Le massacre de civils palestiniens par Israël devrait susciter l’horreur – et l’action

Par Ian S. Lustick – 18 mai 2018

Il y a longtemps que le blocus de Gaza devrait avoir cessé – et qu’on devrait reconnaître que les Palestiniens et les Israéliens vivent déjà dans un seul État.

Manifestants palestiniens s’enfuient devant les grenades lacrymogènes des Israéliens, le long de la frontière entre Israël et Gaza à Khan Younis, au centre de la Bande de Gaza. 18 avril 2018.
(Mohammed Talatene / picture-alliance / dpa / AP Images)

 

La barrière qui enferme les deux millions de Palestiniens qui “vivent” dans la Bande de Gaza n’est pas une frontière entre deux pays, comme les médias se plaisent à le répéter. C’est un mur érigé par Israël pour rendre la souffrance de ceux qui vivent dans le ghetto de Gaza aussi invisible que possible à ceux qui vivent en dehors. Israël a dit aux Gazaouis que quiconque tenterait de traverser ce mur et de s’échapper de Gaza serait abattu. Quiconque s’en approcherait serait abattu.

Et c’est exactement ce qui s’est passé durant les semaines de manifestations des réfugiés palestiniens, qui cherchaient à mettre en exergue leur exil de soixante-dix ans de leur terre – terre qu’ils peuvent voir juste derrière le mur. Un grand nombre de Palestiniens ont été tués, y compris des journalistes et des enfants. Des milliers d’autres ont été blessés à balles réelles, beaucoup ont perdu des membres et dû être amputés. En parallèle, on a rapporté qu’un soldat israélien avait été blessé par une pierre. Il y a beaucoup de mots pour décrire ce qui se passe.

Les Palestiniens parlent d’héroïsme, de résistance, de dévouement et de martyre. Le gouvernement israélien appelle sa politique de tirer-pour-tuer et tirer-pour-blesser de « l’auto-défense ». Les soldats, individuellement, disent avoir « suivi les ordres ». En même temps, les organisations israéliennes de défense des droits humains qualifient la politique décidée par le Premier ministre Netanyahu et le Ministre de la défense Avigdor Lieberman de « scandaleusement illégale ». Ma grand-mère l’aurait appelée shanda (mot yiddish pour une « honte »).

Mais qu’il s’agisse d’héroïsme ou d’auto-défense, que les ordres de tirer soient légaux ou illégaux, la violence armée israélienne croissante que le monde a été obligé de voir le long du mur du ghetto de Gaza est, sans aucun doute, répugnante. Pour n’importe quel être humain, quels que soient ses opinions politiques et ses liens avec Israël ou avec les Arabes palestiniens, les constants massacres de civils palestiniens sont, ou devraient être, émotionnellement et spirituellement intolérables. Qu’il soit psychologiquement et politiquement possible pour les Palestiniens de continuer à se sacrifier ainsi témoigne de la situation désespérée dans laquelle ils vivent ; qu’il soit psychologiquement et politiquement possible pour les Israéliens d’assassiner et de mutiler tant d’hommes, de femmes et d’enfants lorsqu’ils essaient de s’échapper du ghetto dans lequel ils ont été enfermés, ou tentent juste d’attirer l’attention du monde sur leur souffrance, est une souillure tragique et humiliante sur l’État juif et le mouvement sioniste qui l’a créé.

C’est aussi entièrement autodestructeur pour un État qui combat les efforts de ceux qui essaient de « délégitimer » son existence. Certainement, il y a toujours la hasbara – ou propagande – israélienne pour aider ceux qui cherchent à réprimer la révulsion et la douleur que toute personne décente doit ressentir en entendant ce qui se passe à Gaza. Cette hasbara affirme avec insistance que les manifestations ne sont rien d’autre qu’un coup de publicité cynique du Hamas. Elle nous dit que des terroristes armés par Hamas se cachent parmi les manifestants, utilisant les masses misérables pour dissimuler leurs tentatives d’assassinat d’Israéliens. Qui pourrait en douter ?

Lorsque les Britanniques administraient la Palestine, l’armée juive de l’ombre se vantait de cacher des usines d’armes dans des écoles et des synagogues. Et comme nous le savons, dans tout ghetto assiégé il y a des personnes qui combattent le ghetto, et ils sont traités comme des héros par ceux qui sont à l’intérieur et comme des terroristes par ceux à l’extérieur. Mais s’il y a certainement des personnes violentes au sein des masses de manifestants, n’oublions pas qu’aux côtés des nombreux soldats israéliens qui souffrent sûrement de remords, d’autres, comme on a pu le voir sur des vidéos, se congratulent pour avoir utilisé des armes sophistiquées de snipers pour faire de gros trous dans des corps humains à des centaines de mètres. Quant à ceux qui sont responsables des politiques de sécurité de l’actuel gouvernement israélien, ils savent très bien ce qu’ils font et les horreurs qu’ils infligent.

