Tandis que la déclaration de Netanyahu sur l’annexion de parties de la Cisjordanie a provoqué l’émoi, la réalité est que peu de partis s’y opposeraient.
Diana Buttu – 16 septembre 2019
Un homme longe une affiche de campagne de Benjamin Netanyahu. (AP Photo/Oded Balilty)
Mardi dernier, exactement une semaine avant les élections israéliennes du 17 septembre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé que, s’il était réélu, il annexerait finalement la Vallée du Jourdain, territoire qui représente 30 % de la Cisjordanie palestinienne occupée. Il a par ailleurs promis que les autres colonies de Cisjordanie – mais pas les Palestiniens qui appellent cette zone leur pays – seraient annexées lors d’une étape ultérieure.
L’annexion de la Cisjordanie serait une grave violation du droit international, qui interdit explicitement aux pays d’acquérir des territoires par la force. Elle encouragerait et légitimerait les crimes d’autres pays qui envahissent et annexent des terres qui ne leur appartiennent pas (on pense à l’annexion de la Crimée par la Russie). Et elle arracherait la feuille de vigne derrière laquelle les Israéliens ont caché leur régime d’apartheid depuis plus d’un demi-siècle, prétendant que le régime militaire d’Israël n’est pas définitif, alors même qu’ils travaillent sans relâche à l’ancrer tous les jours plus profondément.
En dépit de si graves implications, il est facile d’écarter le projet d’annexion de Netanyahu en tant que promesse vide de campagne destinée à susciter des votes pendant les derniers jours d’une élection serrée. C’est en grande partie la façon dont les principaux autres partis le traitent, avec peu de critiques significatives du projet, même par les partis auto-proclamés « de gauche », tels que le Parti Travailliste et l’Union Démocratique. Cependant, la Coalition Bleue et Blanche, principal rival du Likoud dans les urnes, est allée jusqu’à publier une déclaration prétendant avoir fait cette proposition la première. « Nous sommes heureux que Netanyahu en soit venu à adopter le projet Bleu et Blanc de reconnaître la Vallée du Jourdain », a dit ce parti.
Pourtant, tandis qu’on peut essayer de minimiser la menace d’annexion de Netanyahu, il est impossible d’ignorer plus largement le message, tissé dans le discours et les points stratégiques de tous les partis, sur ce que sont devenues les élections israéliennes : une course pour voir qui peut le plus écraser les Palestiniens – que ce soit les Palestiniens qui vivent sous l’autorité militaire israélienne ou ceux qui sont citoyens de l’État.
Cette élection ne s’est pas fait remarquer par un choix déterminé entre les candidats – entre, par exemple, un homme idéologiquement opposé à la liberté des Palestiniens et un autre qui veut mettre fin aux 52 ans maintenant de régime militaire israélien. La campagne s’est plutôt fait remarquer par une compétition entre qui traitera le plus rudement les Palestiniens, où un candidat après l’autre fait jouer ses muscles pour montrer combien il est fort. Même le très loué Benny Gantz a lancé sa campagne en janvier en se vantant de ce que, en tant que chef militaire d’Israël, il avait fait retourner « certaines parties de Gaza à l’âge de pierre » en les bombardant, faisant référence à l’agression militaire israélienne dévastatrice de 2014 qui a décimé la Bande de Gaza assiégée. Netanyahu, bien sûr, a fait du Netanyahu, déclarant la semaine dernière sur Facebook que « les Arabes essaient de nous anéantir » et avertissant que si « la gauche » gagnait, le seul moyen qu’elle aurait pour former un gouvernement serait de forger une coalition avec « les Arabes ».
Cependant, aucun des partis n’a mis en discussion la Loi Etat Nation des Juifs, votée l’année dernière, et qui consacre officiellement l’inégalité dans la loi israélienne en privilégiant les citoyens juifs d’Israël par rapport à ses citoyens non juifs. Pas un seul des principaux candidats n’a parlé de son impact sur les Palestiniens ou de la nécessité de l’abroger. Au contraire, Netanyahu s’est fièrement félicité de ce qu’Israël soit l’ « Etat nation du peuple juif seulement », ajoutant plus tard, parlant de nous les Palestiniens « ils ont 22 Etats nations autour d’eux et ils n’ont pas besoin d’un autre ». En réalité, aucun des principaux partis politiques, dont ceux qui se réclament de « la gauche », ne soutient la fin de l’occupation, l’arrêt des colonies ou la levée du siège de Gaza.
