Prisonniers dans nos propres maisons : Un regard sur la vie dans Hébron occupée

Voilà vingt-et-un ans que Baruch Goldstein est entré dans le Caveau des Patriarches d’Hébron et a massacré des douzaines de fidèles musulmans. Depuis lors, dans la ville, les Palestiniens subissent un âpre régime de séparation et de restriction de circulation. Quelques uns d’entre nous ne peuvent même pas sortir de chez eux.

Par Zleikha Muhtaseb

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La rue Shuhada dans la Vieille Ville d’Hébron, vide de tout trafic de véhicules ou de piétons palestiniens, le 13 novembre 2013. La rue Shuhada était le principal centre commercial de la ville lorsqu’elle a été fermée pour la première fois à la circulation des Palestiniens en 1994 après le Massacre à la Mosquée Ibrahimi, et plus tard aux piétons lorsque l’armée a fermé toute la zone commerciale.
(Photo : Keren Manor/Activestills.org)

Imaginez que vous êtes chez vous, assise sur votre confortable canapé, avec une tasse de thé et peut-être en train de regarder la vue depuis votre fenêtre. Vous êtes calme et en sécurité – ici personne ne peut vous faire de mal. Maintenant imaginez que la porte d’entrée de votre maison a été fermée à clef par une armée étrangère qui vous interdit de marcher dans la grand’ rue où se situe votre maison. Imaginez que, pour quitter votre maison, vous êtes obligée de faire une brèche ailleurs dans votre maison pour créer une sortie de secours. Imaginez que votre balcon est fermé par une barrière que vous avez construite afin de vous protéger contre des blocs de pierre jetés sur votre maison par vos voisins. Imaginez qu’à n’importe quel moment, des soldats peuvent faire irruption chez vous et y faire ce qu’ils veulent.

Il s’agit bien plus que d’une simple expérience imaginée – c’est ce à quoi ma vie ressemble, en vivant dans la rue Shuhada à Hébron. Résultat d’un ordre donné par les militaires israéliens, ma porte d’entrée, qui donne sur la rue, à été fermée à clef. Les voisins qui jettent des pierres sur mon balcon entouré d’une barrière, ce sont des citoyens israéliens qui ont peu à peu occupé les bâtiments et les foyers de ce quartier depuis quelques décennies. Les soldats qui peuvent entrer chez moi à volonté sont des soldats israéliens qui patrouillent dans la rue à toute heure du jour et de la nuit. Mais si je leur demande de l’aide quand on jette des pierres sur ma maison, ils ne répondront jamais.

Les visiteurs qui ne sont jamais venus ici pourraient avoir du mal à imaginer ce à quoi la rue Shuhada pouvait ressembler il y a des années, quand elle était pleine de vie et de boutiques – le centre commercial de la ville. Aujourd’hui, seuls les soldats et les colons sont autorisés à marcher dans les rues, tandis que les boutiques sont closes et leurs portes fermées à clef. Presque 80 pour cent des commerces de cette partie de la ville ont été fermés ces 20 dernières années, souvent après des ordres militaires au nom de la « sécurité ».

Selon certaines estimations, presque la moitié des résidents de cette zone sont partis. Et qui peut les en blâmer ? Qui n’envisagerait pas de quitter sa maison lorsqu’elle est devenue une prison, lorsque la source de ses revenus disparaissent, lorsque la peur et la violence règnent à chaque coin de rue, lorsque même l’acte le plus simple de la vie normale – une visite au cimetière ou appeler une ambulance – devient une opération compliquée à cause des restrictions de circulation ?

Cette semaine nous commémorons les 21 ans du Massacre du Caveau des Patriarches, dans lequel un résident de la colonie voisine Kiryat Arba a assassiné 29 fidèles musulmans et en a blessé plus de 100 autres. Je n’oublierai pas cette journée ni comment ces gens ont perdu la vie. Mais cette journée a changé Hébron, pas seulement à cause du chagrin, de la colère et de la peur que nous avons ressentis. Dans les années 1990, la présence de colons et de soldats à Hébron n’avait rien de nouveau, mais, dans le sillage du massacre, Israël a ajouté l’insulte à la blessure et a commencé à restreindre la liberté de circulation des Palestiniens dans la ville, surtout dans les zones proches des colonies. Ces mêmes restrictions n’ont fait que s’accroître en 2000 avec le début de la Seconde Intifada. Parallèlement à la présence sans fin des soldats et à la violence des colons, ils ont transformé la vie ici en un combat constant.

L’apartheid dans notre ville

L’expansion des colonies à Hébron affecte peu à peu de plus en plus de résidents de la ville. En 2014, des colons ont repris le bâtiment Rajbi, première colonie juive de la ville depuis les années 1980. Chaque nouvelle colonie fait de la vie des locaux un enfer.

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Des colons israéliens défilent dans la rue Shuhada le 24 février 2013, pour la parade de Purim de la colonie juive d’Hébron. Itamar Ben Gvir (L), est habillé comme un prisonnier palestinien en grève de la faim.
(photo : Activestills.org)

Israël dit que sa politique à Hébron se fonde sur la « sécurité ». Pourtant, il faut proclamer la vérité : Il n’y a pas de politique « fondée sur la sécurité », mais plutôt une politique d’apartheid. Il n’y pas de meilleure appellation pour une politique qui garantit des privilèges et l’immunité judiciaire à la minorité juive, dotée de la citoyenneté israélienne, qui vit au coeur de la ville palestinienne. Il n’y a pas de meilleure appellation pour une politique fondée sur la logique de séparation physique, qui utilise la présence de quelques centaines de colons vivant à Hébron comme une excuse pour fermer des rues entières aux Palestiniens.

Quand les gens me demandent, « comment pouvez vous continuer à vivre comme une prisonnière chez vous ? », ma réponse est simple : Je vis ici parce que c’est ma maison, ma rue et ma ville. Les colons veulent que nous partions, mais nous resterons et nous nous battrons pour notre droit de vivre librement chez nous.

Cette semaine, des militants d’Hébron, avec des supporters en Israël et à travers le monde, vont demander à Israël d’ouvrir la rue Shuhada. Cet appel fait partie d’un mouvement plus large qui réclame l’évacuation des colonies de notre ville, ainsi que la fin du contrôle militaire, des restrictions et de l’apartheid. Alors seulement serons nous capables de réhabiliter notre ville et nos communautés, qui ont été et continuent à être détruites par ce régime. Nous espérons un avenir où nous pourrons vivre paisiblement dans nos maisons et marcher sans danger dans nos rues. Nous espérons que quiconque croit en la justice, l’égalité et la paix rejoindra notre appel.

Zleikha Muhtaseb est une résidente de la rue Shuhada à Hébron, enseignante de Maternelle et militante dans l’association des Jeunes Contre les Colonies. Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Appel Local, site affilié à +972. Vous pouvez le lire en hébreu ici.

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Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source: +972

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