Qui s’indigne des violences sexuelles ‘systématiques’ à l’encontre des Palestiniens et Palestiniennes ? 

Malgré l’accumulation de preuves des crimes sexuels commis par Tsahal, les organisations de femmes israéliennes ont largement ignoré ou nié le nouveau rapport accablant des Nations unies. 

Par Samah Salaime, 17 avril 2025 

Un manifestant proteste devant le siège des Nations unies à New York, attirant l’attention sur les violences sexuelles commises contre des femmes lors de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, le 4 décembre 2023. (Yakov Binyamin/Flash90)



Le mois dernier, un rapport destiné au Conseil des droits de l’homme des Nations unies a affirmé – comme les Palestiniens l’affirment depuis longtemps – qu’Israël fait un usage systématique de la violence sexuelle et des crimes fondés sur le genre contre les femmes, les hommes et les enfants palestiniens depuis le 7 octobre.  

L’enquête, publiée avec les témoignages éprouvants de survivant·e·s et de témoins, de représentants de la société civile, d’universitaires, d’avocats et d’experts médicaux au cours d’une audience de deux jours à Genève, a abouti sur plusieurs conclusions essentielles qui, à mes yeux, exigent une attention et une action immédiates de la part du monde entier. 

Tout d’abord, le recours à la violence fondée sur le genre par les forces israéliennes s’est considérablement intensifié depuis le 7 octobre, tant en termes d’échelle que d’intensité : elle est devenue « systématique ». Elle constitue un outil d’oppression collective visant à briser les familles et les communautés palestiniennes de l’intérieur – une tactique empruntée à d’autres campagnes de violence ethnique et de génocide perpétrées en Bosnie, au Rwanda, au Nigeria et en Irak, où les corps des femmes représentaient autant de champs de bataille.  

Deuxièmement, les centres de détention militaire israéliens sont devenus les épicentres des pires formes de violence sexuelle. Au-delà des images largement diffusées de prisonniers palestiniens dénudés à Gaza, le rapport fait état de témoignages provenant de centres de détentions tels Sde Teiman, où les prisonniers, privés de toute protection juridique et hors de la vue des médias, sont violés, abusés sexuellement et torturés. Dans certains cas, comme celui du médecin Adnan Al-Bursh, des prisonniers sont vraisemblablement morts des suites directes des violences subies pendant leur détention. 

Troisièmement, le rapport documente l’augmentation de la violence sexiste qui s’exerce en ligne contre les Palestiniens. Les groupes vulnérables, en particulier les femmes et les jeunes, sont exposés à la honte et à la diffamation, et leur orientation sexuelle ou leur comportement privé sont utilisés comme moyen de coercition et d’intimidation. 

Quatrièmement, le rapport relève que les soldats ne sont pas les seuls à avoir recours à la violence genrée : les colons israéliens, bien souvent sous la protection de l’armée, harcèlent sexuellement les femmes palestiniennes en Cisjordanie et instrumentalisent les rôles traditionnels assignés aux hommes et aux femmes dans la société palestinienne comme méthode d’oppression. 

Les conclusions du rapport, élaboré par la Commission des Nations unies chargée d’enquêter sur le territoire palestinien occupé, s’appuient non seulement sur les récits des survivant·e·s, mais aussi sur les messages publiés par les soldats israéliens sur leurs propres réseaux sociaux. Ils y décrivent fièrement leurs actes « héroïques » de vengeance masculine, fouillent dans les tiroirs des Palestiniennes, posent en sous-vêtements et taguent des graffitis misogynes à l’intérieur des maisons occupées à Gaza. Bien qu’une grande partie du contenu ait depuis été supprimée des réseaux sociaux, celui-ci est conservé dans le rapport onusien pour les générations futures.  

Ces vidéos et images, aussi répréhensibles et criminelles soient-elles, n’en demeurent pas moins en deçà des violences sexuelles extrêmes documentées dans le rapport. Déshabillage forcé en public, fouilles invasives, retrait forcé du hijab, dégradations sexuelles filmées sous la menace de nouvelles violences, menaces et viols comme formes de torture : ces actes constituent non seulement des atteintes à la dignité, mais aussi de profondes agressions physiques et sexuelles. 

Le rapport affirme que femmes et hommes confondus ont été la cible de tels crimes, et pointe la responsabilité des médias israéliens dans leur normalisation : ces derniers ayant invité des commentateurs et des présentateurs à discuter de l’utilisation de la violence sexuelle comme outil légitime en temps de guerre. Le rapport met ainsi en lumière les commentaires d’Eliyahu Yosian, de l’institut Misgav, sur la chaîne d’extrême droite Channel 14 : « La femme est un ennemi, le bébé est un ennemi et la femme enceinte est une ennemie » (le clip a été visionné plus de 1,6 millions de fois après sa mise en ligne).  

Selon les témoignages présentés à la Commission, les femmes ont souvent beaucoup de mal à dénoncer les abus dont elles sont victimes. Un exemple notable est celui d’un poste de contrôle militaire israélien près d’Hébron, où un soldat s’exposait régulièrement aux femmes palestiniennes qui passaient. Une étudiante qui doit passer par ce poste de contrôle pour se rendre à l’école choisira probablement de garder le silence, plutôt que de risquer de dénoncer un abus qui pourrait certainement mettre un terme à ses études. 

