ne manipulent la situation, en retardant la reconstruction de Gaza pour que nous continuions à souffrir », a-t-elle déclaré à +972. « Leur objectif semble être de pousser les habitants de Gaza vers une « migration volontaire ». »
« Je comptais les jours avant de pouvoir rentrer »
Ahmed Al-Zaim, 32 ans, a évacué sa maison de la rue Al-Nasr, dans l’ouest de la ville de Gaza, lors de la première semaine de l’assaut israélien sur Gaza en octobre 2014. Il a loué un petit studio dans le quartier d’Az-Zawayda. Quelques mois plus tard, un parent l’a appelé pour lui dire que sa maison avait été gravement endommagée lors de l’invasion terrestre d’Israël.
« Perdre ma maison a été déchirant », a déclaré Al-Zaim. « Chaque partie de celle-ci renfermait des souvenirs. Mais j’étais reconnaissant que ma famille et moi n’y soyons pas lorsque la maison a été bombardée. Tant que nous sommes en vie, nous pouvons reconstruire. »
Avant la guerre, Al-Zaim possédait un magasin de téléphones portables dans la rue Al-Nasr, mais il a été détruit par une frappe aérienne israélienne en novembre 2003. Lorsqu’il a été évacué vers le sud, il a emporté toutes ses économies et de la nourriture pour quelques jours, pensant que la guerre serait bientôt terminée.
« Après le premier mois d’évacuation, j’ai dépensé tout l’argent que j’avais. J’ai dû emprunter de l’argent à mes amis pour acheter de la nourriture pour ma famille », explique Al-Zaim. « J’ai ouvert un stand de vente d’accessoires de téléphonie pour gagner ma vie. Je comptais les jours jusqu’à ce que je puisse retourner dans mon quartier de la ville de Gaza ; c’était comme un rêve. »
Al-Zaim a été l’un des premiers à retourner dans le nord, mais il est parti sans sa famille : son père de 69 ans souffre de rhumatismes aux genoux et ne pourrait pas supporter la marche, et sa femme, Marah, est enceinte de trois mois de leur deuxième enfant. « J’avais peur que ce voyage épuisant n’affecte sa santé et celle de notre futur bébé. »
Al-Zaim est retourné dans le nord avec l’espoir qu’il resterait au moins une petite partie de sa maison debout pour que sa famille puisse y retourner, maison qu’il avait construite avec ses frères pendant sept ans. Mais l’ampleur des destructions l’a anéanti. « Je suis malade physiquement et mentalement depuis le jour où je suis rentré et où j’ai vu ma maison détruite », a-t-il déclaré à +972. « J’ai peur que si nous essayons de dormir ici [dans ma maison], les pierres nous tombent sur la tête. »
Il n’a pas encore informé son père de l’étendue des dégâts. « Je lui ai conseillé de rester [dans le sud] jusqu’à ce que nous puissions tout réparer. J’ai peur que s’il vient et voit ça, cela pourrait affecter sa santé, car il a des problèmes cardiaques. »
En attendant, Al-Zaim est retourné dans le même studio qu’il louait dans le sud jusqu’à ce que la reconstruction commence dans le nord. Pour l’instant, lui et sa famille n’ont reçu aucune aide et il est rongé par l’incertitude quant à la suite des événements.
« La zone où j’habitais dans la ville de Gaza est inhabitable. Même si je veux installer une tente sur les décombres de ma maison, le point le plus proche pour aller chercher de l’eau est à deux kilomètres, et il n’y a pas de transport. Je ne sais pas quoi faire : prendre soin de ma femme enceinte, aller chercher de l’eau et nettoyer les décombres de ma maison, ou travailler pour gagner de l’argent afin d’apporter de la nourriture et des médicaments à mon père », a-t-il expliqué.
« Israël ne nous a rien laissé à Gaza. La guerre a beau être terminée, nos souffrances ne font que continuer. »
Ahmed Ahmed est le pseudonyme d’un journaliste de la ville de Gaza qui a demandé à rester anonyme par crainte de représailles.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine