L’angoisse et la colère sur les murs de Gaza

Sarah Alberghawi Electronic Intifada 18 octobre 2016

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“Enfance assiégée,” une fresque dont Bilal Khaled est co auteur, sur une tour de la ville de Gaza. (Abed Zagout)

On ne peut pas manquer cette fresque de vingt mètres de haut et de 15 mètres de large sur un mur d’un immeuble de 12 étages de la ville de Gaza.

L’œuvre d’art, Enfance assiégée, a apporté la célébrité à ses créateurs. Elle montre une enfant portant un keffieh, au visage mélancolique, les deux mains agrippant deux barres comme si elle était en prison.

Son emplacement, sur la tour Zafir 9, un quartier coté de la ville de Gaza, est délibéré. Pendant l’assaut israélien de 2014, des avions de combat ont détruit une des deux tours jumelles Zafir 9, Zafir 4, lors d’un bombardement dénoncé comme crime de guerre par Amnesty International.

Personne n’a été tué, même si plus de douze personnes ont été blessées et que les logements de plus de 40 familles ont été détruits. Plus de 200 habitants sont restés sans abri dans ce qu’Amnesty a décrit comme une opération « sans justification militaire ».

Enfance assiégée, peinte en 2015, renvoie à cette destruction gratuite, a dit un de ses quatre créateurs, Bilal Khaled âgé de 25 ans.

« La tour Zafir témoigne des actes criminels d’Israël lors d’une guerre qui a ciblé une tour d’habitation (très peuplée). La fresque est un moyen pour nous de communiquer cette réalité au monde en dehors de Gaza » a-t-il expliqué.

Au cours de la dernière décennie, Gaza a été l’objet d’énormes destructions.

Ces énormes offensives militaires israéliennes et un blocus de dix ans sur l’entrée et la sortie des biens et des personnes, qui empêchent tout rétablissement, ont tué des milliers de gens, blessé des dizaines de milliers, en ont mis à la rue autant, causé des traumatismes très étendus et endommagé des infrastructures à tel point que les Nations Unies ont averti que la bande côtière pourrait être inhabitable en 2020.

Dans cette dévastation, la couverture médiatique a eu peu contribué à une amélioration et il n’est pas surprenant que la population frustrée se tourne vers d’autres moyens pour faire entendre sa frustration, sa colère et sa douleur.

 

Écrire sur le mur

C’est d’un désir de transmettre la souffrance de Gaza qu’est née la fresque Enfance assiégée ; c’était aussi, dit Khaled, envoyer le « message » qu’on ne fera pas taire les artistes.

« Gaza peut être assiégée, mais il y a des artistes capables d’assimiler ce qui arrive en Palestine et de transmettre cela au monde extérieur de différentes manières créatives » dit Khaled.

Khaled est diplômé de la faculté des arts de l’université Al-Aqsa et vit dans la ville de Rafah au sud de Gaza. Il a commencé sa carrière d’artiste il y a dix ans en photo et en sculpture, mais il a rapidement évolué vers la calligraphie et la fresque.

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Bilal Khaled (Abed Zagout)

Pour un artiste palestinien, les graphes sont une voie bien ancré et ancestrale, dont les racines remontent aux années précédant la première révolte palestinienne contre la domination britannique en 1936.

La chose la plus célèbre de ce qui pouvait être appelé « des graffiti révolutionnaires » était peut-être ce qu’un Palestinien a écrit avant d’être exécuté par le gouvernement mandataire britannique en 1936 :

À mon frère Youssouf :

Prends soin de notre mère.

À ma sœur : Ne sois pas affligée.

Pour la patrie je sacrifie mon sang.

Et cela c’est pour tes yeux,

Ô Palestine.

Si l’identité du prisonnier n’est pas établie, on pense généralement que le poème a été écrit par Awad Naboulsi de Naplouse. Ses vers sont ensuite devenus un chant révolutionnaire De la prison d’Acre, qui a été transmis de génération en génération.

Certaines de ces inscriptions murales existent encore, selon Imad Qassem, un homme de 61 ans qui dit avoir été arrêté en 1978 et accusé d’avoir pris part à une attaque contre trois soldats en patrouille au Beach Camp (le camp de réfugiés Al-Shati) de la ville de Gaza, où il réside.

Qassem dit avoir passé six mois en cellule d’isolement dans la prison de Naqab, où il a étudié les « dessins et les griffonnages » de ceux qui l’avaient précédé.

