L’Eurovision au service de « la marque » Israël

Par Laetitia Fromenteau, Agence Média Palestine, 13 mai 2019

L’Eurovision se tiendra le 18 mai prochain à Tel-Aviv, une année après la répression brutale des manifestations palestiniennes dans le cadre de « la marche du retour » organisées à Gaza, en 2018. Pour l’heure, de nombreux artistes, activistes LGBT et multiples associations s’unissent pour dénoncer le plus grand événement musical de la planète, afin qu’il ne devienne pas une puissante arme de propagande israélienne.

L’Eurovision 2019 sera organisé en Israël, berceau de l’un des conflits qui déchaînent les plus vives passions du monde contemporain. Depuis la victoire de l’israélienne Netta Barzilai avec la chanson Toy, le 12 mai dernier à Lisbonne, la perspective d’une Eurovision moyen-orientale attise les colères à travers le monde occidental. Le choix de Tel-Aviv comme ville-hôte (après la polémique née de l’éventualité d’une organisation à Jérusalem) avait suffi à générer de vives tensions.

Rares sont les événements à caractère international qui se déroulent en Israël. Ce concours fêtera sa 64ème édition et sera suivi par plus de 200 millions de téléspectateurs à travers le monde, un véritable coup de projecteur pour le chef du gouvernement israélien fraichement réélu. La puissance médiatique que génère l’organisation du plus grand show télévisuel mondial en live est une formidable occasion pour promouvoir l’image d’Israël, mais aussi une occasion inespérée pour les mouvements contestataires d’un régime de faire entendre leurs voix.

Un concours contesté : appel au boycott

A moins d’un mois de la finale du concours, la question palestinienne fait toujours débat. De nombreux artistes internationaux et multiples associations ont appelé ces derniers mois au boycott de l’événement, pour protester contre la politique du gouvernement israélien à l’encontre des Palestiniens.

Les appels au boycott se multiplient et les tensions européennes se réveillent face à un pays qui vient de voter une loi fondamentale, dite « loi de l’État-Nation du peuple juif », qui confère un mandat constitutionnel de discrimination raciale contre les Palestiniens. Cette mesure n’accorde pas les mêmes droits aux Israéliens selon qu’ils soient juifs ou non-juifs. A travers cette loi, le gouvernement israélien officialise l’apartheid. Désormais, les citoyens palestiniens se voient refuser l’égalité des droits, conformément à la constitution.

C’est dans ce contexte tendu que plus de 140 artistes internationaux ont appelé à boycotter l’Eurovision, dans une lettre publiée dans le journal britannique The Guardian. Cette tribune a été signée par des noms aussi prestigieux que ceux de Vivienne Westwood, Peter Gabriel, Ken Loach, Yann Martel ou encore Roger Waters, membre fondateur des Pink Floyd, et très engagé dans la campagne internationale BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) contre Israël. Cette lettre avait pour but de demander à la chaîne de télévision britannique BBC de s’opposer au concours de l’Eurovision en Israël, cette dernière a refusé de boycotter l’événement.

Ils estiment que le concours doit être boycotté tant qu’Israël continue « ses graves violations des droits de l’homme ». Les artistes demandent donc que l’organisation du concours soit transférée dans un autre pays. « Quand la discrimination et l’exclusion sont si profondément ancrées, la volonté de l’Eurovision 2019 de célébrer la diversité et l’inclusion sonne creux », ont-ils plaidé. « L’Eurovision est peut-être un divertissement léger, mais il n’est pas exempt de considérations liées aux droits de l’Homme – et nous ne pouvons ignorer la violation systématique par Israël des droits des Palestiniens », peut-on lire encore.

A ses revendications, ce sont également greffées plus de 60 associations LGBT et Queer dans près d’une vingtaine de pays pour pointer du doigt le « pinkwashing » exercé par Israël. Des artistes et des organisations culturelles palestiniennes ont aussi appelé à une pression non violente sous forme de boycottage d’Israël jusqu’à ce qu’il respecte ses obligations en vertu du droit international.