Bien qu’on ait parlé de cette élection comme d’un « referendum sur la démocratie », ce qui est en fait le plus remarquable, c’est le manque de choix réel. Ce n’est pas un referendum sur l’autorité militaire d’Israël sur des millions de Palestiniens privés de leurs droits dans les territoires occupés, son siège cruel et illégal sur Gaza, ou sa politique raciste envers les citoyens palestiniens d’Israël. C’est plutôt, en particulier pour les Palestiniens, un choix entre Trump contre Trump, puisque, en substance, la politique des principaux partis est quasiment impossible à différencier.
Quand l’élection sera passée, des commentateurs vont se demander si le vainqueur formera un gouvernement de droite ou une coalition de centre droit et quel sera l’impact des accusations de corruption qui menacent Netanyahu. Ce qu’on laissera de côté, c’est simplement à quel point toutes les options se ressemblent – et comment les Palestiniens devraient regarder le gouvernement finalement constitué, quel qu’il soit.
Pendant des années, on a parlé aux Palestiniens de la fragilité des coalitions de Netanyahu et on leur a demandé d’être patients face à ses déclarations et ses actions. Avec l’annexion maintenant largement soutenue, est-ce vraiment juste de demander aux Palestiniens de ne pas tenir compte des déclarations racistes répétées des candidats à la Knesset, ou des tentatives d’intimidation des Palestiniens d’Israël pour qu’ils n’aillent pas voter, en mettant des caméras dans les bureaux de vote ? Est-ce vraiment raisonnable de demander aux Palestiniens de tout bonnement oublier que Netanyahu formera une coalition avec des gens qui promeuvent ouvertement le nettoyage ethnique des Palestiniens ? Pouvons-nous simplement balayer comme « des promesses électorales vides » les déclarations de Netanyahu comme quoi il annexera la Cisjordanie, construira davantage de colonies israéliennes illégales sur la terre volée aux Palestiniens, et n’extirpera pas un seul colon juif, y compris à Hébron – particulièrement lorsque sa coalition précédente s’est effondrée pour ne pas avoir été assez à droite ?
Ceci ne concerne pas que Netanyahu, mais aussi les autres membres de la Knesset. Dans l’état actuel des choses, seuls 17 des 120 membres élus de la Knesset – membres du parti de la Liste Commune antisioniste et du Meretz – pensent qu’Israël doit mettre fin à son occupation et accorder leur liberté aux Palestiniens. C’est malheureusement un reflet de la société israélienne. Alors qu’elle prétend vouloir la paix, à chaque élection, elle choisit des dirigeants qui promettent de perpétuer la souffrance des Palestiniens plutôt que d’y mettre fin. En réalité, aujourd’hui on estime à 48 % le nombre d’Israéliens qui soutiennent le nettoyage ethnique des Palestiniens, et des partis fascistes tels que Pouvoir Juif – qui a ses racines dans le Parti raciste Kach, considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement américain – vont vraisemblablement être bientôt normalisés dans la Knesset. C’est comme si Trump demandait à l’ancien dirigeant du KKK David Duke d’intégrer son cabinet.
C’est tragique et c’est la réalité que subissent les Palestiniens depuis des décennies, qui perdurera à moins qu’Israël ne commence à en payer le prix sous forme d’une pression extérieure de la part de la communauté internationale.
Que Netanyahu annexe ou non réellement la Cisjordanie, ou quelle que soit la composition exacte du prochain gouvernement, tous les principaux partis d’Israël cherchent à ancrer son régime d’apartheid plutôt que d’ouvrir une voie vers la liberté et l’égalité. Ce qui veut dire que, s’il doit y avoir un quelconque mouvement en direction de la paix et de la justice dans la région, on aura besoin d’une intervention du monde extérieur, comme ce fut le cas avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Maintenant, comme alors, cela veut dire l’organisation de campagnes de boycott, désinvestissement et sanctions.
Etant donné que les Israéliens ne veulent apparemment pas obliger leur gouvernement à changer, la question demeure de savoir si le monde obligera finalement Israël à payer un prix pour son refus d’accorder leur liberté aux Palestiniens.
Diana Buttu
Diana Buttu est conseillère politique d’Al-Shabaka, le Réseau Politique Palestinien.
Traduction : J Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Nation