Les attaques contre les centres de santé sexuelle et génésique à Gaza constituent une autre facette des crimes de guerre commis par Israël. Le rapport démontre que les forces israéliennes ont systématiquement pris pour cible les infrastructures de santé maternelle à Gaza, les centres de traitement de la fertilité et, plus largement, toute institution liée à la santé reproductive. Le rapport fait également état de cas où des snipers ont tiré sur des femmes enceintes et âgées, et où des médecins ont dû pratiquer des césariennes sans désinfectant ni anesthésie. 

Sur la base des conclusions du rapport, Navi Pillay, présidente de la Commission d’enquête, a déclaré : « Il est impossible de ne pas conclure qu’Israël a recours à la violence sexuelle et fondée sur le genre contre les Palestiniens pour instiller la peur et perpétuer un système d’oppression qui sape leur droit à l’autodétermination. » 

Un réveil brutal 

À la différence du rapport parallèle de l’ONU publié en mars 2024, qui enquêtait sur les crimes sexuels commis par des militants du Hamas contre des femmes israéliennes le 7 octobre, le rapport actuel n’a pas eu de grande couverture médiatique, que ce soit en Israël ou dans le monde. 

L’escalade dramatique des crimes et violences de genre contre les femmes et les filles pendant la guerre, et la démonstration sans équivoque que l’utilisation de ces méthodes par Israël est systématique, et non le fait d’actes isolés commis par des soldats individuels, n’auront pas suffi à inciter les organisations féminines israéliennes ou internationales à s’opposer à cette question, à la condamner ou même à demander qu’elle soit examinée de manière urgente. 

La parution du rapport quelques jours avant la Journée internationale des droits des femmes, n’a pas non plus suffi à déclencher des webinaires, des symposiums ou des conférences dans les universités du monde entier, ou encore des discussions prioritaires au sein des commissions parlementaires pour la promotion des droits des femmes. 

Ici, en Israël, les réactions vont du silence au déni pur et simple. « L’ONU soutient les terroristes de la Nukhba et le Hamas », a déclaré Hagit Pe’er, présidente de Na’amat, la plus grande organisation féminine israélienne. « Il s’agit d’un rapport aux forts relents antisémites. C’est une tentative de créer une réalité alternative et inversée en réponse au massacre sexuel perpétré par le Hamas contre des femmes et des hommes israéliens – dans le silence éloquent des institutions internationales, y compris les organisations de femmes du monde entier. Ce sont les mêmes organisations qui condamnent toute violence sexuelle, sauf si les victimes sont des femmes israéliennes et juives ». 

J’ai également soumis les conclusions du rapport au professeur Ruth Halperin-Kaddari et à l’ancienne procureur militaire en chef Sharon Zagagi-Pinhas du projet Dinah, une initiative chargée de documenter les violences sexuelles et fondées sur le genre commises par le Hamas. Toutes deux ont qualifié cette initiative de « nouvelle étape dans la campagne de délégitimation d’Israël ». 

« Depuis sa création en 2020, la [Commission d’enquête des Nations unies sur le territoire palestinien occupé] a adopté un parti pris unilatéral et anti-israélien dans la grande majorité de ses actions, ce qui se reflète clairement dans le rapport actuel », ont déclaré Halperin-Kaddari et Zagagi-Pinhas en réponse à ma demande.  

« Comment les affirmations faites dans ce rapport peuvent-elles être comparées aux crimes violents et brutaux perpétrés systématiquement et délibérément par le Hamas le 7 octobre – des actes horrifiques de viol, de mutilation génitale et de violence sexuelle infligés même à des cadavres », ont-elles poursuivi. « Il est profondément regrettable qu’au lieu d’inscrire le Hamas sur la liste noire des organisations qui commettent des violences sexuelles comme arme de guerre, la Commission ait choisi une autre voie. 

Avant d’ajouter : « En ce qui concerne les allégations elles-mêmes, si elles sont fondées, les autorités israéliennes sont tenues de mener une enquête en bonne et due forme – contrairement au Hamas qui nie systématiquement ses crimes ».  

Comme beaucoup de femmes en Israël, j’ai connu un réveil féministe brutal au cours de cette guerre. J’ai perdu des camarades palestiniens qui n’ont pas apprécié ma condamnation des violences commises par le Hamas contre les femmes israéliennes le 7 octobre, et j’ai perdu des amis juifs qui considéraient les femmes gazaouies comme des cibles légitimes. 

Après une douloureuse réflexion, j’ai appris la force et le courage que nous, les femmes, devons cultiver pour dénoncer sans équivoque toute violence contre le corps d’une femme, qu’elle soit palestinienne ou israélienne. Il ne devrait pas être nécessaire d’expliquer qu’aucune mère – que son enfant ait les cheveux roux ou la peau foncée, les yeux verts ou bruns – ne devrait être tuée, et qu’aucun bébé ne devrait être donné en pâture à l’insatiable machine de guerre d’hommes assoiffés de pouvoir et de richesses. 

Nous, les femmes – jeunes et âgées, mères et filles, féministes et même celles qui ne se définissent pas comme telles – devons élever la voix et dire : Assez de cette guerre. Ce pays ne sera pas libéré sur nos corps, et aucun avenir ne vaut la peine d’être construit sur les décombres de nos utérus. 

Traduction : JC pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine 

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