Nous avons eu une amende pour avoir demandé à Lorde de boycotter Israël – mais on ne nous réduira pas au silence

Nadia Abu-Shanab et Justine Sachs – Lundi 22 octobre 2018

Nous avons été punies parce que la chanteuse a annulé un concert à Tel Aviv. Cette tentative de détournement de la situation dans son ensemble ne marchera pas.

Un tribunal israélien nous a ordonné ce mois-ci de payer 18.000 $ néo-zélandais (9.000 £) de dommages pour avoir porté tort au « bien-être artistique » de trois adolescentes israéliennes. Cette décision a été prise après que l’auteure-interprète Lorde se soit conformée à l’appel de militants, dont une lettre de nous deux, et ait annulé son concert à Tel Aviv. Ces adolescentes ont prétendu qu’elles souffraient d’une « atteinte à leur bonne renommée en tant qu’Israéliennes et Juives » ; leur action juridique a été rendue possible grâce à une loi israélienne de 2011 qui autorise une poursuite au civil contre quiconque encourage un boycott du pays.

Ce n’est pas une blague. Cela peut paraître risible, mais les implications politiques sont implacablement sérieuses. Ce procès est un exemple éclatant et un prolongement de la répression des voix dissidentes par Israël.

Depuis le lancement en 2005 du mouvement (BDS) Boycott, Désinvestissement et Sanctions, qui encourage des actions contre Israël jusqu’à ce qu’il se conforme à « ses obligations envers le droit international », Israël a utilisé toute une série de stratégies pour bloquer et saper la campagne mondiale. Certaines de ces stratégies sont modestes, telle l’application « plaidoyer » Act.IL, qui vise à « influencer le débat en ligne à propos d’Israël ». L’application engage les utilisateurs à identifier la critique d’Israël en ligne et à copier-coller « des réponses préalablement approuvées » pour inonder les critiques de propagande du gouvernement.

Les ministres israéliens ont récemment débattu d’un projet de loi qui réclame jusqu’à sept ans d’emprisonnement pour quiconque défend BDS. Plutôt que d’intimider, cette réaction ne fait que démontrer la nécessité de BDS. D’autres tactiques sont plus pénalisantes. Le procès contre nous a été intenté par le Centre Juridique Shurat HaDin. Depuis des années maintenant, il a ciblé les défenseurs du mouvement BDS, témoignage du potentiel du mouvement de boycott à transformer la politique israélienne dans la région.

Ces tactiques entraînent les militants dans des débats coûteux en argent et en temps, des discussions d’hommes de paille, des procès bidon et des litiges fastidieux. Elles ont un effet réfrigérant qui vise à nous soumettre par la peur ou à nous taire, à saper l’intégrité morale et la dignité des individus et des associations concernés. Jusqu’à un certain point, ça marche. Mais cela ne marchera pas avec nous deux, enseignante de maternelle et étudiante, repliées dans les portées les plus lointaines du Pacifique Sud.

Lorsque nous avons écrit notre lettre à Lorde, nous avons rejoint un choeur d’autres voix. L’annulation de Lorde témoigne de sa propre intelligence et de son humilité quand on lui a présenté les faits de l’agression israélienne. Que nous ayons reconnu qu’elle était susceptible de changer d’avis témoigne de l’étendue de la base morale que le mouvement BDS est arrivé à gagner au cours de la dernière décennie.

Notre lettre n’a pas fait vaciller l’équilibre des forces. Le lent et patient travail de construction du mouvement l’a fait. Néanmoins, Israël a enfoncé une estrade sous nos pieds. Cette estrade arrive avec la responsabilité de démontrer comment nous pouvons et devrions répondre à sa tactique. Le but d’Israël était de nous intimider, mais aussi d’établir les termes du débat. Les sensibilités israéliennes sont le point de départ d’où on doit comprendre les choses. Nous le voyons dans la façon dont on demande constamment aux Palestiniens s’ils croient au droit à Israël d’exister, tandis que l’existence des Palestiniens est niée et menacée.

Cette année, le journaliste et écrivain américain-palestinien Ramzy Baroud est venu en Nouvelle Zélande. Il nous a fait comprendre le besoin de rejeter ces termes. Il a expliqué que la lutte des Palestiniens exigeait des Palestiniens et de leurs soutiens de récupérer leur récit.

Israël voulait qu’on discute de notre cas afin de s’éloigner du contenu et du contexte plus large de notre lettre. Ce contexte est celui dans lequel les Palestiniens ordinaires se lèvent tous les jours pour se dresser contre une attaque sans fin.

En réaction à l’ordre du tribunal, nous avons reçu quantité d’offres d’aide financière. Nous voulions canaliser cet esprit de générosité vers le travail de terrain d’organisations de Gaza. Nous avons mis en place une page de financement pour lever des fonds pour les associations qui font un travail vital pour la santé mentale à Gaza. En un semaine, la page a généré près de 40.000 NZ$ auprès de la communauté mondiale. La force des sentiments est claire. Les gens cherchent des moyens de jouer un rôle dans le combat pour la justice en Palestine.

Cet argent ira dans des projets importants décidés par des organisations populaires qui cherchent à s’occuper des circonstances immédiates de la crise de santé mentale et humanitaire. Mais traiter les blessures psychologiques dues aux agressions israéliennes à Gaza n’est pas suffisant. Traiter les cauchemars est une œuvre utile, mais à la fin, nous devons changer les conditions préalables. Nous devons travailler avec les Palestiniens pour réaliser leurs rêves collectifs de liberté et de justice.

La recherche de la dignité des Palestiniens requiert toute notre attention. Il y a un énorme travail à accomplir. Selon les mots de Lorde : « Nous devons être déterminés et n’avoir peur de rien. »

Nadia Abu-Shanab est une militante, enseignante et syndicaliste d’origine palestinienne. Justine Sachs est une étudiante, militante et écrivaine d’origine juive.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Guardian

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