Au moment de la mort de Morsi, Israël prouve qu’il préfère un Moyen-Orient non démocratique

Orly Noy – 21 juin 2019

Israël n’est pas intéressé par la démocratie en tant que valeur. Au contraire – il a un grand intérêt à s’assurer qu’il continue à porter le titre de « seule démocratie du Moyen-Orient ».

Une partisane du président égyptien évincé, Mohamed Morsi, brandissant une affiche de lui avec les mots en arabe : « Le peuple soutient le président », Le Caire, Égypte, le 6 juillet 2013. (Wissam Nassar/Flash90)

Alors que de nombreux Palestiniens ont été troublés par la mort de l’ancien président d’Égypte, Mohamed Morsi, et que des membres de la Knesset de quatre des partis arabes ont demandé une enquête sur les circonstances de sa mort, les officiels israéliens ont ignoré presque totalement la mort de Morsi. La seule chose qui intéressait Israël dans ce contexte était de savoir si le gouvernement du Caire pouvait « gérer le défi », c’est-à-dire s’il parviendrait à réprimer la tempête qui risque de se déchaîner en Égypte à la suite de sa mort, autour de laquelle de nombreuses questions planent encore.

Pour une entité qui parle constamment de démocratie et qui insiste à se décrire comme la seule démocratie d’un Moyen-Orient qui est otage par ailleurs de dirigeants tyranniques et brutaux, on se serait attendu à une réponse officielle d’Israël à l’occasion de la mort du président égyptien qui avait été élu lors des toutes premières élections démocratiques du pays.

Il est vrai que les résultats des élections qui ont amené Morsi au pouvoir en 2012 n’étaient pas du goût d’Israël (bien que Morsi ait immédiatement indiqué clairement qu’il n’avait pas l’intention d’annuler l’accord de paix entre l’Égypte et Israël, et qu’il était plus engagé en faveur de cet accord que Netanyahou ne l’a jamais été en faveur des accords diplomatiques qu’Israël avait signés auparavant). Mais les leaders élus démocratiquement par leur peuple n’ont pas à être appréciés par leurs homologues, parce que la nature de la charge est censée dépasser la personnalité des dirigeants. En d’autres mots, la question est de savoir si Israël est intéressé par un Moyen-Orient démocratique ou par des dirigeants tyranniques « avec qui faire des affaires ». Ceci est une question rhétorique bien sûr – à propos de laquelle Israël n’a pas vraiment délibéré.

Il n’est pas besoin d’aller aussi loin que l’Égypte pour évaluer la profondeur de « l’engagement » d’Israël en faveur de l’idée de démocratie, quand il s’agit de ses voisins. Il suffit de se souvenir de sa réaction aux résultats des élections du Majles al-Tashri’i – le parlement palestinien – en 2006. Israël aime réciter le mantra « le Hamas contrôle Gaza », mais le Hamas n’a pas conquis la Bande de Gaza, il a gagné des élections démocratiques. Ceci n’empêche pas Israël de punir de manière barbare le Hamas et les personnes qui ont voté pour lui il y a près de dix ans.

Représentants de l’armée birmane à l’exposition ISDEF 2019 à Tel Aviv le 4 juin 2019. (Oren Ziv)

Il y a un peu d’ironie dans le fait qu’Israël lui-même a contribué à la victoire du Hamas ; un an plus tôt, en 2005, les Palestiniens choisissaient le plus modéré des présidents qu’ils pouvaient avoir, et Israël se désengageait unilatéralement de Gaza six mois plus tard, dans un manque flagrant de coordination avec l’Autorité palestinienne. Israël s’est assuré qu’Abu Mazen ne pourrait pas tirer le moindre crédit du retrait israélien de Gaza. Il a tout fait pour montrer aux Palestiniens qu’il n’avait aucune envie de coopérer avec leurs leaders élus, qu’ils soient extrémistes ou modérés.

Alors, lorsque les Palestiniens ont déposé leurs bulletins de vote dans l’urne un an plus tard, ils avaient encore moins de raisons de voter pour le Fatah, qui était à la fois corrompu et incapable de présenter un quelconque succès diplomatique vis-à-vis d’Israël. Cela a joué dans la réflexion des Palestiniens sur le chemin de l’isoloir. Israël, quoi qu’il en soit, n’est pas intéressé par la démocratie en tant que valeur, mais seulement par la promotion de ses propres intérêts belliqueux, de la manière qu’il jugera adéquate. Malheureusement, ces intérêts, pour la plupart, ont tendance à s’aligner avec ceux des pires dirigeants de la région et des moins démocratiques d’entre eux.

Cette politique existe depuis la fondation du pays, et elle ne s’applique pas qu’au monde arabe. L’avocat des droits de l’homme Eitay Mack a récemment publié un rapport sur les relations d’Israël avec l’Iran des années 50 jusqu’à l’aube de la révolution de 1979. L’enquête, basée sur des documents des Affaires étrangères récemment déclassifiés, montre qu’Israël était tout à fait au courant de l’oppression du peuple iranien par le Shah, et comment il a décidé malgré cela de poursuivre une coopération étroite avec lui, aux niveaux militaire et des renseignements.

Lorsque le sol s’est mis à trembler sous les pieds du Shah, quand des millions d’Iraniens sont sortis manifester pour l’avenir de leur pays, le directeur de la division Moyen-Orient aux Affaires étrangères, Yael Vered, a écrit que la meilleure option du point de vue d’Israël était un « durcissement extrême par l’armée et l’établissement d’un régime militaire et d’un vrai gouvernement militaire ». Cette même armée qu’Israël armait et entraînait, ainsi que la SAVAK, la célèbre police secrète du Shah qui réprimait brutalement les opposants politiques.

Israël ne va pas verser une larme pour la mort de Morsi, pas plus qu’il n’a regretté la fin de la brève démocratie égyptienne. C’est le contraire qui est vrai – Israël a un grand intérêt à s’assurer qu’il reste le seul à porter le titre de « seule démocratie du Moyen-Orient », un titre qu’il utilise comme couverture pour promouvoir n’importe quelle politique criminelle, y compris un siège continu de la Bande de Gaza et des tirs mortels contre ses résidents s’ils osent se soulever. Israël ne va pas non plus se priver de négocier avec le dernier des dirigeants non démocratiques, de Sisi à n’importe quel tyran meurtrier, en exportant des armes qu’ils utilisent ensuite pour massacrer leur propre peuple. Mais pendant que ces criminels oppriment leurs propres populations, Israël, la seule démocratie de la galaxie, opprime un peuple qu’il occupe depuis des décennies, à qui on dénie même le privilège d’élire leurs propres leaders corrompus.

Je suis une militante politique, anciennement de la Coalition des femmes pour la paix et du Mizrahi Democratic Rainbow, et actuellement membre du conseil exécutif de B’Tselem et militante au sein du parti politique Balad. Je m’intéresse aux lignes qui se croisent et définissent mon identité en tant que Mizrahi, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant au sein d’un immigrant perpétuel, et le dialogue constant entre ces identités. Je traduis de la poésie et de la prose du farsi, et je rêve de construire, sinon une bibliothèque entière, du moins une modeste étagère de livres persans en hébreu comme un acte politique dans la lutte contre la marginalisation de la culture Mizrahi dans le discours israélien.

Traduction en français : MUV pour l’Agence France Palestine
Source : 972mag.com

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