Alia Al Ghussain, Electronic Intifada, Haifa
18 mai 2016
Israël a gelé les crédits accordés au Théâtre Al-Midan après qu’il ait donné Un Temps Parallèle de Bachar Murkus, l’an dernier. (Nir Elias Reuters)
La communauté palestinienne de Haïfa a remporté une petite victoire en mars lorsqu’un théâtre a défié avec succès le gouvernement israélien et a obtenu le rétablissement d’une subvention précédemment retirée après une controverse sur la production d’un spectacle sur les prisonniers, l’an dernier.
Mais le rétablissement a aussi mis en lumière les contraintes qui pèsent sur l’expression artistique palestinienne dans l’actuel Israël et certains ont vu la reprise du financement public comme une arme à double tranchant.
Le 29 mars, le Théâtre Al-Midan est parvenu à un accord avec le ministère israélien de la culture pour la reprise du transfert de fonds publics au théâtre ainsi que pour le dégel les fonds impayés de l’année précédente, mettant fin à une confrontation engagée en mai 2015.
Le ministère avait gelé le financement public de Al-Midan après que le théâtre ait mis en scène la pièce de Bachar Murkus, Un Temps Parallèle, qui s’articule autour de la vie de six prisonniers palestiniens et d’un geôlier dans une prison israélienne.
Adalah, un centre juridique basé à Haïfa, a affirmé que la décision du ministère avait été prise pour « raisons politiques ».
Agissant pour le compte d’Al-Midan, Adalah a déposé une requête contre cette décision en octobre 2015.
Le fondement juridique de la décision du ministre était douteux, dès le début, selon Adalah. Le groupe a argumenté que la décision était illégale et « n’obéissait pas aux exigences de base du droit administratif ». Il n’y a pas eu d’audience avant la prise de décision, aucun argumentaire n’a été formellement transmis à l’appui de la décision et celle-ci ne reposait sur aucun fait particulier, a déclaré le centre juridique.
De plus, la pièce avait été approuvée à trois reprises par les corps officiels, dont un comité soutenu par les ministères de la culture et de l’éducation, et Adalah a déploré le fait qu’il a fallu l’intervention du procureur général d’Israël pour que le problème soit résolu.
Un compromis nécessaire
« Il est regrettable que le ministère de la culture n’ait annulé son gel illégal des fonds et ses attaques contre la liberté d’expression et la créativité artistique du théâtre, seulement après l’intervention du procureur général » a déclaré Adalah après qu’un accord ait été trouvé.
« Le plus important pour nous est que l’accord entre le théâtre et le ministère n’a imposé aucune interdiction ni condition sur les créations du théâtre » a ajouté Adalah.
L’accord est cependant assorti d’un compromis en vertu duquel al-Midan a accepté une déduction de 75 000 shekels (un peu plus de 17 000 €) de ses budgets annuels de 2016 à 2019. Et les artistes palestiniens de Haïfa restent bien conscients que leur expression artistique est entravée par l’État d’Israël.
« Le resserrement des espaces démocratiques dans tout État se reflète généralement dans le contrôle et la censure exercés sur l’art. Quand un État commence à censurer l’art, nous savons qu’une situation dangereuse est atteinte » a dit à Electronic Intifada Khouloud Khamis, une auteure de Haïfa.
Quelques artistes ressentent le rétablissement du financement à al-Midan comme une simple tentative de redorer le blason de légitimité démocratique d’Israël dans l’arène internationale.
« Personnellement, je n’ai pas eu une bonne impression du rétablissement du financement » a dit Yazid Sadi, le directeur de production d’al-Midan. Il s’adressait à Electronic Intifada à titre personnel et ne donnait pas la position du théâtre.
« Je m’y attendais, étant donné que le ministère de la culture a besoin, d’un côté de montrer à quel point il est démocratique, mais, d’un autre côté, il nous a infligé une amende de 300 000 shekels (plus de 68 000 €)… Pour que nous réfléchissions à deux fois avant de vouloir remettre en scène Un Temps Parallèle ou n’importe quel autre élément de théâtre ou d’art politique. »
Sadi a décrit le compromis accepté par al-Midan comme nécessaire au maintien de sa liberté de programmation : « si nous avions cédé à leur pression et annulé la représentation de Un Temps Parallèle, nous n’aurions probablement pas eu à payer d’amende. Mais nous n’avons pas réfléchi à deux fois et nous avons décidé de payer l’amende de bon gré. La pièce est devenue un symbole de la liberté d’expression et nous étions prêts à abandonner la totalité de notre subvention s’ils nous volaient ce droit tout à fait fondamental ».
