Ce qui se passe au Cachemire ressemble terriblement à la domination d’Israël sur la Palestine

Par +972 Magazine, le 12 août 2019

En révoquant l’autonomie du Cachemire, le Premier ministre indien Narendra Modi copie directement une page du scénario israélien.

Un soldat garde le checkpoint à l’entrée de l’Aéroport International de Srinagar au Jammu et Cachemire, Inde, en janvier 2009. (Jrapczak/CC BY-SA 3.0)

Ces quelques dernières semaines ont vu une nette augmentation des tensions dans le Jammu et Cachemire occupé, depuis que le Premier ministre Narendra Modi a révoqué la très ancienne autonomie du territoire, le verrouillant et plongeant la région dans le chaos.

L’Inde a ordonné à tous les touristes et pèlerins d’évacuer le territoire, tout en envoyant des dizaines de milliers de soldats en armes et en fermant virtuellement tous les réseaux de télécommunication. Ces soldats ont rejoint une force d’occupation estimée à un nombre de l’ordre de centaines de milliers dans ce qui est déjà considéré comme l’endroit le plus militarisé du monde.

L’oppression de l’Inde sur les Kashmiris ne peut cependant pas être vue isolément. Au cours des dernières décennies, les liens croissants du pays avec Israël ont créé une situation dans laquelle l’oppression du Cachemire est liée au traitement des Palestiniens par Israël.

L’occupation du Cachemire par l’Inde et la création d’Israël en 1948, qui a abouti à l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens, n’ont débuté qu’à quelques mois de distance l’une de l’autre. En juillet 1949, deux ans après que l’Inde et le Pakistan aient déclaré leur indépendance par rapport à la domination britannique, les deux pays ont signé un accord pour installer une ligne de cessez-le-feu, se partageant la région du Cachemire. La domination indienne sur le territoire a conduit à des décennies d’instabilité.

Bien que la présence indienne au Cachemire n’ait jamais été équivalente au colonialisme de peuplement comme c’est le cas en Palestine, où une large proportion de la population vivant dans la région a été expulsée et remplacée par une population de colons, l’Inde a maintenu une lourde présence militaire dans la zone et s’est comportée comme un Etat policier vis-à-vis des civils et des dirigeants politiques du Cachemire.

On peut retrouver la solidarité des Kashmiris avec les Palestiniens dès les années 1950-60, lorsque le mouvement de libération du Cachemire a cherché à s’aligner avec les autres combats anti-impérialistes à l’étranger. C’est aussi durant cette période que l’Inde a commencé à établir des relations avec Israël. Bien que le Premier ministre indien d’alors, Jawaharlal Nehru, ait publiquement soutenu la cause palestinienne, il a autorisé l’ouverture d’un consulat israélien à Mumbai en 1953. Le consulat a récolté des informations sur les Lois indiennes sur les Biens des Evacués, qui ont servi de modèle à la Loi israélienne sur les Biens des Absents, instrument juridique qui a permis à l’État d’exproprier les terres qui appartenaient aux réfugiés palestiniens.

Les dernières phases de la Guerre Froide ont vu un accroissement dramatique des relations entre Indiens et Israéliens. En 1992, sous le gouvernement de Narasimha Rao, membre du Congrès National Indien, l’Inde et Israël ont établi des relations normales, l’Inde ouvrant une ambassade à Tel Aviv en janvier. Deux facteurs principaux expliquent cette évolution, tous deux liés à l’éclatement de la Première Intifada contre l’occupation israélienne ainsi qu’à l’insurrection armée au Cachemire contre la domination indienne à la fin des années 1980.

La première raison provient du déclin de l’Union Soviétique, ce qui a obligé l’Inde à rechercher un nouveau fournisseur d’armes et de technologie militaire. Israël, dont l’économie vacillante à l’époque avait besoin de pénétrer de nouveaux marchés, représenta un partenaire idéal. La relation s’est encore renforcée quand les Etats Unis ont imposé des sanctions sur les ventes d’armes à l’Inde après qu’elle ait mené des essais nucléaires en 1998. Le résultat de ces sanctions fut que l’Inde est devenue le client le plus important d’Israël pour les armes et la technologie militaire, héritage qui s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui.

L’ancien président israélien Ezer Weizman passe en revue la Garde d’Honneur de l’Armée Indienne lors d’une visite officielle dans le pays, le 30 décembre 1996. (Sa’ar Ya’acov/GPO)

La deuxième raison repose sur la convergence de la logique qu’Israël et l’Inde ont utilisée en réprimant respectivement la résistance populaire dans les territoires occupés et l’insurrection armée au Cachemire, mettant en avant des questions de sécurité, le contre-terrorisme et la menace de l’extrémisme islamique. En 1992, le ministre indien de la Défense d’alors, Sharad Pawar, a accepté une coopération entre Indiens et Israéliens sur les questions de contre-terrorisme, y compris des échanges d’informations sur les soi-disant associations terroristes, les doctrines nationales et l’expérience opérationnelle – en d’autres termes, les stratégies, méthodes et tactiques d’occupation et de domination. Ceci a conduit à un changement de position de l’Inde sur la Palestine, l’Inde se mettant à copier l’insistance israélienne comme quoi le Cachemire était avant tout un sujet de préoccupation nationale.

