Par Sarah Algherbawi, The Electronic Intifada
5 décembre 2016
Khuloud Abu Qamar parlait calmement mais pourtant ses mots choquaient. « Israël me tue lentement », a-t-elle dit. « Et il tue mes enfants, aussi. »
Après une opération chirurgicale pour un cancer du sein l’année dernière, Abu Qamar a besoin d’autres traitements qu’elle ne peut recevoir à Gaza. Elle a demandé à Israël l’autorisation de voyager. Jusqu’ici, ses demandes ont été rejetées. Agée de 40 ans, elle a six enfants dont le plus jeune est encore un bébé.
Son sort est partagé par beaucoup d’autres à Gaza. Les estimations du ministère de la santé local montrent que plusieurs centaines de femmes atteintes de cancer du sein ont jusqu’ici été empêchées de voyager par Israël cette année.
Quitter Gaza pour accéder aux traitements est vital puisque les hôpitaux de la bande côtière n’ont pas les équipements nécessaires pour des services tels que la radiothérapie.
Dans le cadre de sa propagande d’État, Israël se décrit comme un leader mondial du traitement et de la recherche contre le cancer. En octobre, pour promouvoir la sensibilisation au cancer du sein, la Force aérienne israélienne a peint ses avions en rose.
Ce gadget n’a procuré aucun réconfort aux femmes de Gaza.
« Je ne veux pas mourir »
Alaa Masoud, mère de famille de 25 ans qui vit dans le camp de réfugiés de Jabaliya, a elle aussi été diagnostiquée comme atteinte d’un cancer du sein. Elle a récemment été opérée du sein droit à l’hôpital al-Shifa de Gaza Ville.
Ses médecins ont déclaré qu’elle avait maintenant besoin de voir des spécialistes qui travaillent en Israël ou en Cisjordanie. Jusqu’à aujourd’hui elle a sollicité cinq fois l’autorisation de passer par Erez, checkpoint militaire israélien à la frontière nord de Gaza. Ses cinq demandes ont toutes été rejetées.
Ce refus a exacerbé sa souffrance. Son cancer et l’opération l’ont obligée à cesser de nourrir au sein son bébé Amir.
« Je ne veux pas mourir », a-t-elle dit. « Je veux voir mon bébé grandir et devenir un beau jeune homme. »
Passer par Erez est pratiquement la seule option pour les résidents de Gaza qui ont besoin de traitements qu’ils ne peuvent recevoir dans les hôpitaux et les cliniques de la Bande.
Jusqu’à récemment, beaucoup de patients s’étaient adressés à des hôpitaux en Egypte. Mais la fermeture presque constante du passage de Rafah entre Gaza et l’Egypte a provoqué un brusque déclin du nombre de Palestiniens soignés en Egypte.
Les associations de droits de l’Homme ont longtemps fourni des renseignements sur la façon dont Israël a, en effet, cherché à soumettre au chantage les Palestiniens gravement malades. On a dit aux patients qu’ils n’ont le droit de voyager que s’ils deviennent des informateurs pour le Shin Bet, service de sécurité intérieure israélien.
Dalia Abu Skhaila, patiente de 34 ans de Khan Younis dans la partie sud de Gaza et qui souffre d’un cancer du sein, a dit que les responsables israéliens d’Erez avaient essayé à de nombreuses occasions de la recruter comme informatrice. Et parce qu’elle a refusé d’accepter cette condition, elle a été empêchée de voyager.
Education
En dépit des barrières qu’Israël a placées pour accéder aux soins, les personnels de santé de Gaza s’efforcent d’accroître la sensibilisation au cancer du sein.
D’après Khaled Thabet, qui dirige le département d’oncologie de l’hôpital al-Shifa, l’un des principaux défis à affronter, c’est que le cancer du sein est fréquemment à un stade avancé lorsqu’on le détecte, ce qui rend le traitement difficile. Pour aider à une détection précoce, lui et d’autres médecins encouragent les femmes à subir des tests de dépistages du cancer du sein.
« Il y a un déficit de culture d’investigation », a-t-il dit.
Hala al-Talmas, femme de 35 ans du camp de Jabaliya, était réticente pour avoir un check-up quand elle a commencé a souffrir de petites douleurs au sein droit, surtout la nuit.
Une amie à laquelle elle s’était confiée la pressa de voir un docteur. Pourtant, Hala a encore attendu environ deux mois de plus. Lorsque les douleurs sont devenues plus importantes, elle remarqua une petite masse dans son sein.
Hala parla de cette boule à sa mère, Halia, et alla à al-Shifa. Là, l’équipe découvrit qu’elle avait une tumeur de la grosseur d’un pois dans le sein. Et on diagnostiqua un cancer.
Quand un médecin demanda à Hala pourquoi elle avait attendu si longtemps, elle répondit qu’elle avait eu peur.
Avec l’aide de sa nombreuse famille, elle put réunir une somme suffisante pour une opération. On lui enleva le sein.
Après l’opération, Hala commença une chimiothérapie. Après quelques semaines seulement de traitement, elle eut une attaque et mourut.
« J’aurais aimé que ma fille soit mieux informée et qu’elle ait consulté un médecin dès le début de sa maladie », a dit Hania, la mère de Hala.
Médecine sous blocus
Selon le ministère de la Santé, le cancer du sein est l’une des principales causes de mortalité chez les femmes de Gaza. En 2015, on a détecté presque 750 cas de cancer du sein.
Les autorités de Gaza donnent des cours d’éducation au cancer du sein pour les femmes.
The Electronic Intifada a demandé à un échantillon de femmes de Gaza si elles avaient suivi ces cours. Environ 90 pour cent de ces femmes -âgées de 25 à 65 ans- ont répondu que non.
« Ces cours me font peur et je m’en tiens éloignée », a dit Doaa al-Shami, âgée de 31 ans. « Je n’ai assisté qu’à un cours depuis que je suis mariée. »
Les autorités de santé de Gaza se battent pour faire face aux effets du blocus qu’Israël impose au territoire depuis presque dix ans.
Les équipements hospitaliers ont souvent été empêchés d’entrer à Gaza. Des médicaments vitaux arrivent en quantité limitée.
« Ici, les problèmes que rencontre le ministère de la Santé sont évidents », a dit Ahmed El Shorafa, chef du département d’oncologie de l’Hôpital Européen de Rafah, ville du sud de Gaza.
« Ils sont causés par les pénuries d’argent et d’équipement. Nous avons besoin de plus de centres médicaux et de plus de personnel pour pouvoir dispenser une éducation à la santé partout à Gaza. »
Sarah Algherbawi est écrivaine et traductrice indépendante de Gaza.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada