L’Autorité palestinienne pensait que son respect des règles mènerait à l’indépendance, mais elle n’a fait que renforcer la domination israélienne

Noura Erakat, le 3 juillet 2019


Mahmoud Abbas en train d’écouter Barack Obama à l’Assemblée générale de l’ONU en 2011. (Photo: Seth Wenig/AP)

Le texte qui suit est un extrait du nouveau livre de Noura Erakat Justice For Some: Law and the Question of Palestine (Justice pour certains : Le droit et la question de la Palestine). N. Erakat y expose comment la « quête illusoire » d’un État de l’Autorité palestinienne « a façonné chez les dirigeants palestiniens un attachement à la tutelle états-unienne et une réticence à adopter une ligne plus radicale, qui serait basée sur une politique de la résistance ».

En 2018, la perspective d’un État palestinien souverain et indépendant est obsolète. À la fin de 2015, les colons israéliens en Cisjordanie étaient plus de 600 000, ce qui représente une augmentation de 200 pour cent depuis le début du processus de paix d’Oslo en 1993. L’entreprise israélienne de colonisation découpe la Cisjordanie en plus de vingt espaces de territoire non contigus, séparant environ trois millions de Palestiniens en autant de groupes isolés les uns des autres, sapant tout sens de continuité territoriale ou de cohésion nationale. En 2000, Israël a débuté la construction d’une barrière de séparation, ou mur, servant prétendument à contenir le flot de Palestiniens voulant commettre des attentats suicide à l’intérieur des frontières non déclarées d’Israël. Lorsque le mur sera terminé, en 2020, 85 pour cent de sa longueur traversera la Cisjordanie, en confisquant de fait 13 pour cent, opportunément là où se trouvent justement les plus grands blocs de colonies de peuplement. Le droit militaire israélien interdit la présence et les déplacements des Palestiniens entre la Cisjordanie et Gaza, ce qui aggrave leur fragmentation politique et géographique. À Gaza, Israël a enfermé de manière sécuritaire près de deux millions de Palestiniens et les retient captifs par un siège terrestre et un blocus naval depuis plus d’une décennie. Les Palestiniens ne peuvent pas se rendre librement à Jérusalem-Est, et les 300 000 Palestiniens qui y vivent sont soumis à une politique agressive d’expulsion. Depuis 1948, près des deux tiers de la population palestinienne ont été poussés vers une diaspora mondiale, notamment dans cinquante-huit camps de réfugiés dans le monde arabe, et le droit au retour leur est refusé. Ayant torpillé la possibilité d’un État palestinien, Israël est maintenant la seule source d’autorité de la Méditerranée au Jourdain.

Couverture de « Justice for Some: Law and the Question of Palestine » (Image : Stanford University Press)

Le travail juridique a été au cœur du projet expansionniste d’Israël. Le système judiciaire, le corps diplomatique, ainsi que les conseillers juridiques civils et militaires israéliens ont compris l’imbrication du droit avec la politique et ont mis à profit les prouesses diplomatiques, militaires et économiques de l’État pour poursuivre une activité juridique qui soutienne ses ambitions politiques. Après la Première Guerre mondiale, une exception souveraine qui définissait la Palestine comme un site de peuplement juif a engendré un arrangement juridique spécial, qui a justifié l’effacement juridique d’une communauté politique palestinienne. Ce régime – ainsi que trois décennies de parrainage impérial britannique – a permis à Israël d’affirmer par la force, en 1948, la souveraineté de ses colons juifs sionistes sur 78 % de la Palestine mandataire. Israël a utilisé la fiction de l’inexistence nationale palestinienne et la structure de l’urgence permanente entre 1948 et 1966 pour transformer sa population native palestinienne en individus présents-absents, dont les terres pouvaient être confisquées arbitrairement pour la colonisation juive. Lorsqu’il a mis fin à son régime d’urgence, Israël a inscrit la subordination des Palestiniens comme citoyens de seconde classe dans le droit civil. En 1967, Israël a déployé un mécanisme juridico-politique, également fondé sur l’inexistence nationale palestinienne, pour établir une occupation fondée sur des revendications sui generis afin de faciliter son accaparement régulier des terres en Cisjordanie et à Gaza. Le cadre des accords d’Oslo établi en 1993 a engendré un autre régime spécialisé qui a permis à Israël de poursuivre son expansion coloniale, cette fois sous le prétexte de rétablir la paix. Depuis 2000, également en accord avec des revendications similaires de distinction unique, Israël a criminalisé tout usage de la force par les Palestiniens. Dans le même temps, l’État a étendu son droit de recourir à la force contre les Palestiniens et, ce faisant, a élaboré une nouvelle législation sur le conflit armé.

