Naomi Clugston – 15 septembre 2015 – The Independent
Comme Aylan Kurdi, Ali fut la victime d’une crise dont il ne savait rien, et dont il ne saura jamais rien.
Je regarde, incrédule, les décombres devant moi, et je vois un salon qui n’accueillera plus jamais les fêtes de famille, la célébration des anniversaires, qui ne recevra plus jamais les grands-parents. Un doux murmure trouble le silence. Naser, l’oncle du bébé qui a brûlé dans les décombres, est là debout, tout proche. Son visage est lugubre. Ses yeux épuisés. Son silence est aussi pesant que l’air.
C’était la maison d’Ali Dawabsheh, le bébé de 18 mois qui a brûlé vif dans son berceau à Douma, en Palestine. Il vivait là avec sa mère Reham, son père Saed, et son grand frère Ahmed, de 4 ans. Comme Aylan Kurdi, dont le petit corps échoua sur une plage turque, Ali fut la victime d’une crise politique dont il ne savait rien, et dont il ne saura jamais rien.
Naser se rapproche de nous, et sort son smartphone. Il le fait défiler jusqu’à ce qu’il trouve une vidéo. Il prend un instant avant de décider, et puis il appuie sur play. On voit un tout petit garçon assis sur une petite chaise dans la cuisine de ses parents, rigolant et frétillant, tout excité devant le ronronnement de la caméra. Son père rit, il cherche à attirer son attention. Les yeux du bébé Ali dansent. La vidéo s’arrête, et aussi les rires. D’abord calme, Naser commence à bouger, il nous conduit à l’intérieur de la maison dévastée, là où son petit neveu a trouvé la mort.
La maison a été détruite par les flammes et est couverte de verres brisés et de décombres. Dans la chambre, des couvertures sont partout éparpillées. Des vêtements sont entassés contre le mur. Un tricycle. Un landau pour bébé. L’air m’arrache la poitrine. Ils ont tout brûlé dans cette pièce.
Les restes de la maison Dawabsheh après l’incendie, dans le village palestinien de Douma, en Cisjordanie. Des extrémistes juifs sont soupçonnés d’y avoir mis le feu, le 31 juillet 2015. (Oren Ziv/Getty Images)
Ali et Ahmed furent amenés ici la nuit de l’anniversaire de mariage de leurs parents. Il faisait trop chaud dans la maison. Saed les mit près de la climatisation, là où ils pourront dormir sans que la chaleur ne trouble leurs rêves. Les grillons leur fredonnèrent des berceuses alors que se couchait le soleil. Mais quand une lumière fusa par la fenêtre, ce ne fut pas celle du soleil qui se levait. En quelques secondes, disent-ils, la bombe incendiaire jaillit dans la pièce. Les flammes grondèrent dans l’obscurité, éclairant les bâtiments tout proches. À l’intérieur, Reham courut avec son bébé vers la porte de la maison. La poignée métallique lui brûla la peau. Pendant ce temps, Saed courait, portant Ahmed dans ses bras.
Ce qui arriva ensuite n’est pas tout à fait clair. Reham était en en pleurs dans la maison de sa voisine. Le balluchon qu’elle avait dans les bras, ce n’était pas son bébé. C’était ses couvertures. Il n’était pas avec elle. Où était son bébé ? Sa peau se détachait de son corps alors qu’elle courait. Ses cris étaient désespérés. Son bébé n’était pas avec elle. Où était son bébé ? Où était son bébé ?
Ahmed fut englouti dans la fumée. Il vit son père s’effondrer à la porte de la maison. Il vit deux hommes masqués, debout au-dessus de lui. Il se cacha derrière la porte et cria à son père de revenir. Les deux hommes masqués se détournèrent pour voir un autre homme courant dans leur direction. Ils allèrent vers lui et se mirent à aussi courir, le poing levé. Ahmed réclama son papa à grands cris.
Quand Saed reprit connaissance, il ne put trouver son fils. Il l’avait emporté hors de la maison, mais il ne le vit nulle part.
Ali Dawabsheh était mort, brûlé au troisième degré. Sa peau fondue coulait de son corps.
Son père Saed succomba à ses blessures deux semaines plus tard.
Un membre de la famille en pleurs près du corps du bébé palestinien de 18 mois, Ali Dawabsheh. (Oren Ziv/Getty Images)
Reham, sa mère, se trouva dans un état critique pendant cinq semaines, en attente d’une greffe de la peau. Quatre-vingt-dix pour cent de son corps avaient brûlé. Elle décéda le 7 septembre de ses brûlures.
Ahmed resta inconscient pendant des jours. Il se réveilla en criant, réclamant sa maman et son papa. Il est maintenant en état stable et à l’hôpital, mais il souffre de brûlures épouvantables. Il parle de l’incendie. Il ne comprend pas où sont partis sa maman et son papa. Il ne comprend pas où est son petit frère.
Ce fut le résultat de bien plus qu’un incendie impitoyable. Ce fut le résultat d’une idée de violence, qui germa dans l’esprit d’extrémistes. Cette idée se fonde sur l’hypothèse que les violations flagrantes des droits humains sont acceptables, et qu’Israël est prêt à fermer les yeux, tant qu’elles frappent les Palestiniens. Et cette hypothèse semble exacte. Le gouvernement israélien a identifié les hommes qui ont commis cet incendie criminel qui tua trois membres d’une famille palestinienne, mais il n’a encore engagé aucune poursuite.
Des graffitis laissés par les pyromanes. On peut lire, « Vengeance », « Prix à payer », et « Vive le Messie ». (Oren Ziv/Getty Images)
Après avoir qualifié cet incident d’attaque terroriste, le gouvernement israélien jugea également que la famille Dawabsheh ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir l’aide financière à laquelle ont droit automatiquement les Israéliens et les colons victimes du terrorisme. Mais l’attaque terroriste contre Douma fut un tournant dans l’opinion israélienne : elle amena Bradley Burston, chroniqueur juif et rédacteur en chef du quotidien israélien Ha’aretz à présenter Israël comme un État d’apartheid.
Nous ne devons pas laisser nos petits-enfants pouvoir nous accuser de fermer les yeux devant les atrocités commises contre les Palestiniens aujourd’hui. Quand nous nous levons pour Aylan Kurdi, nous devons nous lever pour Ali Dawabsheh, de la même manière.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: The Independent