Piégée par le traité, la Jordanie a peu d’options

Omar Karmi, The Electronic Intifada, 26 octobre 2019

Bill Clinton regarde le roi Hussein et Yitzhak Rabin signer le traité de paix jordano-israélien en 1994 sur la pelouse de la Maison Blanche. (World History Archive / Newscom)

Rien ne témoigne davantage de la température des relations jordano-israéliennes que les célébrations prévues pour samedi en commémoration du 25ème anniversaire du traité de paix entre la Jordanie et Israël.

Rien n’est prévu.

Israël est peut-être capable de pousser à la normalisation des relations avec certains pays arabes. Il peut même réaliser quelques avancées.

Mais tout ceci sera inutile si son traité de paix avec la Jordanie ne débouche sur rien. Après tout, c’était celui qui aurait dû ouvrir la voie à tous les autres.

C’est celui qui a vu les Israéliens rêver d’une paix chaleureuse dans la région, plutôt que la paix glaciale qu’ils ont eue jusqu’ici avec l’Egypte, une paix qui a coûté la vie à un président égyptien.

Mais le fait que le traité de paix avec la Jordanie – vanté pour sa possibilité d’être bénéfique pour tant de gens – soit maintenant apparemment en danger, témoigne de la suffisance et de l’incompétence d’une succession de gouvernements israéliens.

Il témoigne de l’ineptie de la diplomatie américaine.

Et il sert d’avertissement à quiconque autre pourrait souhaiter des relations plus étroites avec Israël.

Traité en péril

L’année dernière, la Jordanie a décidé de ne pas prolonger le bail sur deux étendues de terre le long de la frontière jordano-israélienne, bail sur lequel s’étaient mis d’accord il y a de nombreuses années le roi Hussein et Yitzhak Rabin lorsqu’ils avaient signé sous les pointillés à Wadi Araba.

Et tandis que les responsables jordaniens s’efforçaient de souligner qu’annuler le bail ne mettait pas en péril le traité lui même, ce fut un signe évident que tout ne va pas bien dans les relations avec Israël.

En fait, cela a pris du temps. Amman a perdu patience face à Israël pour quantité de raisons.

Tout d’abord, bien sûr, Israël a effectivement mis fin au processus de paix avec les Palestiniens. La solution à deux Etats – tout au moins la poursuite de la solution à deux Etats – a toujours été le socle sur lequel reposait le traité jordano-israélien.

Le roi Hussein et Ytzhak Rabin ne se seraient pas retrouvés à signer sur quelques pointillés que ce soit en 1994 à Wadi Araba n’eusse-t-été pour les négociations secrètes d’Oslo l’année précédente entre l’Organisation de Libération de la Palestine et Israël.

Quand les nouvelles de ces négociations ont fuité, Hussein, qui avait été maintenu dans l’ignorance, a vite réagi pour protéger son propre accord, bien qu’il se soit abstenu jusqu’après la signature des accords d’Oslo.

Le royaume, bien sûr, avait eu ses propres voies secrètes vers Israël en remontant aussi loin qu’au premier roi Abdullah, l’arrière grand-père du roi actuel. Abdullah, grand-père de Hussein, a été assassiné à cause d’elles à Jérusalem devant Hussein.

Alors, Hussein a vu une opportunité non seulement pour faire connaître ces contacts au grand jour, mais aussi pour récolter les bénéfices que pouvait apporter la paix avec Israël, spécialement vis à vis des Etats Unis que la neutralité de la Jordanie pendant la première Guerre du Golfe avait mis en colère.

Judicieusement, et à la différence de l’OLP, Hussein s’assura d’éviter la médiation américaine lors de la négociation du traité, las de l’influence israélienne à Washington.

Il a obtenu son accord en 1994. On y voyait la Jordanie s’assurer des frontières définies et le retour de larges étendues de terre qu’Israël avaient occupées en 1967, un important accord sur l’eau, ainsi que la remise d’une dette et la livraison par les Etats Unis d’une escadrille de F16 et autres armes.

Il a aussi assuré la position de la Jordanie en tant que gardienne des sites sacrés de Jérusalem.

Mauvaise foi

Jusque là, parfait, tout au moins pour la Jordanie. Mais le traité s’appuyait toujours sur une tentative de bonne foi pour résoudre la question palestinienne.

Les signaux n’étaient pas bons depuis le début. La construction de colonies israéliennes en territoire occupé se poursuivait sans répit malgré les accords d’Oslo de 1993.

L’assassinat de Rabin en 1995 et l’élection de Benjamin Netanyahu l’année suivante ont été la preuve de reculs supplémentaires.

Netanyahu n’a jamais caché son opposition à Oslo et il ne tenait aucun compte de la Jordanie au point d’ordonner une tentative d’assassinat de Khaled Meshaal, chef du bureau politique du Hamas, en 1997 sur le sol jordanien.