Le succès d’Israël a eu une conséquence involontaire : il administre un régime d’apartheid. Du fait qu’il n’y a pas de séparation entre Israël et les territoires, Israël doit maintenant composer avec la réalité qu’il a sous sa juridiction une population native palestinienne significative. Selon le Bureau des statistiques israélien, environ 5,9 millions de Juifs-Israéliens, incluant la population des colonies, et 6,1 millions de Palestiniens, vivaient en Israël, Cisjordanie et Gaza en octobre 2012. Les projections démographiques indiquent qu’en 2035 les Juifs-Israéliens ne constitueront que 46 pour cent de la population totale. Inclure les Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie au nombre des citoyens minerait la majorité démographique juive à l’intérieur des lignes d’armistice de 1949 (la Ligne verte). L’arrangement actuel, par lequel Israël gouverne les Palestiniens occupés mais les exclut de la citoyenneté, est l’illustration de ce régime qui administre des systèmes juridiques distincts fondés sur ses propres définitions raciales : en d’autres termes, un régime d’apartheid.

Les prédécesseurs du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, connaissaient les dangers de ce virage juridique. Au cours de son mandat de Premier ministre, Ehud Olmert avait fait remarquer que l’échec de la création d’un État palestinien forcerait Israël à « faire face à une lutte semblable à celle qu’a connue l’Afrique du Sud pour l’égalité des droits de vote, et dès que cela se produira, l’État d’Israël sera fini ». Après avoir quitté son poste de Premier ministre, Ehud Barak donna cet avertissement : « Si, de la Jordanie à la mer, il n’y a qu’une entité politique, dénommée Israël, celle-ci finira par être soit non-juive, soit non-démocratique… Si les Palestiniens votent aux élections, ce sera un État binational, s’ils ne le font pas, ce sera un État d’apartheid. »

Tous les Israéliens ne sont pas concernés par cette réalité. Des secteurs significatifs de la société israélienne ont salué le statu quo actuel comme une immense victoire. Certains veulent consacrer leur réussite en annexant officiellement la Zone C, qui couvre 60 pour cent de la Cisjordanie et où sont situés les plus grands blocs de colonies de peuplement. En 2012, un comité du gouvernement a ravivé le discours de la non-existence palestinienne lorsqu’il a conclu qu’il n’y avait pas d’occupation parce que la Cisjordanie n’appartenait à aucune autre puissance souveraine, justifiant ainsi la présence permanente d’Israël dans le territoire. Alors qu’une annexation de jure fait courir le risque de l’absorption des Palestiniens, un cadre d’autonomie a la capacité d’assurer une exclusion formelle de la population. Sous le régime du cadre d’Oslo, Israël a constamment réduit la population palestinienne dans la Zone C et l’a concentrée dans les Zones A et B. Alors qu’il était décrit comme un arrangement temporaire en attendant la conclusion de discussions finales sur le statut, le cadre d’Oslo semble sans fin. Le prolonger permettrait de contenir les Palestiniens et de les maintenir dans un statut de non souverains dans leurs régions autonomes et de non citoyens d’Israël, diminuant ainsi le défi démographique qu’ils posent.

Cette évolution politique n’est pas qu’un phénomène politique de droite. Les transferts de population, les échanges de territoires et l’annexion dans le but d’assurer une majorité décisive aux Juifs, ainsi que l’exclusion des Palestiniens, sont devenus des concepts de plus en plus normalisés, y compris dans le discours majoritaire en Israël. Un sondage de 2012 a mis en évidence le soutien populaire israélien à l’idée d’un transfert volontaire ou forcé des Palestiniens hors d’Israël. Des initiatives plus récentes ont proposé de fournir des incitations économiques pour encourager les citoyens Palestiniens à partir. D’autres propositions encore visent à échanger avec l’Autorité palestinienne des villages à forte population de Palestiniens israéliens avec des colonies de peuplement de Juifs israéliens.

