Quand l’obtention d’un diplôme universitaire requiert de s’exiler

 

Par Zaina Arafat, le 6 Septembre 2017

Ghada Tafesh lors de sa remise de diplôme du Wilson College en mai 2016. Pour la soutenir, Wilson a associé Tafesh à Pat et Bob Keffer.

Avant que Ghada Tafesh quitte la bande de Gaza pour une université américaine, sa famille lui a offert un collier orné de deux pendentifs. L’un avait la forme de la Palestine historique. L’autre était un olivier. « Ils voulaient que j’aie quelque chose qui me rappelle chez moi et que je n’aie jamais honte de l’endroit d’où je viens » m’a-t-elle dit.

Melle Tafesh a de quoi être fière puisque cet automne, elle entame sa dernière année d’un master en sciences humaines au Collège Wilson de Chambersburg, en Pennsylvanie. Mais la contrepartie a été douloureuse : suivre ce cursus a signifié ne pas retourner chez elle pendant six ans.

En 2012, elle a dû faire face aux plus dures décisions qu’une adolescente puisse prendre. Grâce à une bourse, elle avait la possibilité d’intégrer un collège aux États Unis. Cela lui procurerait des opportunités significatives, plus que ce qu’elle n’aurait jamais dans sa ville natale. Les quelques universités de Gaza n’ont qu’une offre académique de base, avec très peu de masters et de programmes de doctorats. Et puis les jeunes de la ville ont un taux de chômage de 60%, selon la plupart des estimations. Mais, en optant pour l’étranger, Melle Tafesh ferait le choix d’une sorte d’exil puisqu’il suffirait d’un retour pour risquer de rester coincée par le blocus.

« Obtenir des permis d’entrée et de sortie de la bande de Gaza  est un processus lent et imprévisible » dit Shai Grunberg de Gisha, une association israélienne dont  l’objectif est de protéger la liberté de mouvement des Palestiniens.« Si un étudiant obtient un permis d’entrée pour rendre visite à sa famille, il n’y a pas de garantie qu’il puisse obtenir un permis de sortie pour retourner à ses études ».

Steven Keller, qui dirige un programme de bourses et d’échanges en Cisjordanie et à Gaza, est d’accord : « Nous conseillons aux étudiants de ne pas retourner à Gaza pendant les vacances universitaires, à cause des risques qu’ils courent de rester coincés et de perdre leur bourse ».

Melle Tafesh avait déjà une expérience de vie aux États Unis : elle avait passé sa première année de lycée dans le cadre d’un programme d’échange, dans une famille d’accueil à Laurel, dans le Maryland. Le bruit des avions de l’aéroport international voisin l’éveillait souvent la nuit et lui rappelait celui des avions de guerre israéliens qui signifiait la fermeture des écoles – « on pouvait sentir les murs et le sol trembler » disait-elle, décrivant ce qu’était être en neuvième année de scolarité tandis que les bombes pleuvaient à côté. Mais les opportunités des États-Unis l’impressionnaient. Jusque-là, elle ne s’était pas rendu compte de l’étroitesse de la vie à Gaza.

« On accepte la réalité jusqu’au moment où l’on voit comment d’autres gens vivent » m’a-t-elle dit récemment. « J’adore lire de la poésie et des romans », citant Jane Austen, Virginia Woolf et Geoffrey Chaucer parmi ses favoris. « Mais il n’y avait pas de bibliothèque dans notre école » à Gaza. Il n’y avait pas d’équipe sportive, ni de laboratoires non plus. « Nos livres de sciences étaient remplis d’expériences que nous n’aurions jamais l’occasion de faire ».

Avide de plus d’opportunités, Melle Tafesh a contacté le Fonds Hope, un programme qui offre des bourses d’universités américaines à de jeunes Palestiniens doués, principalement issus de milieux défavorisés. Elle a fait une demande d’inscription au Collège Wilson et a été acceptée avec une bourse complète. Après réception du visa des États Unis en juillet 2012, elle s’est fait du souci à l’idée de ne pas pouvoir obtenir un permis israélien pour quitter Gaza.

Sa préoccupation était compréhensible. En 2008, le Département d’État a retiré des subventions Fullbright accordées à des étudiants palestiniens de Gaza qui s’étaient vus refuser des permis de sortie par Israël. Selon Gisha, seuls 295 étudiants de Gaza sont allés dans des institutions académiques à l’étranger en 2015. L’an dernier, le Comité Palestinien pour les Affaires Civiles  a reçu plus de 400 demandes de permis de sortie de la part d’étudiants, pour des objectifs d’enseignement supérieur, mais seules 37 demandes ont été acceptées par Israël.