Entre sionisme et nationalisme hindou

Les relations entre l’Inde et Israël se sont encore resserrées avec la naissance du Parti Bharatiya Janata (BJP) dans les années 1990. Le BJP, qui est aujourd’hui dirigé par Modi, adhère à l’idéologie politique connue sous le nom d’Hindutva, ou Nationalisme Hindou. L’histoire de l’affinité des nationalistes hindous avec le sionisme est bien documentée par le professeur Sumantra Bose de la London School of Economics qui l’a fait remonter aux années 1920 quand Vinayak Damodar Savarkar, le père de l’Hindutva, a soutenu la création d’un Etat juif en Palestine. Le BJP et autres Nationalistes hindous sont depuis devenus obsédés par la reproduction du projet sioniste en transformant une Inde constitutionnellement laïque en Etat ethnocratique Hindou.

Une bonne partie des aspirations et des propositions politiques du BJP pour le Cachemire sont des imitations des pratiques israéliennes qui existent en Palestine. La plus importante de toutes est le désir de construire au Cachemire des colonies dans le style israélien réservées aux seuls Hindous afin de provoquer un changement démographique. Par exemple, le Rashtriya Swayamsevak Sagh (RSS), association non étatique de volontaires paramilitaires hindous à laquelle le BJP est affilié, ont longtemps désiré la révocation des lois sur l’état de droit qui ont maintenu le maquillage démographique du Cachemire.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le Premier ministre indien Narendra Modi discutent à Olga Beach, à moins de 100 kms au nord de la Bande de Gaza. (Kobi Gideon/GPO)

Ces changements sont clairement inspirés du modèle colonial israélien, comme l’a dit le député du BJP Ravinder Raina qui, en 2015, a déclaré que le gouvernement indien utiliserait son armée pour protéger les colonies pour Hindous seulement au Jammu et Cachemire. Ce genre de titrisation et de protection entraînerait une expansion de l’appareil qui restreint déjà l’énergie vitale de la plupart des Kashmiris, en les utilisant comme un prétexte pour justifier le nouveau niveau de domination et d’intrusion.

En plus des parallèles dans les objectifs politiques, le discours utilisé par les supporters du régime actuel en Inde ressemble aux vieux refrains israéliens. Israël comme l’Inde prétendent être des démocraties exceptionnelles, malgré le traitement de larges tranches de populations sous leur contrôle. Ajouté à cela, les Sionistes comme les Nationalistes hindous prétendent que l’existence de nombreux pays musulmans dans le monde nécessite respectivement un Etat juif et un Etat hindou. Cela perpétue le mensonge comme quoi les musulmans palestiniens et indiens peuvent prétendument vivre ailleurs, et choisissent cependant de vivre en Palestine et en Inde simplement pour contrarier les Juifs et les Hindous.

Cependant, la variété des tactiques utilisées par l’Inde pour contrôler la population civile du Cachemire ressemble énormément à celles utilisées par Israël en Palestine. Ces ont « les arrestations arbitraires, les assassinats extra-judiciaires, les disparitions forcées, les couvre-feux, les punitions collectives, la détention administrative, la torture, le viol et les abus sexuels, la répression de la liberté de parole et de réunion, les démolitions de maisons, etc. ».

Des décennies de solidarité

Le lien de solidarité qui existe entre Palestiniens et Kashmiris est profond et remonte aussi loin qu’aux années 1960, lorsque des manifestations ont éclaté au Cachemire à cause du comportement d’Israël autour de la Mosquée Al Aqsa à Jérusalem qui a provoqué des morts et des couvre-feu. Depuis lors, on peut grossièrement comprendre que la solidarité des Kashmiris avec la cause palestinienne est passée par trois étapes qui se chevauchent relativement.

La première de ces étapes, qui a débuté au cours des années 1960, a vu le Front pour un Plébiscite au Cachemire lancer l’Inde comme un « Etat impérialiste » qui rejetait le droit des habitants du Cachemire à l’autodétermination. En agissant ainsi, le mouvement de libération des Kashmiris s’est aligné avec des causes semblables dans le monde, dont la lutte des Vietnamiens contre les Etats Unis, la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud et la lutte des Palestiniens contre Israël. L’universitaire du Cachemire Mohamad Junaid écrit que la Palestine « est devenue une métaphore évocatrice chez les Kashmiris pour décrire leur propre condition, reflétant une peur naissante du nettoyage ethnique, de la dépossession de la terre et d’une architecture toujours plus étouffante d’occupation ».