Plus sympathiques, ou du moins plus astucieux politiquement, certains Israéliens nient les allégations d’apartheid en reconnaissant les plaintes des Palestiniens mais en séparant leurs revendications. Ils insistent sur le fait que le traitement des Palestiniens citoyens d’Israël est une question domestique, alors que les controverses en Cisjordanie reflètent les défis de la résolution du conflit, et Gaza est une question de sécurité nationale. En insistant sur les démarcations juridiques et géographiques étatistes qui séparent et distinguent les Palestiniens entre eux, les Israéliens libéraux réfutent les affirmations selon lesquelles Israël applique un régime discriminatoire singulier. Ces tentatives disculpatoires contredisent l’expérience vécue par les Palestiniens eux-mêmes.

Dès 2000, après l’échec des discussions de Camp David qui ont précipité l’intifada d’Al Aqsa, un groupe de chercheurs palestiniens a publié une déclaration décrivant la concentration des Palestiniens dans une « série de petits territoires déconnectés les uns des autres… qui sont considérées comme l’État palestinien émergent ». Ils qualifiaient ces territoires de « bantoustans », en référence au modèle de subordination territoriale des Noirs utilisé dans les régimes d’apartheid d’Afrique du Sud et de Namibie. La déclaration faisait écho aux analyses juridiques et politiques palestiniennes qui avaient culminé dans la résolution de l’Assemblée générale assimilant le sionisme à une forme de racisme (Résolution 3379) et semblait indiquer un retour à des analyses similaires. Cependant, les réflexions qu’on pouvait mener en 1975 et celles de 2000 diffèrent sur deux points au moins, et il en va de même des études de cas comparant la Palestine à l’Afrique du Sud et la Namibie.

D’abord, contrairement à la situation du milieu des années 1970 lorsque l’OLP soutenait l’introduction de la Résolution 3379, la bureaucratie palestinienne aujourd’hui ne soutient pas officiellement le discours anti-apartheid. La reconnaissance d’un régime juridique singulier contredirait ses ambitions à établir un État. Les officiels palestiniens ne se sont référés à l’apartheid et à la possibilité d’un seul État démocratique que comme une menace pour obliger Israël à faire des compromis dans les négociations. Deuxièmement, en 1976, la communauté internationale s’était opposée aux tentatives sud-africaines de créer des foyers nationaux réservés aux Noirs, les dénonçant comme des mesures visant à « consolider les politiques inhumaines d’apartheid, à détruire l’intégrité territoriale du pays, à perpétuer la domination de la minorité blanche et à déposséder le peuple sud-africain de ses droits inaliénables ». En contraste, la communauté internationale a célébré l’autonomie palestinienne comme le germe de l’indépendance et a contribué par un immense soutien financier et diplomatique à un arrangement qui, en fait – sinon dans l’intention de ceux qui le soutiennent – est oppressif. Alors que les Palestiniens, à l’exception des officiels, ont interprété de plus en plus l’appareil de leur domination et de leur dépossession comme un système d’apartheid, la communauté internationale a continué de le décrire comme « une autonomie intérimaire » pour parvenir à la paix. Entre-temps, et sous le prétexte de parvenir à la paix, Israël a intensifié les structures visant à se débarrasser des natifs palestiniens.

Bien qu’Israël semble avoir réussi à établir une souveraineté contigüe à travers la plus grande partie de ce qui était auparavant la Palestine mandataire, la frontière de colonisation demeure active. Le chercheur en Études du colonialisme de peuplement Lorenzo Veracini nous dit que le triomphe ultime du colonialisme de peuplement est sa propre disparition : il devient si normalisé qu’il en devient imperceptible. En Palestine, ce projet demeure explicite et vulgaire précisément à cause de la réalité démographique, ainsi que du refus obstiné des Palestiniens à abandonner leurs revendications d’appartenance à leur terre natale. En continuité avec les politiques qu’il a commencé à appliquer en 1947, et qu’il a consolidées pour en faire une structure permanente d’urgence en 1948, Israël aujourd’hui, avec ses institutions paraétatiques, déplace, dépossède et concentre les natifs palestiniens, sans égard pour les compétences juridiques ou les démarcations géographiques. Les buts d’Israël alors et maintenant sont les mêmes : obtenir et maintenir une majorité démographique juive, et également acquérir la plus grande partie des terres où résideraient le moins possible de Palestiniens. Il y parvient par le droit civil en Israël, un mélange de droit administratif et de loi martiale à Jérusalem-Est, la loi martiale en Cisjordanie, et la guerre déclarée à Gaza.

