‘L’art est une forme de résistance’ : Des frappes aériennes israéliennes détruisent le centre culturel de Gaza

Maha Hussaini – 10 août 2018

La Fondation al-Meshal était l’une des quelques sorties culturelles possibles pour les Gazaouis. Jeudi, elle a été écrasée sous les bombes.

Al-Anqaa, groupe musical palestinien, joue sur les ruines du centre culturel (MEE/Mohammed Asad)

GAZA – Jeudi, une série de frappes aériennes israéliennes ont complètement détruit la Fondation al-Meshal dans la Bande de Gaza. Alors que c’était l’un des très rares lieux culturels encore disponibles pour les Palestiniens de l’enclave assiégée, cette destruction est accablante.

Ce bâtiment de cinq étages contenait un théâtre, une bibliothèque, les bureaux d’associations culturelles et hébergeait un bureau pour la communauté égyptienne de Gaza.

« Vous savez ce que cela veut dire d’avoir travaillé pendant plus de huit ans dans un endroit, si bien que vous en connaissez chaque carrelage comme le fond de votre poche, et soudain, en un clin d’oeil, il n’y a plus rien ? », a demandé Edrees Taleb, 27 ans, l’un des directeurs de théâtre bien connu du centre.

« Ces deux derniers mois, nous nous étions préparés à jouer une nouvelle pièce ‘Seringue Anesthésique’ pour les fêtes de l’Aïd al-Adha et nous avions installé les décors quelques heures avant que le bâtiment ne soit attaqué », a-t-il dit.

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Taleb ne pouvait pas croire que le bâtiment avait été rasé jusqu’à ce qu’il soit allé voir par lui-même.

« Nous avions passé toute la journée de jeudi à préparer la représentation de samedi. Le décor nous a coûté cher, mais nous espérions être payés en retour », a-t-il dit.

« Nous avons fini les préparatifs vers 15 H.30 et je suis renté chez moi pour prendre un peu de repos. Quand je suis revenu vers 18 heures, le bâtiment avait disparu. Je suis choqué et suffoqué. »

Taleb, qui travaillait au centre depuis l’âge de 18 ans, a dit qu’il ne pouvait comprendre ce qui avait poussé les forces israéliennes à cibler un bâtiment qui n’a « rien à voir avec les factions politiques palestiniennes ».

« Israël a dit que ses forces avaient visé ce bâtiment parce que le Hamas en utilisait une partie. Mais j’y ai travaillé pendant plus de huit ans et il n’y a jamais rien eu en lien avec aucun parti politique. Ni dans le passé, ni récemment. »

Alaa Qudain, 18 ans, connue pour être la plus jeune photographe de Gaza, a dit qu’elle attendait avec beaucoup d’impatience la fête de l’Aïd pour voir la pièce, sombre comédie qui traite de la situation politique et économique à Gaza.

« J’avais l’habitude d’aller régulièrement au centre al-Meshal parce que je m’intéresse à l’art et au théâtre, d’autant plus qu’il n’y a pas de vrai cinéma à Gaza », a-t-elle expliqué.

« Au lieu de regarder des films sur internet, j’ai toujours aimé y aller et voir des gens de mon âge jouer et représenter notre réalité de Gaza. »

« Ce n’est pas le seul lieu culturel qu’Israël ait visé. Plusieurs autres lieux ont précédemment été détruits et ceci ne fait que démontrer l’intention qu’a Israël de cibler la culture palestinienne », a dit Qudain.

Marah Bselssa, 15 ans, chanteuse palestinienne (MEE / Mohamed Asad)

Avichay Adraee, porte-parole des média arabes de l’armée israélienne, a écrit, peu après l’attaque sur le bâtiment, dans un post sur Tiwtter : « Des avions de guerre ont ciblé un bâtiment de cinq étages qui abrite des forces de sécurité intérieure […]. Cette unité est la branche opérationnelle de la direction politique du Hamas, responsable de toutes les activités de sécurité intérieure dans la Bande de Gaza. »

Hanin al-Holy, 23 ans, a dit que ce bâtiment avait été ciblé parce qu’il fournissait aux résidents de Gaza, qui ont souffert plus de dix ans de blocus israélien, une possibilité de leur remonter le moral.