Les faucons de la sécurité qui dirigent les think tanks et les ministères israéliens parlent régulièrement de « tondre la pelouse » à Gaza, d’y maintenir la population « à la diète » et de « gérer le conflit » en infligeant des souffrances intentionnelles pour graver dans le cœur des Palestiniens la conviction que la résistance est inutile. Lorsqu’Israël a décidé de sceller hermétiquement Gaza en 2007, un expert en géographie politique de l’Université de Haifa du nom d’Arnon Soffer a apporté tout son soutien à cette politique, mais il a ajouté que cela signifierait en fait non de combattre des hommes en armes mais de « mettre une balle dans la tête de tous ceux qui tenteraient d’escalader la barrière de sécurité ». « Si nous voulons rester en vie », a-t-il dit, ce qui signifiait pour lui si Israël veut demeurer un « État juif », « nous devrons tuer, tuer et tuer ».

Le combat pour une solution à deux États n’est pas moribond, il est mort. Cela est vrai, même si prétendre que des négociations pourraient aboutir est une excuse utile – une manière pour Israël, l’Autorité palestinienne, les États-Unis et l’industrie du processus de paix d’exploiter ou d’ignorer l’oppression croissante que représente la réalité actuelle d’un seul État. Selon des sources militaires israéliennes, il y a maintenant plus de Palestiniens vivant sous le contrôle de l’État israélien qu’il n’y a de Juifs. De fait, les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie vivent en pratique déjà dans l’État juif. Ils ne sont citoyens d’aucun autre pays, d’aucun autre État reconnu.

Si on mesure l’impact de l’État d’Israël sur les détails intimes de leurs vies, et en réalité sur le fait de savoir s’ils vont même vivre ou pas, ils sont des habitants de l’État d’Israël au même titre que les esclaves noirs étaient des habitants des États- Unis ou les Africains dans les Bantoustans étaient des habitants de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Les cinq décennies d’occupation de la Cisjordanie et les douze années du blocus de Gaza, combinées avec les punitions violentes régulièrement infligées, ne font que marquer les différences dans la manière dont l’État d’Israël gouverne les différentes populations dans les différentes régions.

Dans ce sens, il n’y a plus de raison pour que les Israéliens voient l’appel des Palestiniens au retour comme une « menace » contre l’idéal d’un État juif démocratique. Après tout, que signifiait réellement cet idéal ? Il signifiait un État contrôlé par les Juifs, pour les Juifs, mais qui pourrait s’affirmer comme une démocratie offrant les mêmes droits à tous. Cependant, un État qui utilise le genre d’incarcération de masse, de surveillance lourde et constante, de punition collective et de violence sanglante envers ceux qu’il contrôle qu’Israël utilise envers les résidents palestiniens ne peut plus s’affirmer démocratique.

On ne peut pas non plus prétendre raisonnablement qu’autoriser les réfugiés de Gaza à s’établir dans les régions sous-peuplées qui entourent la Bande de Gaza représente un plus grand danger pour Israël et ses habitants juifs qu’attendre que la bombe à retardement de Gaza explose. La vérité est que, quels que soient les efforts que peuvent faire les Israéliens pour nier ou se distancer des souffrances que leur gouvernement inflige au peuple de Gaza, leurs destins sont intimement liés. Voyez Ashkelon, une cité israélienne sur la côte méditerranéenne à 20 kilomètres de la Bande de Gaza. Avant l’expulsion de sa population vers Gaza à la suite de la guerre de 1948, c’était la ville palestinienne de Majdal. Israël (avec la complicité de l’Autorité palestinienne) a réduit la quantité d’électricité fournie à Gaza, de telle sorte qu’elle n’est disponible que quatre heures par jour.

Pour deux millions de personnes, c’est un calvaire, mais cela signifie également que les usines de traitement des eaux usées ne peuvent fonctionner correctement, ce qui contribue au fait que 97 pour cent de l’eau potable à Gaza est contaminée. Les experts avertissent que le choléra et d’autres épidémies risquent de se déclencher à Gaza et se répandre au-delà du mur qui l’entoure. En même temps, l’usine de désalinisation d’Ashkelon, qui fournit à Israël 20 pour cent de son eau potable, a dû être fermée à plusieurs reprises parce que les égouts de Gaza s’écoulaient dans les eaux environnantes, et les plages de la ville ont été fermées à cause des matières fécales qui viennent s’échouer.

A long terme, la solution à la catastrophe humaine que représente la Bande de Gaza sera d’intégrer pleinement sa population dans la société de l’État qui la contrôle. Pour le moment, et dans un avenir proche, cet État c’est Israël. Mais l’exigence immédiate est d’arrêter le blocus brutal qui ne fait qu’accroître la misère des Gazaouis et leur fait perdre tout espoir – une direction vers laquelle de nombreux experts militaires et de sécurité israéliens recommandent d’orienter les politiques actuelles. Ce n’est qu’en faisant cela que la vie peut devenir assez normale pour convaincre les Palestiniens ordinaires à Gaza que celle-ci vaut plus que ce qui leur arrive lorsqu’ils tentent de s’en échapper.

Ian S. Lustick est Professeur en science politique à l’Université de Pennsylvanie.

Source : The Nation
Traduction : MV pour l’Agence Média Palestine

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