Les demandes de permis doivent être présentées aux autorités israéliennes au moins trois semaines avant la date du voyage et jusqu’à 50 jours en avance, avec tous les justificatifs (comme des visas et des lettres d’acceptation). Pendant la première moitié de 2017, le nombre de sorties de Palestiniens a baissé de 50% en comparaison avec la même période de 2016.

Mais Melle Tafesh a eu son permis de sortie et est devenue une des premières étudiantes du Moyen Orient à fréquenter le Collège Wilson. Sa camarade de chambre de première année n’avait pas entendu parler de Gaza avant de la rencontrer.

Quand elle a commencé à tisser des relations, Mademoiselle Tafesh s’est donnée pour mission d’éduquer ses pairs sur la partie du monde d’où elle venait. Elle a fait des exposés sur la pollution de l’air à cause des bombes dans la vallée de Gaza et sur la destruction des ressources naturelles. Elle a appris un peu d’arabe à sa camarade de chambre et ensemble elles ont eu des conversations par skype avec les parents de Melle Tafesh, quand la connexion internet fonctionnait à Gaza.

« Je voulais montrer à mes camarades de classe que les Palestiniens sont différents de ce qui est présenté dans les medias occidentaux » disait-elle. Le jour des élections de novembre 2016, des pairs qui avaient voté contre le président Trump lui ont écrit « j’ai voté pour toi aujourd’hui ». Quand Mr Trump l’a emporté, « des gens m’ont envoyé des messages me demandant si je me sentais bien » dit Melle Tafesh. « Je me rappelle tout le temps qu’il y a de bonnes choses dans le fait d’être ici et que des gens se soucient de moi ».

Mais Melle Tafesh avait souvent le mal du pays, en particulier pendant les guerres (qui se sont produites si souvent sur le temps qu’elle a passé à l’étranger) et quand, au cours de sa deuxième année, elle a dû subir une opération à cœur ouvert pour un problème cardiaque congénital. « Si j’avais été à Gaza, je serais probablement morte aujourd’hui » a-t-elle dit. L’opération Barrière de Protection, la guerre la plus longue et la plus sanglante, a éclaté en juillet 2014, pendant l’été précédant sa troisième année.

Au-delà de la peur de voir les noms des membres de sa propre famille parmi ceux des morts, elle était ravagée par la culpabilité. En Pennsylvanie elle avait accès en permanence à l’eau et à l’électricité. Au pays, sa famille pouvait avoir l’une ou l’autre, quatre à cinq heures par jour.

À Gaza, Melle Tafesh portait un hidjab et elle est arrivée au collège en le portant. Maintenant, après l’augmentation des crimes de haine contre des Américains musulmans et une interdiction partielle d’accès faite aux voyageurs de six pays à majorité musulmane, elle ne le porte plus. « On m’a trop regardée et dévisagée » dit-elle. « Je l’ai porté une ou deux fois, mais je m’intègre mieux et je fais des choses bien plus facilement si je ne le porte pas ».

Wilson organise un rapprochement entre des étudiants étrangers et des locaux désireux d’aider et, sur les photos de sa remise de diplôme, Melle Tafesh se trouve entre les membres d’un couple américain, Bob et Pat Keffer. « Ghada est une personne très positive », dit Mme Keffer. « Je sais qu’elle est passée par beaucoup de choses dans sa vie, mais je ne l’ai jamais vue effondrée, bien que cela lui arrive probablement par moments. Elle a fait connaissance du reste de ma famille, elle appelle mes parents, grand-père et grand-mère, et nous l’aimons tous.

Je ne connaissais pas beaucoup de Musulmans, et j’ai beaucoup appris sur la foi musulmane et appris que je devrais être plus tolérante ». Bien que Melle Tafesh donnerait tout pour être ce jour-là avec ses parents qui n’ont pas pu venir pour la remise de diplôme, vu la difficulté  à sortir de Gaza, le concept de famille a pris un sens encore plus important pour elle. « Si je n’avais pas le sentiment d’avoir une famille et une maison ici, je n’aurais jamais pu rester » dit-elle. « Cela m’aide à avancer ».

Melle Tafesh projette de rentrer à Gaza après l’obtention de son master en mai prochain. D’ici là, cela fera presque six ans qu’elle n’a pas été chez elle. De retour à Gaza, elle veut enseigner à l’université et mettre les Gazaouis face aux principes d’une formation générale. « Ici, on développe ses facultés de pensée et on apprend à ne pas être un consommateur passif » m’a-t-elle dit. « C’est ce que je fais à la fin de la journée, pour créer une vie meilleure, de retour chez moi ».

Zaina Arafat (@ZainaArafat) est une écrivaine Palestinienne-Américaine. Elle travaille actuellement à son premier roman

Traduction: SF pour l’Agence Media Palestine

Source :  New York Times

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