Le 6 mai 2015 (mis à jour le 7 mai)
Par Amjad Alqasis
L’occupation et la colonisation de la Palestine par Israël ne se limitent pas qu’à leurs aspects militaires, mais elles se manifestent aussi dans l’utilisation du tourisme en tant qu’outil politique. Israël utilise cet outil pour renforcer sa position en tant que puissance occupante et pour maintenir sa domination sur la terre et le peuple palestiniens, mais aussi comme instrument de diffusion de propagande vers des millions de touristes, dont des politiques, des dirigeants communautaires et des journalistes qui reçoivent des voyages gratuits en première classe pour Israël.
Tous ces voyages sont accompagnés par des guides touristiques israéliens bien formés, dont le but premier est de diffuser le récit officiel israélien parmi tous les visiteurs. Ce récit est créé en omettant toute information critique et en s’assurant qu’il n’y ait aucun contact entre les visiteurs et les communautés locales palestiniennes.
Israël sait tout simplement que l’exposition aux réalités présentes et historiques de l’occupation transformera le regard de la majorité des touristes en Palestine, qui reviendraient alors chez eux en opposants à la politique d’oppression d’Israël contre les Palestiniens. Par exemple en 2008, une campagne d’image de marque israélienne pour l’industrie touristique a été organisée pour détourner l’attention de l’occupation.
Comme l’explique Rifat Kassis, coordinateur de Kairos Palestine, « des millions de touristes vont à Bethléem, Palestine, tous les ans, sans parler à un seul Palestinien, et reviennent chez eux en ennemis de la Palestine et ambassadeurs d’Israël ». Eviter les zones palestiniennes dans les voyages touristiques israéliens délivre le message que les Palestiniens sont dangereux et qu’on ne peut leur faire confiance. Résultat, les touristes reviennent chez eux avec la fausse « confirmation » que les Palestiniens sont vraiment une menace pour la sécurité d’Israël et de ses touristes.
En plus, le labyrinthe de lois inégales et de restrictions donne aux agences de voyage israéliennes un avantage injuste en leur permettant de fournir à leurs groupes un service ininterrompu. Israël suit une stratégie à deux niveaux : premièrement, investir des millions de dollars dans son marché touristique afin d’attirer le maximum de visiteurs ; et deuxièmement, paralyser autant que possible le marché palestinien. Très peu de permis pour construire ou convertir des bâtiments en hôtels ont été accordés par les autorités israéliennes aux investisseurs dans le secteur palestinien durant les deux dernières décennies, pendant que au moins 15 ordonnances et règlements militaires relatifs au tourisme ont été émis depuis 1967 par les autorités d’occupation israéliennes.
Ces ordonnances ont rehaussé les exigences pour autoriser et faire fonctionner les institutions touristiques sans leur accorder les moyens nécessaires pour faire face aux améliorations requises. En conséquence du rehaussement des exigences qualitatives assorti d’un refus de sources de financement, beaucoup d’agences touristiques palestiniennes ont dû faire face à de sérieux problèmes tels que le défi souvent insurmontable d’une compétition inégale avec les agences israéliennes, ou la rétrogradation de leurs prestations touristiques. Les sociétés de tourisme israéliennes se sont vu offrir des prêts à long terme à des taux d’intérêt très avantageux, avec parfois une partie du prêt convertie en subvention. Les nouvelles sociétés de tourisme israéliennes sont susceptibles d’avoir des réductions d’impôts, et le vigoureux soutien du gouvernement aux entreprises israéliennes actives en Israël s’est révélé être une entrave majeure pour une compétition équitable avec les sociétés palestiniennes, qui sont totalement dépourvues de telles subventions ou autres aides. Sans possibilité d’accueillir plus de touristes pendant la haute saison, la Palestine est privée de la possibilité de recevoir des touristes pour une durée plus longue, ce qui fait que les visiteurs ne viennent que pour une petite journée en Palestine. Ceci a clairement de graves implications pour l’économie locale, et des zones, qui pourraient être des chances de premier ordre pour le développement du tourisme en Cisjordanie, ne peuvent se développer à cause de ces restrictions mises en place par les Israéliens.
Par ailleurs, très peu de guides touristiques palestiniens reçoivent l’autorisation de conduire des visites en Israël. 42 autorisations ont été accordées en 2005, seule période où de telles autorisations l’ont été. Aujourd’hui, 25 seulement de ces 42 fonctionnent encore, alors que 8.000 guides israéliens sont autorisés par le ministère du tourisme israélien à conduire des visites.
Liberté de circulation
Un autre moyen utilisé par Israël est la limitation de la liberté de circulation des touristes. Par exemple, lorsqu’elles essaient d’obtenir un visa, les agences israéliennes ne fournissent que les noms et les numéros de passeport, et elles obtiennent satisfaction sans délai. A l’opposé, les agences palestiniennes qui tentent la même démarche rencontrent des obstacles administratifs et ne peuvent garantir que leurs demandes de visas seront acceptées.
En outre si, lors d’un contrôle à la frontière, des touristes disent qu’ils vont visiter la Palestine, il y a une possibilité qu’ils soient retardés pour interrogatoire par les autorités israéliennes. En conséquence, certains sont expulsés pour raisons de « sécurité », tandis que d’autres sont expulsés sans aucune explication. Ayman Abu Al Zolouf, guide touristique local du Groupe de Tourisme Alternatif (ATG), raconte l’arrestation et l’interrogatoire d’un groupe de Suédois qu’il accompagnait en 2010 à Beit Sahour. Il explique qu’ils déjeunaient avec des familles locales lorsque quelques membres du groupe sortirent pour prendre des photos de Oush Gorab, zone voisine sous contrôle total israélien. Les forces israéliennes ont arrêté tout le groupe et ont transféré les touristes dans la colonie de Gush Etzion dans des véhicules de l’armée. Après avoir admis, sous pression des forces de sécurité, qu’ils faisaient partie d’un voyage organisé par ATG, le groupe a été relâché. A une autre occasion, un groupe de touristes britanniques guidé par Ayman Abu Al Zolouf a été arrêté par les forces militaires israéliennes alors qu’ils étaient près du mur d’annexion à côté de la colonie israélienne de Har Homa.
Selon l’Office de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA), les Palestiniens aussi bien que les touristes étaient obligés de franchir un réseau de plus de 500 checkpoints permanents et d’autres obstacles militaires qui restreignent la circulation, et à l’intérieur de la Cisjordanie et pour passer ses frontières. Maintenant, les checkpoints sont devenus de solides réalités au sol, certains ayant été transformés en « terminaux », qui reprennent les procédures de sécurité des aéroports avec vérification de permis, détecteurs de métaux, prise d’empreintes digitales et interrogatoire personnel. En outre, il y a des checkpoints « volants » temporaires érigés à divers endroits sans préavis. En moyenne, 65 checkpoints volants sont installés en Cisjordanie par semaine. Ra’fat Al Shomali, guide touristique palestinien, souligne l’impact paralysant de ces checkpoints, déclarant que souvent il n’a pas le temps de terminer ses visites à cause de l’attente imposée aux checkpoints.
Un autre obstacle pour organiser une visite, c’est la présence de 500.000 – 600.000 colons juifs israéliens illégaux qui vivent actuellement dans les TPO. Ils constituent une menace grandissante et conséquente pour les moyens d’existence des Palestiniens. Rami Kassis, directeur d’ATG, évoque le harcèlement des Palestiniens par les colons israéliens -souvent avec l’aide de soldats israéliens- comme l’un des obstacles majeurs auxquels doit faire face un guide touristique palestinien.
L’image de marque
Les Israéliens essaient aussi assidûment, par diverses stratégies, d’exclure les Palestiniens du marché crucial du pèlerinage chrétien. Comme conclut un rapport du Comité pour l’Exactitude des Reportages sur le Moyen Orient (CAMERA) :
« Israël a dépensé des millions de dollars pour rénover les sites chrétiens d’Israël et pour essayer d’en créer de nouveaux, telle la récente « Piste Evangélique », qui accueille des marcheurs, des cyclistes et des motards pour refaire ce qui fut le trajet de Jésus à travers la Galilée…
Le Ministère du Tourisme [israélien] promeut aussi une alternative à la Veillée de Noël de Bethléem -qui est sous contrôle de l’Autorité Palestinienne- en invitant des pèlerins et des diplomates étrangers dans la ville israélienne de Nazareth pour profiter d’un marché de Noël, d’une parade, de feux d’artifice et d’un joyeux Père Noël pour les enfants.
« Les Palestiniens [soulignent que, du coup] ils sont privés d’un marché qu’ils dominaient autrefois. Les responsables du tourisme palestinien disent qu’Israël décourage les visites de zones administrées par l’Autorité Palestinienne et promeut des attractions dans d’autres parties [de facto annexées] de Cisjordanie, telles que le site baptismal sur le Jourdain », raconte le comité.
« Nous avons plus de sites de notre côté, et Israël les utilise pour développer son propre tourisme, nous laissant avec la plus petite part du gâteau », a dit l’ancien Ministre palestinien du Travail Kholoud Daibes, dénonçant le fait qu’Israël récolte 90 % du revenu des pèlerinages. « Ils font la promotion des territoires occupés comme faisant partie d’Israël. »
La mainmise d’Israël sur le tourisme palestinien sert son objectif global de renforcer son occupation militaire et la colonisation en maîtrisant le discours et en introduisant une terminologie et un langage d’exclusion. Le projet colonial d’Israël vise à effacer l’existence et la présence de l’histoire et de l’identité palestiniennes. Par conséquent, les institutions touristiques palestiniennes devraient chercher à maîtriser leur propre discours. Elles pourraient y arriver en introduisant et en consolidant leur propre langage et leur propre terminologie ; et en utilisant un vocabulaire qui refléterait vraiment et présenterait correctement la réalité telle qu’elle est, sans se plier aux pressions extérieures et sans présenter la situation dans le sens choisi par Israël.
Amjad Alqasis est un avocat des droits de l’Homme, chercheur en droit et membre du Réseau d’Aide Juridique du Centre de Ressources BADIL pour les Droits des Résidents et des Réfugiés Palestiniens. Depuis août 2014, il est conseiller au Centre Al Haq pour l’Application du Droit International.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de l’Agence Ma’an News.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source: Ma’an News