EYAL PRESS, 26 janvier 2016
Juste avant Noël, Ron Dermer, l’ambassadeur d’Israël aux États Unis, a envoyé à la Maison Blanche un coffret de cadeaux pour les fêtes, avec un message à forte tonalité politique. La boîte contenait des produits (lait pout le corps, halvah, huile d’olive) des colonies juives de Cisjordanie. Ou plutôt, comme Mr. Dermer le dit dans une lettre d’accompagnement, en Judée et Samarie – le terme utilisé par les religieux nationalistes qui voient les colonies comme une partie d’Israël, tout autant que la Galilée ou Tel Aviv.
D’un point de vue biblique, cette position est défendable. D’un point de vue de droit et moral, elle ne l’est pas. Ainsi que c’est documenté dans un nouveau rapport de Human Rights Watch, l’occupation israélienne est devenue un business lucratif, exploité par des entreprises et partie prenante d’un système illégal et violent.
Comme les colons, ces entreprises jouissent d’avantages du gouvernement israélien – accès préférentiel à la terre et à l’eau, loyers faibles – qui font des territoires occupés une destination attrayante. C’est une autre histoire pour les Palestiniens, auxquels sont refusés chaque jour des permis de création de leurs propres entreprises, qui sont coupés de leurs terres et enclavés par des restrictions qui, selon la Banque Mondiale, coûtent à l’économie palestinienne 3 milliards d’euros par an.
Toutes ces affaires se déroulent sur une terre illégalement occupée. Une bonne quantité de terre, de fait. Il y a en gros 1 000 usines dans la chaîne des « zones industrielles » administrées par Israël qui s’étendent dans toute la Cisjordanie. L’emprise au sol de ces entreprises commerciales, avec les centres commerciaux et les projets de développement agricole, dépasse la surface occupée par les maisons des colons.
Quelques responsables israéliens ont prétendu que les Palestiniens bénéficient du fait de travailler dans les colonies, à ce que le propriétaire d’une usine appelle « des produits de paix ». Mais nombre d’entre eux ne travaillent dans les colonies que parce qu’Israël asphyxie l’économie palestinienne au point qu’il les prive de toute alternative. Parce que le gouvernement procède rarement à des inspections du travail, les travailleurs palestiniens gagnent souvent moins que le salaire minimum israélien. Si des travailleurs se plaignent, les employeurs ripostent parfois en fabriquant un « incident de sécurité » qui privera les Palestiniens de leurs permis de travail, selon le rapport de HRW.
Considérer les produits fabriqués dans ces conditions comme non différents de ceux fabriqués à l’intérieur d’Israël suppose d’être aveugle à de telles indignités. Malheureusement, c’est exactement ce que demanderait de faire au gouvernement, la nouvelle législation attendue pour bientôt sur le bureau du président Obama. En vertu d’un projet de texte législatif plus vaste, mieux connu sous le nom de loi sur les douanes, qui a été approuvé par la Chambre et dont on s’attend à l’approbation prochaine du Sénat, les décideurs américains seront obligés de traiter les colonies comme une partie d’Israël, dans les négociations commerciales futures.
La raison manifeste pout laquelle cette loi a été ajoutée à une loi sur le commerce international, est de combattre le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions, une campagne menée à la base, qui cherche à faire pression sur Israël en vue de le faire changer de politique vis-à-vis des Palestiniens. Mais dans le cadre de la loi actuelle, Washington interdit déjà aux compagnies américaines de coopérer avec des boycotts d’Israël décidés par certains États. Sous couvert d’une disposition anti boycott, la loi sur les douanes étend une protection similaire aux « territoires contrôlés par Israël » – c’est à dire les colonies. Pour les négociateurs commerciaux américains, les zones industrielles qui émaillent les territoires occupés auraient le même statut que l’industrie high tech de Tel Aviv, ainsi que se plaisent à le dire les colons fanatiques.
Ce virage potentiel, et largement passé inaperçu, dans la politique américaine, intervient juste au moment où la frustration liée au blocage du processus de paix et la main mise de plus en plus forte d’Israël sur les territoires occupés conduisent à plus de pression ciblée sur les colonies d’Israël. Ce mois-ci, le comité de gestion du fonds de pension de l’Église Méthodiste Unie a décidé que cinq banques israéliennes qui financent la construction dans les colonies seraient inéligibles à ses investissements. En novembre, l’Union Européenne, le premier partenaire commercial d’Israël, a déclaré que les produits des territoires occupés devraient être étiquetés différemment des produits israéliens.
Comme le montre clairement le rapport de HRW, ces positions sont en cohérence avec le droit international. Dans la mesure où toutes les compagnies qui travaillent dans ou avec les colonies contribuent inévitablement aux violations des droits humains, elles devraient cesser. Et puisqu’aucun pays ne reconnaît la souveraineté d’Israël sur les territoires occupés, tous les partenaires commerciaux d’Israël devraient insister pour que l’étiquette « Made in Israel » soit retirée des produits des colonies.
L’Autorité Palestinienne a décrit l’étiquetage distinct des produits des colonies comme un geste utile. (L’Autorité soutient le boycott de ces produits). Sans surprise, le gouvernement du Premier Ministre Benjamin Netanyahou est en désaccord. Dans la lettre que Mr Dermer a envoyée aux récipiendaires de ses cadeaux pour les fêtes, il a prétendu que l’effort de l’Union Européenne pour différencier les produits des colonies fait d’Israël un « État paria ». Il a omis de mentionner la pétition signée par plus de 550 Israéliens célèbres qui ont accueilli favorablement la décision de l’Union et appelé d’autres pays à suivre l’exemple. Parmi les signataires se trouvent Avishaï Margalit, un ancien lauréat du Prix d’Israël en philosophie et Avraham Burg, ancien président de la Knesset.
L’administration Obama a établi clairement qu’elle n’acceptait pas la confusion entre les colonies et Israël. Lorsque le projet de loi sur les douanes sera sur son bureau, Mr Obama peut prendre l’initiative rare de signer une déclaration faisant objection au caractère favorable aux colonies de ce projet. Mais si ce projet est fait loi, ce sera une victoire majeure de la droite israélienne, quoiqu’elle puisse en venir à la regretter. Plus la ligne est brouillée entre Israël et les colonies, plus le reste du monde questionnera la légitimité non seulement des colonies mais d’Israël lui-même. À long terme, cela n’empêchera pas Israël d’être tenu pour un État paria mais apportera au contraire de l’eau au moulin de ceux qui le voient ainsi.
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine
Source: New York Times