La politique israélienne « Tirer pour estropier  » en Cisjordanie occupée : les preuves émergent.

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Par Max Blumenthal, 8 août 2014

Les soldats israéliens utilisent des tirs réels et des balles expansives pour briser les jambes des manifestants de Cisjordanie.

Le 8 août à 10h, un résident du camp de réfugiés d’Al Amari nommé Muhammad Qatri et âgé de vingt ans est arrivé mort au complexe médical palestinien de Ramallah. Il avait été tué par des soldats israéliens pendant une manifestation près de la colonie illégale de Psagot en Cisjordanie, abattu d’une balle dans le cœur précisément à l’endroit de sa chemise où on lisait « Gaza ».

Dans le parking à l’extérieur de la salle des urgences de l’hôpital, un groupe d’hommes entonnent des chants en l’honneur du dernier jeune homme désarmé tombé devant le feu israélien au cours de ces dernières semaines sanglantes. Je suis arrivé aux grilles de l’hôpital avec un collègue et j’ai rencontré le docteur Rajai Abukhali, un médecin résident de 26 ans qui venait de téléphoner au père de Qatri pour lui annoncer la nouvelle. Pas tout à fait à la moitié de son service de nuit, Abukhalil en était déjà à son cinquième café et attendait encore un moment de liberté pour prendre un petit déjeuner.

Au kiosque à café derrière la salle des urgences, Abukhalil m’a raconté que le corps de Qatri était déjà froid en arrivant. Les soldats qui l’ont tué ont apparemment repoussé son évacuation pendant au moins une heure, excluant peut-être la possibilité de lui sauver la vie.

Le plus perturbant dans ce massacre est que des scènes comme celle-ci soient devenues si familières. Selon Abukhalil, pendant les six derniers mois, l’armée israélienne a manifesté clairement son modèle d’action : soit tirer pour tuer, soit tirer pour estropier. Plutôt que de disperser les manifestations avec des moyens traditionnels comme les gaz lacrymogènes ou les balles recouvertes de caoutchouc, l’armée a commencé à tirer sur les genoux et les fémurs des manifestants, ou en ciblant leurs organes vitaux.

Comme l’ancienne politique de l’armée, qui brisait les bras des jeunes lanceurs de pierre pour dissuader les manifestants de la première Intifada, la nouvelle tactique suggère une tentative d’éclaircir les rangs des manifestants en brisant leurs jambes. En érodant la ligne de front des manifestations par la force brute, l’armée israélienne cherche apparemment à miner la capacité de la société palestinienne à mettre en place une nouvelle Intifada efficace.

« Cela ressemble beaucoup à la politique des os brisés de la première Intifada, mais c’est plus spécifique et attire moins l’attention des médias », m’a expliqué Abukhalil. « Quelque soit la volonté des gens de résister, tout le monde est humain. Si on vous tire dessus ou sur quelqu’un proche de vous, vous ne voudrez pas être en première ligne au prochain affrontement. Et alors, il n’y aura pas de première ligne ».

Abukhalil dit que la première fois qu’il a été témoin de cette politique de « tirer pour estropier », c’était au camp de réfugiés de Jalazone près de Ramallah. À la suite du meurtre gratuit d’un garçon de 15 ans tué dans le dos en décembre par un sniper caché près de son école, des manifestations avaient fait rage dans tout le camp. Selon Abukhalil, pendant la répression par l’armée, celle-ci avait commencé à viser les genoux des manifestants.

« Tous les vendredis, nous avions entre dix et vingt types arrivant à l’hôpital avec des blessures autour des genoux », a-t-il expliqué. Il a ajouté que beaucoup des manifestants blessés affirmaient avoir entendu le commandant israélien à Jalazone, « Hilal », ordonner à ses soldats d’estropier autant de manifestants qu’ils pouvaient.

Lors de la marche de 10000 personnes approuvée par l’Autorité palestinienne le 24 juin de Ramallah au checkpoint de Qalandia séparant de Jérusalem la ville occupée, la tactique « tirer pour estropier » a été affichée ouvertement. Les vingt premières blessures traitées par les médecins au complexe médical palestinien avaient été faites par des armes tirant au-dessus de la ceinture —les soldats visaient les organes vitaux. Deux [des blessés] décédèrent finalement tandis que les autres étaient miraculeusement sauvés malgré des blessures critiques.

