Muqata’a : notre musique est un moyen de déstabiliser, d’être un bug dans le système

Interview par Kieran Yates, 20 octobre 2018

Muqata’a: « Le son est assurément agressif – c’est sur la riposte » Photo: © Boiler Room

Muqata’a est connu localement comme le fondateur de la scène hip-hop de Ramallah, une ville de Cisjordanie en Palestine. Ancien membre du très applaudi collectif Ramallah Underground, il pratique une sorte de hip hop expérimental – fondé sur un échantillonnage et une mise en boucle des bruits de sa ville – qui a été réputé influencer une nouvelle génération de musiciens palestiniens. Il est d’une famille de réfugiés palestiniens qui se sont déplacés entre Nicosie à Chypre et Amman en Jordanie et qui est finalement revenue à Ramallah. On peut voir Muqata’a dans un nouveau documentaire, Palestine Underground, qui suit des membres de la culture de danse underground en développement quand ils improvisent des fêtes dans la région. Il sera diffusé en ligne le 30 octobre sur Boiler Room.

Muqata’a” signifie troubler ou boycotter. Comment ta musique en est-elle le reflet ?

Je parsème de musique arabe classique mes enregistrements. Quand on nous prend notre terre, notre culture est mise en sourdine. Donc c’est un moyen de perturber cela – il est très important d’être un bug dans le système. Quand votre patrimoine est attaqué par l’État, il faut trouver des moyens pour qu’on se souvienne de vous, aussi je prends beaucoup d’échantillons de musique. Une grande partie de la musique arabe ou des vieux disques des maisons de mes grands parents à Jaffa et à Safed, par exemple, ont été pris lorsque leur maison a été confisquée. Ainsi, c’est un moyen de faire revenir ces sons. Maintenant, c’est à l’étranger que je dois trouver beaucoup de ces vinyles– au Royaume Uni, en France ou en Grèce. Avec beaucoup de chance, je pourrais en trouver dans des boutiques de vente d’occasion ici, mais c’est rare. Un de mes favoris du moment c’est Al Henna de Layla Nathmi.

Quels autres sons as-tu samplé ?

Quelques checkpoints militaires israéliens. J’ai acheté un magnéto Tascam il y a quelques années ; c’est ce que j’utilisais pour essayer d’échantillonner les sons autour de moi. Cet appareil ressemble un peu à un taser, donc c’est un peu risqué de se promener avec, alors maintenant je me sers juste de mon téléphone, c’est plus discret. Je le mets juste dans ma poche, je mets l’enregistrement en marche et je me balade.

Comment décrirais-tu le milieu des clubs en Palestine ?

On n’a pas vraiment une culture des clubs ici – les fêtes se passent dans des cafés ou dans des restaurants ou des bars, la plupart du temps. On n’a pas de vrais clubs, donc ce sont plutôt de petits événements ici et là et les weekends on apporte un sound system. Mais ces lieux se font fermer massivement. La nouvelle culture de musique et de danse est politique ici, parce qu’elle représente la tentative de faire connaître la Palestine. C’est ce qu’on ressent quand on l’écoute.

Muqata’a au travail, sur une image du film Palestine Underground. Photo: Raouf H.Y

Dans le documentaire, il y a beaucoup de références au « son de Palestine ». Qu’est ce que ça signifie pour toi ?

C’est difficile de le définir comme un son, mais je dirais qu’il est absolument agressif – c’est de la revanche ; c’est la réponse au son des checkpoints et des hélicoptères militaires et de tout ce qu’on a l’habitude d’entendre tous les jours. Je ne suis jamais allé à Haïfa (en Israël) mais de ce que j’entends, là-bas aussi c’est une musique différente ; cela tient à la différence d’environnement, au fait de vivre directement sous l’autorité du gouvernement israélien. Mais je n’ai pas le droit d’aller là-bas parce que je vis à Ramallah, donc il me faut un permis spécial. Je décris ma musique comme du hip-hop instrumental, mais d’autres l’ont décrite comme bizarre/syncopée/tordue/sombre/bruyante. C’est ma propre interprétation du hip-hop et de mon environnement.

Quelle est la règle concernant le couvre-feu de minuit ?

La Cisjordanie est sous autorité palestinienne et il n’y a pas de règle, en fait. C’est juste qu’à minuit la police vient là où nous avons une activité et ferme les lieux sans raison. Ils disent simplement : « Vous dérangez les voisins » ou « c’est trop fort ». Mais à l’occasion d’événements mainstream qui se passent ici, comme les grandes fêtes pour les riches de l’élite, ils ont le droit de continuer. Les mariages durent jusqu’à 4 ou 5h du matin et ça fait vraiment du bruit.

Quel est, à ton avis, le pouvoir de la dance music dans un endroit comme Ramallah ?

À Ramallah et en Palestine en général, il y a une culture de la danse, mais ce n’est pas qu’une question de danse – on fait des tas de fêtes où les gens sont juste assis et parlent ou regardent. C’est plus que de la musique. Le rassemblement de DJ, de producteurs et de rappeurs, c’est ça qui est puissant et de plus en plus d’artistes émergent.

Le documentaire met aussi en évidence de nouveaux jeunes talents tels que le Jazar Crew, la DJ Sama et les producteurs Al Nather de trap arabe. Quel effet cela fait-il de voir une nouvelle génération d’artistes représenter ainsi la Palestine ?

C’est bien de mettre le projecteur sur le talent. Il n’y a pas qu’un son – Il y a des choses qui se passent dans le monde de la musique électronique et du hip hop et la génération est entendue à sa manière. Je veux dire, ça se passe depuis si longtemps qu’il est important de voir tout ce qu’on peut faire avec si peu.

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine
Source : The Guardian 

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