Les forces de sécurité indiennes ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser des milliers de manifestants pour l’indépendance après les prières de l’AÏd al-Adha au Cachemire, le 2 septembre 2017.(Tasnim News Agency/CC BY 4.0)

La deuxième étape, qui a débuté au cours des années 1980, a vu la base de la solidarité prendre un caractère plus religieux. Cette période a coïncidé avec le Jihad afghan contre l’Union Soviétique, qui a indirectement conduit à l’émergence de groupes islamistes armés tels que le Hamas en Palestine et les Hizb-ul-Mujahideen au Cachemire. Plutôt que le discours de solidarité largement fondé sur le langage de l’anti-impérialisme et du nationalisme, il s’est alors caractérisé par les concepts de jihad et de solidarité islamique. Cette tendance s’est renforcée pendant les années 1990 avec la naissance du BJP, qui a conduit à une augmentation des tensions communales et à de l’insécurité dans la vie des musulmans en Inde.

La troisième et actuelle étape de la solidarité entre Kashmiris et Palestiniens vient en réponse aux liens croissants entre l’Inde et Israël. Ce n’était plus du tout juste pour les Palestiniens et les Kashmiris de voir Israël et l’Inde comme de simples oppresseurs analogues – beaucoup les voient maintenant comme des partenaires dans l’occupation. Comme cela a été démontré par la réponse palestinienne transnationale aux récents événements, la solidarité avec le Cachemire a pris une importance de plus en plus concrète.

Un instrument de capitulation

La révocation des Articles 35A et 370 ouvre la voie à une présence indienne au Cachemire en miroir à venir de la présence sioniste dans la Palestine historique, puisque cela permet à l’État indien de diriger directement le Cachemire, sans avoir besoin de l’assemblée législative du Cachemire, qui a également été récemment abolie. Par ailleurs, elle facilite l’exécution de plans pour modifier la composition démographique du Cachemire en permettant aux Indiens de tout le pays d’acheter des biens et de s’y établir sous la protection de la présence de l’armée indienne, exactement comme la composition démographique de Cisjordanie continue d’être modifiée avec la construction de colonies pour seuls Juifs.

L’assemblée législative du Cachemire et ses principaux politiques, Omar Abdullah et Mehbooba Mufti, ont depuis longtemps servi d’intermédiaires pour gérer les autochtones au nom de la force occupante, facilitant l’occupation d’une façon qui ressemble beaucoup à ce que fait le président palestinien Mahmoud Abbas en Cisjordanie.Tout comme Edward Saïd s’était autrefois référé aux Accords d’Oslo comme à « un instrument de capitulation des Palestiniens », beaucoup de Kashmiris regardent l’Accord Indira-Sheikh de 1975 comme une trahison des anciens mouvements de libération. L’Accord a permis au dirigeant kashmiri autrefois populaire Sheikh Abdullah de devenir le ministre en chef du Jammu et Cachemire en échange de l’abandon de la très ancienne exigence du Cachemire à l’autodétermination.

La police indienne au Cachemire affronte des manifestants en décembre 2018. (Tasmin News Agency/CC BY 4.0)

Avec le changement sans précédent du statut juridique du Jammu et Cachemire d’État au statut spécial à un territoire d’union sans assemblée législative, la domination coloniale de l’Inde sur la région disputée n’en deviendra que plus coercitive en représentant les intérêts indiens. C’est un développement décisif que doivent observer attentivement les Palestiniens qui vivent dans les zones où l’occupation israélienne est actuellement facilitée par l’Autorité Palestinienne.

Au fur et à mesure que les choses évoluent, il est de plus en plus clair que les processus coloniaux au Cachemire et en Palestine vont devenir de plus en plus interdépendants. Ce qu’Israël fait en Palestine va vraisemblablement arriver au Cachemire, et ce que l’Inde fait au Cachemire va vraisemblablement arriver en Palestine. Lorsqu’on cherche à démanteler l’apartheid israélien et le colonialisme de peuplement, il est essentiel d’en observer les conséquences mondiales, car il est grandement vraisemblable que ces processus interdépendants exigeront une confrontation multilatérale.

Abdulla Moaswes est un professeur palestinien en Etudes des Médias et en Sciences Sociales. Il est diplômé de l’Ecole d’Etudes Orientales et Africaines (SOAS) et de l’Université d’Exeter et ses recherches se concentrent sur les liens interrégionaux entre le Moyen Orient et l’Asie Méridionale. Suivez le sur Twitter @KarakMufti.

Traduction : J. Ch pour l’Agence Média Palestine

Source : +972 Magazine

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