La concentration des Palestiniens sous administration israélienne dans de petits territoires est la plus évidente en Cisjordanie, où ils sont placés et retenus dans les Zones A et B. Elle est aussi visible à Gaza, qui connaît la plus forte concentration, ainsi qu’à l’intérieur d’Israël lui-même, où le gouvernement a façonné une politique législative visant à expulser 80 000 Bédouins palestiniens de la région du Néguev et à les concentrer dans des communes urbaines non contigües, sous le prétexte du développement. À Jérusalem, la « politique du centre de vie », obligeant les Palestiniens de Jérusalem à prouver une présence non interrompue dans la ville pour conserver leur droit de résidence, a continuellement réduit la population palestinienne. Dans le reste de la Cisjordanie et à Gaza, Israël a illégalement révoqué les permis de résidence d’un quart de million de Palestiniens entre 1967 et 1994, y réduisant la population d’au moins 10 pour cent. À l’intérieur d’Israël, une interdiction législative du regroupement familial interdit dans certains cas aux époux de citoyens israéliens qui sont originaires d’« États ennemis » (où un nombre significatif de Palestiniens résident) le droit de régulariser leur statut – un effort explicite pour réduire leur présence. Ceux-ci ne sont que quelques exemples de la matrice de lois et de politiques qui visent à chasser les Palestiniens. Les Palestiniens décrivent de plus en plus leur situation comme constituant une nakba (catastrophe) continue, en référence à l’évacuation et l’exil forcé de 80 pour cent de la population palestinienne durant la guerre de 1948. Par cette référence, ils identifient le projet israélien d’élimination comme une politique institutionnalisée dans une continuité coloniale.

Les politiques israéliennes de colonisation et de dépossession équivalent, ensemble, à un transfert forcé de population, en violation de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973. Ce régime d’apartheid est à la fois la conséquence des ambitions israéliennes de colonisation par le peuplement, et la structure de gouvernance modale qu’Israël a mise en place pour la protection et la conservation de ses prises coloniales. De plus en plus d’organisations internationales de défense des droits de l’homme et d’analystes ont scruté les conditions qui en ont résulté, et ils en sont venus à considérer la mauvaise répartition des ressources naturelles, l’accès inégal au logement et les punitions différenciées en Cisjordanie comme les éléments d’un régime racialement discriminatoire. En 2012, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale a conclu que le « caractère hermétique de la séparation de deux groupes » dans les Territoires occupés était l’équivalent d’un apartheid. En 2017, la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CESAO) a provoqué un tollé quand elle a poussé cette analyse jusqu’à conclure qu’Israël pratiquait l’apartheid contre tous les natifs palestiniens, quels que soient leur statut juridique ou leur résidence géographique. Le rapport des Nations Unies a été le premier dans son genre à affirmer que le régime juridique holistique d’Israël ne se limitait pas aux Territoires occupés. Israël, avec l’aide des États-Unis, a forcé les Nations Unies à classer le rapport. Le directeur de la CESAO a démissionné en signe de protestation ; le rapport a été divulgué et largement distribué. L’Autorité palestinienne a publié des déclarations condamnant le rejet du rapport mais n’a pas officiellement cautionné la critique de la gouvernance israélienne qui la définit comme celle d’un régime singulier d’apartheid.