Mais c’est en Islande que les premières réticences se sont fait sentir. Trois jours après la victoire d’Israël à l’Eurovision 2018, une pétition appelant au boycott de l’édition 2019 y recueillait 8000 signatures. La veille, plus de 60 palestiniens avaient été tués par des tirs israéliens, alors qu’ils manifestaient dans la bande de Gaza contre le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Faisant du lundi 14 mai 2018, la journée la plus meurtrière du conflit depuis 2014.

Madonna exhortée à annuler sa participation à l’Eurovision

Le gouvernement israélien a vu la victoire de Netta Barzilai comme un triomphe diplomatique et le Premier ministre Benjamin Netanyahou la félicité d’être « la meilleure ambassadrice ». Pour Israël, il s’agit d’un rendez-vous à ne pas louper ! Et pour cause, le pays a fait appel à la célèbre star américaine de la pop, Madonna, comme invitée de marque.

Madonna va servir de caution à Israël. Payée une fortune pour chanter à l’Eurovision, la venue de la star est censée amadouer les multiples associations qui appellent au boycott de la cérémonie. Cependant, même avec Madonna, les chaînes américaines font l’impasse sur l’Eurovision. Aucun diffuseur n’a choisi d’acheter les droits pour le concours à seulement un mois de l’événement.

Entre temps, dans les heures qui ont suivi la confirmation de la performance de Madonna, des militants du mouvement BDS ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour que la star américaine annule   son   concert, en   utilisant   l’hashtag   #Boycotteurovision2019   et #Madonnadontgo.

« L’Eurowashing »

L’Eurovision au même titre que les événements tels que la Gay Pride, sont utilisés comme un écran de fumée pour détourner l’attention et discréditer ceux qui mettent en lumière les crimes contre l’humanité commis par Israël et ainsi, légitimer un État qui institutionnalise l’apartheid. En parallèle, le gouvernement israélien n’hésite pas à utiliser ouvertement la culture comme un instrument de propagande pour blanchir, justifier ou détourner l’attention de son régime d’occupation fondée sur l’idéologie coloniale vis-à-vis du peuple palestinien.

Le boycott culturel ne s’oppose ni aux produits culturels, ni aux artistes, mais à la « hasbara » de l’État israélien. Ces derniers sont donc instrumentalisés pour promouvoir une image attrayante destinée à masquer le visage d’un État apartheid (colonisation, crimes de guerre, emprisonnements des enfants, torture, blocus humain de deux millions d’habitants dans la bande de Gaza, violation des droits de l’homme … depuis plus de 70 ans).

La culture comme arme politique

De tous les boycotts, celui de la culture israélienne est certainement le moins bien compris et le moins accepté. On est souvent heurté par des phrases telles que « la culture rassemble », ou « la culture créée des ponts entre les peuples ». Pour autant, comme n’importe quel autre secteur d’activité, la culture est aussi un instrument qui peut se retrouver au service du pouvoir politique.

Les productions culturelles, les institutions de savoir, les sports sont utilisés comme des porte- drapeaux nationaux à l’efficacité redoutable. Ce dispositif politique tentaculaire est mis en place sous le nom de la « hasbara », ce qui signifie littéralement « l’explication » en hébreu, est un nom donné à la propagande d’État et à son dispositif interministériel de lutte contre

« la menace » de « délégitimation d’Israël » jugée stratégiquement prioritaire. La « hasbara » dépend directement du premier ministre. En 2015, Benjamin Netanyahou a même créé un ministère des affaires stratégiques et de la diplomatie publique, chargé de la lutte contre le BDS et doté d’un budget confortable de 30 millions d’euros.

Cette cellule sert à présenter une image démocratique, libérale, dynamique et fausse d’un État d’exception permanent, hors-la-loi pour le droit international. Un moyen pratique pour un État comme Israël de vanter une idéologie, et ainsi, de redorer une image ternie ou de camoufler des pratiques immorales.