On a vu alors le roi Hussein menacer d’abroger le traité, et le roi Abdallah, comme son père avant lui, n’a jamais eu depuis aucune confiance en Netanyahu.

Mais, même lorsque ce n’était pas Netanyahu qui était au pouvoir, de nombreuses promesses du traité n’ont pas été réalisées.

Le processus de paix avec les Palestiniens s’est rapidement trouvé dans une impasse. Des projets économiques grandioses ont rarement vu le jour et quand ils l’ont vu, comme avec les Zones Industrielles Qualifiées dont le but était d’ouvrir un libre accès au marché américain, leur impact a été limité.

En tant que premier ministre pendant la dernière décennie, Netanyahu a supervisé un déclin constant des relations. Aujourd’hui, Amman semble impuissant à exercer quelque influence que ce soit à Tel Aviv ou à Washington.

La Jordanie a demandé, mais sans succès, que l’on poursuive les responsables du meurtre de deux civils jordaniens en 2017 à l’ambassade d’Israël à Amman et d’un juge jordanien au passage d’Allenby avec Israël en 2014.

Le sort de 23 Jordaniens détenus dans des prisons israéliennes, dont deux en détention administrative, c’est-à-dire pour une durée indéfinie sans charges ni procès, est également source de friction croissante.

Et maintenant ?

Israël n’a cessé de faire fi du traité. Le rôle de la Jordanie en tant que gardienne des lieux saints de Jérusalem a été sans cesse sapé, Israël autorisant les fanatiques religieux et d’autres à accéder quotidiennement au complexe du Haram al-Sharif et fermant à volonté l’accès aux lieux saints de la ville.

La décision du président américain Donald Trump d’accéder à la prétention d’Israël de reconnaître Jérusalem comme sa capitale et d’y emménager son ambassade n’a fait qu’exacerber ces tensions et a montré que l’influence d’Amman à Washington est devenue infime sous cette administration.

La Jordanie craint également que, quoiqu’il avienne de lui, l’Accord Final laisse à Israël toute liberté d’annexer toute terre qu’elle souhaite.

Ceci, en conséquence, pourrait pousser le « problème démographique » – c’est-à-dire les Palestiniens – vers la Jordanie, question dont la Jordanie avait pensé que son traité avec Israël l’avait réglée depuis longtemps.

Néanmoins, le traité reste extrêmement important pour la Jordanie. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Etats Unis considèrent toujours le royaume comme un allié primordial dans la région. Et, en retour, l’aide américaine essentielle à la Jordanie – qui a quadruplé au cours des 15 dernières années – aide à stabiliser le pays face à un mécontentement public croissant devant une économie autrement stagnante, secouée par des arrivées répétitives de réfugiés.

Ce mécontentement s’est de plus en plus orienté vers la sphère diplomatique, traditionnellement le seul recours du roi. Le traité n’a jamais été populaire en Jordanie, avec sa population palestinienne majoritaire, même si beaucoup ont compris qu’il était nécessaire. Pourtant, une étude réalisée ce mois-ci et qui a montré que 70 % de ceux qui ont répondu voulaient une « limitation » des relations politiques avec Israël, a ressemblé à un blâme direct envers la façon dont la monarchie traitait avec son voisin.

Même le parlement a appelé le roi Abdallah à avertir Israël que le traité était en danger.

Mais il existe aussi une petite marge de manœuvre pour Abdullah. La région est devenue toujours plus imprévisible. La Syrie au nord et l’Irak à l’est sont tous deux en proie au chaos. L’Egypte a traversé une révolution et une contre-révolution et est encore profondément instable. Le Liban est entré en éruption.

Des alliés tels que l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis se consacrent à la fortification d’une alliance contre l’Iran, alliance qui pourrait comprendre Israël, pour contrer ce qu’ils ont identifié comme leur principal rival pour le leadership de la région.

Nonobstant l’erratique leadership américain, Amman ne va vraisemblablement pas balayer sa principale source de soutien, à la fois financier et militaire.

La Jordanie se trouve dans une situation profondément inconfortable, maudite d’une façon ou d’une autre, situation qui ressemble beaucoup à celle où l’OLP s’est retrouvée après avoir signé les accords avec Israël.

Le 10 novembre, la Jordanie va reprendre possession des deux étendues de terre qu’elle avait louées à Israël dans le traité de 1994.

Ceci constitue un recul significatif dans les relations jordano-israéliennes, mais il est difficile de voir ce qu’Amman pourrait faire d’autre pour signifier son profond mécontentement face à l’état des lieux actuel.

Vingt-cinq ans après sa signature, le traité jordano-israélien – dont Hussein espérait qu’il s’avérerait être une délivrance pour la Jordanie – s’est en fait révélé être une camisole de force à la mode d’Oslo.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Soource : The Electronic Intifada

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