Des libertés grignotées
« Un État qui censure l’art est un État bien conscient du pouvoir de l’art comme arme de résistance politique » a dit Khamis. « L’art a le pouvoir de transmettre la réalité sous différentes formes et de faire la lumière sur des phénomènes sociopolitiques selon des points de vue que l’État ne veut pas que nous ayons, agissant ainsi comme révélateur ».
Alors que la loi israélienne est supposée procurer la liberté de parole, les citoyens palestiniens, qui représentent un cinquième de la population, se voient souvent refuser ces droits. En 2003, par exemple, le centre israélien du cinéma a interdit la sortie commerciale d’un film sur le siège de 2002 du camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie occupée. Le film Jénine, Jénine, qui comporte une série d’entretiens avec des habitants du camp une semaine après l’invasion, a été réalisé par Mohammed Bakri, un citoyen palestinien d’Israël.
L’interdiction a par la suite été annulée, bien que le juge ait dit que les accusations de crimes de guerre perpétrés par les forces israéliennes étaient des « mensonges » et que le documentaire « était de mauvaise foi ».
Comme Un Temps Parallèle, Jénine, Jénine jette la lumière que le visage sale de l’occupation israélienne.
Plus récemment, en 2015, la cour suprême d’Israël a pris des dispositions en vue d’une loi imposant des poursuites judiciaires contre ceux qui boycottent ou qui plaident pour le boycott d’Israël.
Cette loi affectera de manière disproportionnée les citoyens palestiniens d’Israël, qui sont déjà marginalisés dans le droit israélien.
Une mesure prise en 2011 – que les Palestiniens appellent loi de la Nakba – s’oppose à la commémoration du nettoyage ethnique qui a présidé à la création d’Israël, par exemple. De telles lois restreignent gravement la possibilité pour les Palestiniens en Israël, d’exprimer leurs opinions et d’attirer l’attention sur les crimes d’Israël, tant historiques que contemporains.
« Le problème est que tout est lié à la loyauté… Vous n’avez que l’espace qu’ils veulent bien vous allouer » a dit Nadim Nashif, le directeur de Baladna, un mouvement de la jeunesse palestinienne en Israël.
Une loi sur « la loyauté dans la culture proposée par Miri Regev, la ministre israélienne de la culture, fait actuellement son chemin au sein du Parlement israélien, la Knesset. Cette loi supprimerait le financement de toute institution qui mette en question l’existence d’Israël en tant « qu’État juif et démocratique », qui dénigre les symboles de l’État tel le drapeau et mentionne la Nakba. Une version amendée du premier projet a été approuvée par Avichai Mendelblit, le procureur général d’Israël, en février.
« Le but est de faire bien se tenir les institutions culturelles palestiniennes » a dit Nashif.
Maintenir une ethnocratie
« La définition d’Israël comme État juif est facteur de répression vis-à-vis de l’identité palestinienne et de la liberté d’expression » a ajouté Nashif.
« L’ensemble de la structure de l’État est conçue pour créer et éduquer des générations de « bons » Arabes y compris dans le champ culturel – des Arabes qui ne mettent pas en question la politique du gouvernement, qui ne parlent pas de Nakba » a dit Nashif.
Sadi a approuvé : « la soi-disant démocratie juive, c’est ridicule : elle ne peut être une véritable démocratie puisqu’elle est réservée aux Juifs ».
Cela explique en partie pourquoi les artistes palestiniens sont ciblés de façon disproportionnée par la censure. Une nouvelle génération explore et exprime son identité palestinienne, mettant ouvertement en question les institutions israéliennes qui discriminent leur communauté.
« Les artistes palestiniens ne sont généralement pas subventionnés ou ils ne sont pas recrutés », a dit Nashif. « La discrimination est maintenant plus forte et bien plus évidente. La politique de Miri Regev était déjà là avant mais elle s’exerçait plus discrètement. Il y avait un souci de l’image. Ce gouvernement est suffisamment arrogant pour la proclamer. Ces combats ont toujours existé mais ils sont désormais plus ouverts et plus violents ».
Alia Al Ghussain est anglo-palestinienne. Elle est née et a été élevée à Dubaï. Elle a un Master en droits humains de l’Université du Sussex.
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine
Source: Electronic Intifada