C’est un revirement cruel, mais non inédit dans l’histoire des mouvements de libération cooptés et des régimes autoritaires postcoloniaux, que les dirigeants palestiniens soient devenus partie intégrante du problème palestinien. Aujourd’hui, l’assentiment et la collaboration des dirigeants palestiniens sont centraux au régime israélien d’apartheid et à son continuel déni. La participation palestinienne aux discussions bilatérales parrainées par les États-Unis maintient l’idée erronée qu’un État souverain est à portée de main. Les faits sur le terrain démontrent qu’établir un État palestinien aujourd’hui serait aussi difficile, voire plus difficile, que démanteler le régime israélien d’apartheid. Le cadre d’analyse de la quête de la paix maintient la fiction de la parité et réduit la nécessité de faire pression sur Israël. De plus, l’affirmation de l’Autorité palestinienne qu’elle représente les Palestiniens résidant en Cisjordanie et à Gaza, mais non les Palestiniens réfugiés ni ceux qui sont citoyens israéliens, contribue à maintenir la fragmentation juridique et géographique qui divise les Palestiniens entre eux et mine, en pratique mais non en droit, leur statut de nation. Historiquement, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) représentait tous les Palestiniens, mais depuis 1993 le mouvement de libération a été incorporé dans l’Autorité palestinienne, ce qui l’a rendu fonctionnellement absent. Ces fragmentations étayent les affirmations israéliennes selon lesquelles les relations avec les Palestiniens relèvent soit de la résolution de conflit, soit de la sécurité nationale, mais non de l’apartheid.

Pire, comme partie au marché faustien qu’est le cadre d’Oslo, l’Autorité palestinienne a intériorisé la logique coloniale selon laquelle son respect des règles et son bon comportement seraient récompensés par l’indépendance. En fait, sa soumission a réifié la domination d’Israël et a bénéficié de manière significative à une élite palestinienne politique et économique. Conformément au pacte, l’AP contrôle assidument sa propre population pour protéger la population israélienne des colonies ainsi que les infrastructure civiles et militaires qui soutiennent la présence des colons. L’AP alloue 30 pour cent de son budget national à la sécurité, qui représente la moitié de son secteur public. C’est plus que ce qu’elle dépense pour « les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’agriculture combinés ». La coordination pour la sécurité de l’AP avec Israël est devenue si efficace que le général états-unien Keith Dayton, qui a formé plusieurs classes d’officiers de sécurité palestiniens, a loué les Palestiniens pour leur capacité à pointer leurs armes vers « les vrais ennemis », en référence aux Palestiniens suspectés de représenter une menace pour les intérêts nationaux d’Israël. Il n’y a pas d’arrangement sécuritaire réciproque pour protéger les Palestiniens. Dans cette tentative futile de démontrer leur capacité à gouverner, les dirigeants palestiniens ont soulagé Israël d’au moins une partie de son fardeau militaire de puissance occupante et l’ont aidé à contrôler la population autochtone.

Cette approche a sévèrement altéré le mouvement national palestinien d’après 1965 et l’a transformé en un rouage essentiel de la machinerie coloniale d’Israël, au lieu d’en faire le principal obstacle à cet appareil. Dans son travail sur la politique coloniale de reconnaissance, Glenn Coulthard souligne comment le colonialisme de peuplement, en tant que forme de gouvernementalité, rend ce résultat pervers prévisible. Les nations autochtones qui ont établi leur souveraineté par le biais d’une reconnaissance formelle ont établi des structures de relation avec les états coloniaux qui assuraient à ces États la continuité de l’accès à leurs terres et leurs ressources. Dans le cadre d’une administration bureaucratique, les peuples autochtones deviennent « instruments de leur propre dépossession ». Dans cet arrangement, continue Coulthard, « le colonialisme contemporain travaille à travers plutôt qu’entièrement contre la liberté ».

Le risque, du fait que les officiels palestiniens ont adopté sans esprit critique cette approche managériale, est que l’on confonde ce qui est offert en matière d’autonomie limitée avec des étapes progressives menant à la liberté. Cette quête illusoire, renforcée par les avantages de l’autonomie et de l’accès aux forums multilatéraux, a façonné chez les dirigeants palestiniens un attachement à la tutelle états-unienne et une réticence à adopter une ligne plus radicale, qui serait basée sur une politique de la résistance.

Extrait deJustice for Some: Law and the Question of Palestine de Noura Erakat. © 2019 par le Conseil d’administration de la Leland Stanford Junior University. Tous droits réservés.

Translation : MUV pour l’Agence France Palestine
Source : Mondoweiss

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