« Ils [les forces israéliennes] n’ont visé le bâtiment que parce qu’ils s’obstinent à détruire tout ce qui procure de la vie à la population de Gaza », a dit Holy, 23 ans, à Middle East Eye.

« Le centre al-Meshal était symbole de culture, quelque chose qui renforçait notre identité palestinienne. Ils l’ont ciblé parce que l’art est, lui aussi, une forme de résistance. »

Holy a écrit et récité un jour sur la scène d’Al-Meshal un poème dédié aux prisonniers palestiniens, intitulé « Mon Dernier Message ». Elle pense que ce poème reflète la réalité à laquelle font face actuellement les jeunes Palestiniens. « Chaque fois que je veux écrire à propos de notre bonheur, ma plume s’y refuse. Je perds espoir », écrit-elle dans ce poème.

Holy a dit que les forces israéliennes avaient détruit un lieu qui lui avait offert « l’un des plus précieux moments »de sa vie.

« j’adore me tenir sur la scène. Je ne pourrai jamais oublier ce que j‘ai ressenti la première fois que j’ai récité mon poème en présence d’un public », s’est-elle souvenu. « Leurs yeux, la façon dont ils se remplissaient d’émotion en écoutant sans bruit mon poème, et le moment où ils se sont tous levés pour applaudir quand j’ai eu fini. Ce sont des moments qui vous marquent pour la vie. »

L’identité palestinienne

Le ministre palestinien de la Culture à Gaza a tenu vendredi matin une conférence de presse sur les ruines du bâtiment pour condamner Israël pour avoir ciblé le centre culturel. Des dizaines de jeunes hommes, de jeunes femmes et d’enfants se sont également rassemblés pour protester contre l’attaque israélienne.

Parmi les manifestants se trouvaient certains des 110 membres du groupe musical al-Anqaa qui a perdu son quartier général, son équipement et ses tenues de scène dans l’attaque sur le bâtiment.

« Le message d’Israël est clair. Détruire un bâtiment culturel d’une telle importance à Gaza n’a qu’une signification : c’est que sa guerre ne vise pas que les factions armées et les Palestiniens, mais aussi quelque chose qui a à voir avec l’identité palestinienne », a dit Eid Musabbeh, 28 ans, directeur de l’orchestre.

Mussabeh a dit que, malgré le désespoir et le choc ressentis à voir envolé tout ce qu’ils avaient construit ces 13 dernières années, ils « n’arrêteront pas ».

« Le nom de notre orchestre vient de l’oiseau imaginaire qui s’élève au-dessus des ruines. Eh bien, nous aussi », a-t- il poursuivi. « Nous ne pouvons pas renoncer alors que notre art est devenu un outil de résistance. »

Pour des dizaines d’associations et de centres qui ont pour but de renforcer la culture palestinienne, le bâtiment d’al-Meshal était le seul incubateur qu’ils avaient dans l’enclave côtière.

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Voix volées

Alaa al-Gherbawi, 26 ans, dont le travail est de coordonner l’activité du Palais de la Culture Palestinienne et dont les bureaux se situaient au quatrième étage du bâtiment al-Meshal, a dit que le centre n’était pas qu’un bâtiment, mais un « monument culturel ».

« Notre association travaille à soutenir les enfants palestiniens grâce à l’art et la culture. Toutes les autres équipes et bureaux qui travaillaient à l’intérieur du bâtiment ne procuraient que ce genre de services », a-t-elle dit à MEE.

« En détruisant ce bâtiment, tout a disparu, y compris nos bureaux et les costumes des enfants pour le Dabke (danse folklorique palestinienne) », a-t-elle ajouté. « Mais ce n’est pas la fin. Nous trouverons un autre espace pour continuer à former les enfants et réaliser des spectacles, même sur les ruines du bâtiment détruit. »

Marah Bseisso, chanteuse de 15 ans et membre du Palais de la Culture Palestinienne, a dit qu’avoir ciblé son endroit favori à Gaza « m’a brisé le coeur ».

« Je chantais des chansons pour la Palestine, pour la paix et l’enfance, et cet endroit me fournissait une scène pour faire entendre ma voix », a-t-elle dit.

« C’est comme s’ils avaient volé nos voix. »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye

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