Au travers de ces manifestations et dénonciations, les militants BDS déconstruisent ainsi l’idée convenue que la culture serait obligatoirement un outil au service des peuples. Ils rappellent que les événements culturels subventionnés et organisés par Israël tel que l’Eurovision ne sont pas si innocents. En occupant le devant de la scène médiatique et en redorant l’image d’Israël, ils occultent les traitements infligés aux palestiniens.

Aux origines de l’instrumentalisation

A partir de 2006, et suite aux répressions sanglantes qui se sont déroulées à Gaza et en Cisjordanie, les hauts responsables israéliens ont pris conscience de l’image négative que leur pays avait aux yeux de l’opinion publique internationale. De ce constat, ils ont décidé de lancer un programme nommé « Brand Israël » en collaboration avec des chercheurs et professionnels du marketing à New York, « Le Brand Israël Group (BIG) ». Cet outil de propagande a pour but d’utiliser les techniques les plus sophistiquées de la communication d’entreprise pour rendre le pays attractif en évitant de parler de religion et du conflit avec les Palestiniens. La communication doit plutôt insister sur les réussites scientifiques, les avancées technologiques et les événements culturels du pays.

Ce dispositif gouvernemental est basé sur la conviction que si Israël n’est pas apprécié à l’étranger, c’est parce que le pays n’est pas compris. De ce fait, plutôt que de remettre en cause leur politique nationaliste, expansionniste et ségrégationniste, les leaders israéliens ont cru bon d’opter pour la subvention de secteurs d’activités sensés revaloriser l’image de leur pays. C’est ainsi que la culture s’est retrouvée massivement subventionnée et que de nombreux événements sont organisés en l’honneur d’Israël, partout dans le monde, depuis plusieurs années.

« La nation branding »

Un autre aspect de la campagne « Brand Israël » consiste à présenter Israël comme un oasis de tolérance pour les homosexuel(les) où leurs droits ne sont pas respectés. Cette campagne de « pinkwashing » est relayée par de nombreuses associations pro-israéliennes qui, pour détourner l’attention de l’occupation, vantent la tolérance de la société israélienne et ferment les yeux sur une homophobie présente. Ce dispositif est tellement puissant que ces experts en « nation branding » ont fait de Tel-Aviv une vitrine parfaite pour le pays, en contradiction totale avec sa réalité.

A travers l’ouvrage « Un boycott légitime : Pour le BDS universitaire et culturel de l’État d’Israël », Eyal Sivan et Armelle Laborie déconstruisent minutieusement ce travail de propagande et démontrent parfaitement comment Israël utilise la culture comme un outil au service du pouvoir. « Pour l’État d’Israël, la principale source d’exportation vers l’Occident n’est pas faite de mandarines ou d’avocats, ni même d’armement ou de systèmes sécuritaires : l’essentiel, c’est la promotion d’une image, celle de « l’énergie créative » pour tout ce qui touche à la culture. Les produits israéliens comme la littérature, la musique, la danse, le cinéma, l’art, la gastronomie, la science et les technologies, l’architecture et l’histoire sont des domaines culturels susceptibles de toucher les publics cibles, particulièrement en Europe ».

Les élites culturelles et universitaires sont les fers de lance de la « hasbara », version marketing. Tel-Aviv leur assigne en permanence la mission de contribuer à la lutte contre la délégitimation en apparaissant à l’étranger comme les représentants d’une culture pluraliste, créative et dynamique. Le boycott culturel s’attaque donc à ce qui est considéré par les responsables israéliens comme une arme stratégique de première importance, justifiant l’existence d’un appareil ministériel lourd. « Ses actions ? Financer les voyages à l’étranger des écrivains, des réalisateurs, des artistes, des compagnies théâtrales et de danse, des musiciens…

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