Le projet de loi qui autorise 90 membres de la Knesset à suspendre leurs collègues parlementaires est encore une autre tentative d’imposer la tyrannie de la majorité.
Par Aeyal Gross le 9 février 2016
Le projet de loi qui permet de suspendre des parlementaires de la Knesset par un vote majoritaire de 90 membres est une nouvelle phase de la longue suite d’efforts visant à expulser de la Knesset ses membres arabes qui soutiennent la lutte des Palestiniens contre l’occupation.
Si la loi fondamentale de la Knesset a contenu une fois la possibilité d’éliminer une faction qui nie l’existence de l’état d’Israël comme état juif et démocratique, depuis 2002, dans le contexte de la seconde Intifada, nombre d’amendements de portée générale ont été passés pour essayer de bloquer la représentation d’une partie de la population arabe.
Le premier prétexte introduit dans la loi autorisait à disqualifier les listes électorales en raison de leur « soutien à une lutte armée par un pays étranger ou une organisation terroriste contre l’état d’Israël ». Dans le même temps, la possibilité de disqualifier a été étendue pour inclure non seulement des listes entières mais également des candidats individuels. En 2008, la possibilité de disqualification a été élargie par une clause conditionnelle disant qu’un candidat qui aurait visité un pays ennemi sept ans avant que la liste de son parti soit présentée serait considéré comme ayant soutenu la lutte armée contre Israël sauf si le contraire pouvait être prouvé.
Malgré ces ajouts, la Cour Suprême a refusé d’approuver les décisions de la Commission Electorale Centrale qui, dans un cas, avait disqualifié le parti Balad tout entier, et, dans d’autres cas, avait disqualifié la parlementaire Haneen Zoabi de se présenter à la Knesset. Plus la Knesset tentait d’étendre la loi, plus la Cour la restreignait. La Cour Suprême insistait sur le fait que disqualifier un candidat ou une liste de parti était une décision drastique qui ne devait être prise qu’en dernier ressort. Elle décida qu’une liste ou un candidat ne pouvait être disqualifiée que si les éléments « centraux » justifiant la disqualification étaient violés ; c’est-à-dire s’ils étaient l’objectif principal de la liste ou du candidat individuel, et si la liste ou le candidat travaillait activement à atteindre ces objectifs et s’il y en avait des preuves sans équivoque.
On peut dire que dans le contexte d’une législation problématique dont le propos, derrière des mots qui semblent corrects sur le papier, était de réduire au silence les groupes qui exprimaient leur soutien à l’opposition des Palestiniens à l’occupation, les décisions de la Cour Suprême ont sauvé de façon répétée la Commission Electorale d’elle-même.
Par exemple, la Commission a tenté de disqualifier Zoabi de se présenter à la Knesset après qu’elle ait pris part à la flotille Mavi Marmara vers Gaza, quoique l’avocat général n’ait trouvé aucune preuve que Zoabi ait enfreint la loi ou commis des violences. En ce cas, il était clair que la Commission l’avait disqualifie en raison des son opposition politique à ses actions et prises de position, et non pour des raisons justifiables même dans le cadre de la loi augmentée qui autorisait l’invalidation d’un candidat. En fait, parce que disqualifier des candidats de se présenter à la Knesset porte un coup au coeur du plus basique principe de la démocratie, la décision de la Cour Suprême a sauvé ce coeur.
Sur cette toile de fond, la Knesset veut maintenant se doter d’elle-même du pouvoir d’exclure ou au moins de suspendre un membre élu à la Knesset. L’idée que cela est du même ordre que la possibilité d’évincer un président pour avoir commis une offense est sans fondement. Faire écarter ou suspendre un élu par ses collégues de la législature, non parce qu’il est convaincu d’un crime, mais en raison de ses opinions politiques, serait un exemple extrême de tyrannie de la majorité. Ce n’est pas que nous n’ayons pas déjà assez de ce genre de chose entre nous. La décision de la Commission Ethique d’imposer des sanctions aux parlementaires du Balad est évidemment un exemple du même type et montre dans quel sens souffle le vent.
Vues les opinions politiques des parlementaires du Balad, il est normal pour eux de rencontrer les parents de ceux dont les corps ont été saisis par les autorités de la sécurité, même si ce sont les corps de meurtriers, avec l’objectif humanitaire de rendre les corps pour leur inhumation. Mais une grande partie de l’opinion publique israélienne trouve difficile aujourd’hui d’accepter une telle rencontre, durant laquelle une cérémonie commémorative a eu lieu pour ces Palestiniens dont les corps sont retenus par Israël. Mais la question ne se résoud pas avec l’idée que quiconque est en désaccord avec les représentants du Balad peut critiquer leurs actions. Plutôt, le désaccord a été transformé en une utilisation de la Commission d’Ethique de la Knesset à des fins politiques et en un projet de loi autorisant la suspension des parlementaires dont l’objectif est clairement d’exclure les parlementaires du Balad de la Knesset.
Tout cela montre à quel point le concept de démocratie est peu solide en Israël. Le projet de loi actuel, s’il passe, sera un nouveau clou dans le cercueil de la démocratie. A ce qu’on dit, les parlementaires espèrent que la Cour Suprême , opposée à la possibilité de disqualifier une liste présente à la Knesset, trouvera difficile d’intervenir contre la suspension d’un membre de la Knesset par un vote de 90 de ses collègues.
Nous ne pouvons pas savoir comment la Cour tranchera et quel sera le résultat avant qu’il soit connu, mais nous ne pouvons pas non plus compter à répétition sur la Cour Suprème pour tirer la démocratie d’Israël hors du feu. La Cour Suprême a jusqu’ici invalidé les décisions de la Commission Electorale parce qu’elles étaient le résultat d’une combinaison de législation anti-démocratique dont l’objectif dès le début était de persécuter les parlementaires arabes, et de politiciens qui veulent au nom de cette persécution écraser tout concept de démocratie. L’actuel projet de loi est un autre exemple de cette combinaison mortifère.
Traduction: Roger M. Pour l’Agence Média Palestine
Source: Haaretz