“C’était « tirer pour tuer » au début, » se souvient Abukhalil. “Nous avions de huit à dix cas extrêmement critiques. C’était incroyable qu’ils aient pu survivre. L’un d’eux avait une balle dans le cœur. Un autre une balle dans les vaisseaux principaux du cou. Ensuite, après les premières blessures, cela a changé, c’était « tirer pour estropier ». Nous avons eu plus de 100 blessures dans le fémur et le genou ».

Le jour suivant, le ministre palestinien de la santé a fait état d’un total de 280 blessés, la plupart par balles réelles israéliennes. Abukhalil m’a dit qu’il avait fallu quatre jours à l’équipe des chirurgiens orthopédistes de l’hôpital pour achever leurs opérations. « Beaucoup des blessés vont souffrir à vie », dit-il. « Ils ont du métal dans les jambes ; beaucoup auront pour toujours des difficultés à marcher, voire seront estropiés à 100%. Beaucoup ne seront plus capables de courir ou de marcher sur de longues distances sans douleur ».

Les médecins du centre médical palestinien ont récemment commencé à traiter des blessures graves infligées par les balles « dum dum ». Interdites selon le droit humanitaire usuel, ce type de munitions est conçu pour provoquer d’extrêmes dommages aux tissus en s’élargissant vers l’extérieur dès leur entrée, empêchant ainsi la balle de ressortir.
« Vous ne pouvez pas l’extraire », dit Abukhalil à propos des balles dum dum. « Elle entre et explose et s’étend. Si vous essayer de l’enlever, vous pouvez blesser le muscle ou l’os, donc si cela touche un os, vous devez juste la laisser là ».
Les médecins qui ont travaillé plus de dix ans à l’hôpital ont dit à Abukhalil qu’ils n’ont pas vu de balles « dum dum » utilisées depuis les jours sanglants de la deuxième Intifada en 2000.

Pour la première fois depuis le début de l’attaque israélienne la plus récente sur la bande de Gaza, qui a fait plus de 1900 morts, le Centre médical palestinien de Ramallah a commencé à recevoir des survivants évacués de Gaza pour des soins post-opératoires. J’ai rencontré deux d’entre eux dans la salle de réveil.

Majdi Abu Ganima git dans un lit sur un côté de la salle, sa jambe droite gravement fracturée et gonflée à cause des éclats d’obus reçus pendant l’attaque israélienne combinée, aérienne et terrestre, près de Shujaiya. De l’autre côté de la pièce se trouve Waseem Washa’a, lui aussi victime de fractures multiples aux jambes infligées par l’artillerie et le feu des F-16 pendant l’attaque.

Les deux jeunes gens se trouvent encore sous l’effet de l’anesthésie tandis quelques hommes de leurs familles bavardent à proximité. Washa’a m’a dit qu’il avait été blessé dans la rue alors qu’il essayait d’évacuer pendant un bombardement fourni. Il a été sauvé par des étrangers alors que sa maison était détruite par des missiles tirés d’un F-16 et il est arrivé le même jour à l’hôpital Shifa de Gaza, déjà bondé. Tout son quartier a été réduit à néant et il ne sait pas ce que sont devenus ses amis et ses voisins. Il avait de la chance d’être en vie.

Encore épuisé par le traumatisme subi, Washa’a me parle en phrases courtes, hachées. Finalement, à la fin de notre entretien, il me dit : “Ouvrez Gaza. Arrêtez le siège. C’est cela que je veux dire ».

Un “Jour de Rage” a été décidé dans toute la Palestine occupée pour protester contre l’attaque continuelle sur Gaza. Avec les manifestations prévues dans toutes les villes de Cisjordanie et Jérusalem-Est occupée, bien d’autres pourraient tomber devant les armes des soldats tirant pour estropier.

Max Blumenthal est un rédacteur principal à AlterNet, et l’auteur de Goliath and Republican Gomorrah (Basic/Nation Books, 2009). On le trouve sur Twitter à @MaxBlumenthal.

Traduction: Catherine G. pour l’Agence Média Palestine

Source: Alternet

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