« Quand je suis entré dans cette étroite cellule, je me suis assis et j’ai observé les murs. J’ai passé le plus clair de mon temps à essayer de comprendre les fresques dessinées par d’anciens prisonniers ».

Certains dessins étaient signés et dataient du temps du mandat britannique » dit-il.

Qassem a rejoint ses prédécesseurs. Avec des cailloux ou du charbon du sol, il dessiné, dit-il, ce qu’il avait en tête. Un de ses dessins dépeint une mère en deuil, un autre était un emblème de liberté, et un autre une chaîne brisée.

« Une fois, j’ai dessiné un homme masqué. Quand le gardien de prison l’a vu, il m’a donné l’ordre de l’effacer avec ma langue. J’ai refusé. J’ai été battu jusqu’à perdre conscience ».

Cette pratique a continué et s’est répandue. Pratiquement chaque coin de rue à Gaza est orné d’une sorte de fresque ou d’inscription. La plupart sont politiques, certaines font appel à l’imaginaire. La plupart disent l’histoire de la souffrance du peuple palestinien.

 

L’art c’est la politique

Pendant l’assaut de 2014 sur Gaza, Khaled a fusionné des photos d’actualité des raids aériens israéliens avec des outils numériques pour créer son propre style de photos-graffiti. Ajouter des dessins à des photos des bombardements lui a fourni l’occasion de donner du sens à la destruction.

« Les photos de la fumée des bombes ont été largement répandues (sur les réseaux sociaux) pendant la guerre, aussi ai-je essayé de créer quelque chose d’unique à partir de cela. J’ai dessiné un vieil homme las, une femme portant un keffieh, un enfant qui jouait, un jeune homme priant Dieu les mains levées et un cœur pour exprimer l’espoir de Gaza de vivre en paix » a dit Khaled.

Sa réponse à la violence fut construite à partir des exemples d’artistes lors de la première Intifada. C’était pendant les années 1987-91 que les graffiti on vraiment démarré comme expression de résistance.

Les groupes armés palestiniens ont utilisé cette forme d’expression comme moyen de diffuser des nouvelles, de faire passer des annonces, et simplement pour se glorifier: une concurrence sur quelle faction aurait les meilleurs artistes a commencé à émerger.

Hassan al-Wali, âgé de 54 ans, vit dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans la ville de Gaza. Pendant la première Intifada, al-Wali, qui était alors dans le Front Populaire de Libération de la Palestine, et ses amis, étaient parmi les grapheurs les plus actifs de la bande côtière.

Il se souvient de ses préférés, dont certains ornent encore les murs des camps de Gaza. C’étaient les dessins de la carte de la Palestine, la clef toujours populaire, qui rappelle les maisons laissées derrière eux par les réfugiés du nettoyage ethnique perpétré pat les milices sionistes de 1948. Il a dessiné le célèbre personnage Handala du dessinateur assassiné Naji Ali, les logos des factions et bien d’autres encore.

« On se séparait en groupes » se rappelle al-Wali. « L’un peignait, un autre surveillait et un autre assurerait la protection au cas où l’armée nous surprendrait.

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Bilal Khaled au travail sur la fresque Enfance assiégée en novembre 2015. (Mohammed Talatene APA images)

Ils se cachaient le visage et ne se déplaçaient que dans les rues du camp. Cela devint, dit-il, une activité dangereuse que les soldats israéliens se sont mis à prendre de plus en plus au sérieux. S’ils étaient pris, ils pouvaient être tués ou arrêtés.

« Le but que chaque dessin était d’encourager les gens et de leur donner de l’énergie. Nous voulions susciter un esprit de résistance en glorifiant ceux des nôtres qui étaient tombés, en nous souvenant de nos prisonniers et en répandant la conscience de l’injustice et de notre histoire » dit al-Wali. « Ça a marché. Du moins les Israéliens ont commencé à passer de plus en plus de temps à la poursuite des artistes et des dessinateurs ».

Dans son effort pour monter les gens contre les artistes, l’armée israélienne a fini par obliger les habitants des maisons taguées à effacer les peintures qui les avaient « vraiment énervés ».

« Les fresques murales, les graffiti, quelque nom qu’on leur donne, c’est l’art de la résistance » dit al-Wali.

Khaled approuve.

« Les graphes peuvent déclencher une révolution. Un mot peut stimuler des gens. Un dessin peut les mobiliser pour revendiquer leurs droits.

 

Sarah Algherbawi, de Gaza, est auteure freelance et traductrice.

 

Traduction: SF pour l’Agence Media Palestine

Source : Electronic Intifada

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