La prophétie de la perte de légitimité d’Israël, par Ali Abunimah, 10 ans après

Les rédacteurs de Mondoweiss, 29 novembre 2019 

Il y a dix ans cette semaine Ali Abunimah prononçait un discours historique sur la délégitimation internationale croissante d’Israël, lors d’une conférence du mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions à Hampshire College dans le Massachusetts. Une semaine plus tard, nous avons publié le texte de ce discours, mais il nous semble indiqué de le republier aujourd’hui pour rendre hommage à la clairvoyance d’Abunimah et pour offrir un aperçu de ce que les dix prochaines années vont apporter. 

Certaines affirmations de l’auteur, co-fondateur d’Electronic Intifada, étaient surement trop optimistes et prématurées : sur l’écroulement du régime d’Oslo ou l’introspection d’Israël amenée par BDS. Mais bon nombre des commentaires d’Abunimah, dans l’ombre projetée par l’attaque de Gaza plus tôt dans l’année, semblent prophétiques si nous comparons le paysage de 2009 à celui d’aujourd’hui, où les progressistes se sont largement accordés dans une critique de l’idée d’état juif, et que les institutions américaines traditionnelles se battent pour supprimer cet accord. 

« Je suis convaincu que la perte de légitimité de l’idée sioniste, de l’idée d’un état spécial pour un peuple spécial, est irréversible, que cela ne peut pas être ressuscité au XXIe siècle, à un moment où nous prêchons les droits universels et l’égalité, à défaut de les pratiquer », déclarait Abunimah, qui avait 37 ans à l’époque.

Il disait aussi que l’Afrique du Sud de l’apartheid n’avait pas été battue par une résistance interne, mais par la délégitimation de l’apartheid en Occident ; et il a vu ce même processus commencer à saper l’acceptation de la discrimination israélienne en 2009. Certainement ce processus n’a fait que se poursuivre et aujourd’hui il est porté en avant par un mouvement en faveur de l’égalité des droits. « Israël a un gros compte en banque, mais pas de revenu. Je ne vois pas Israël capable de recruter une nouvelle génération pour porter son message ». Et Abunimah avait raison de dire qu’Israël allait affronter BDS parce que c’était si menaçant. « Après avoir essayé d’ignorer le mouvement BDS pendant de nombreuses années, il commence vraiment à gagner l’attention d’Israël ».

Si vous considérez à quel point le mouvement pour l’égalité a avancé depuis, ce discours d’Abunimah augure de nombreux autres changements à venir dans les dix prochaines années. Voici ce discours :

Je veux parler d’un petit bout d’histoire, pas beaucoup, et ensuite je veux parler de la manière dont, je pense, BDS s’insère dans la direction que nous prenons dans le combat pour la justice, et pourquoi je pense que cela va fonctionner.

Si vous regardez l’histoire de la Palestine dans les soixante-deux dernières années, depuis la destruction de la majeure partie de la Palestine et l’établissement de l’état d’Israël sur ses cendres, je pense qu’elle peut être divisée grossièrement en trois phases d’environ vingt ans. La première phase était de 1948 à 1967, c’est celle de l’établissement d’Israël, le nettoyage ethnique de 90% de la population de l’intérieur des frontières de ce qui est devenu Israël, la destruction systématique de 500 villes et villages et l’exil de la population autochtone du pays. Et bien sûr, les Palestiniens restant à l’intérieur d’Israël soumis à un régime militaire, à un nettoyage ethnique continu et à l’arrachement à leurs terres.

La deuxième phase, commençant en 1967 avec la triple extension d’Israël, sa conquête de la péninsule du Sinai en Egypte, de la Syrie du sud-ouest, de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, était vraiment l’apogée, l’ère où la confiance d’Israël était maximale et le moment où le sionisme que nous connaissons aujourd’hui s’est enraciné dans la communauté juive américaine. Avant 1967, les juifs américains, pour la plupart, n’avaient pas été captivés par cette idéologie du sionisme et le nationalisme virulent et raciste qui l’accompagne. Pour les Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, c’était le début de la longue occupation et de la colonisation qui continuent jusqu’à ce jour. C’était aussi, du point de vue d’Israël, la période de ce que j’appelle une occupation de luxe. Les Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza étaient relativement tranquilles, ils étaient une source de travail bon marché, les Israéliens les autorisaient à voyager librement dans les territoires occupés et c’était le bonheur, c’était une situation où les Israéliens se sont dit, bon, c’est bien, nous pouvons rester comme cela pendant que nous contruisons des colonies, il n’y a pas de pression sur nous à faire quoi que ce soit, nous n’avons pas annexé formellement la Cisjordanie et la Bande de Gaza, ce qui nous demanderait de donner des droits civiques et des droits de vote aux Palestiniens qui y vivent, donc nous gardons simplement les choses comme elles sont.

Cette période d’occupation de luxe s’est terminée en 1987 avec le début de la première intifada, ce qui je pense est à peu près le moment où beaucoup d’entre vous dans cette pièce sont nés, ce qui me fait me sentir assez vieux. Mais il est important de connaître cette histoire. Et ce que la première intifada a montré était l’impossibilité pour Israël de maintenir cette occupation gratuite, où il exploitait le travail et la terre palestiniens, déniait tous les droits civiques et politiques, et continuait à s’afficher comme cette merveilleuse démocratie libérale et une lumière parmi les nations. 

C’est ainsi qu’a commencé cette troisième période de vingt ans : c’est la période des Accords d’Oslo, le commencement d’une longue période pour élaborer ces accords qui ont été signés en 1993 ; et c’était en fait la période d’une occupation gérée, l’idée ici était de coopter. A un moment, les dirigeants israéliens l’ont dit. Shimon Peres, qui est maintenant le président d’Israël, s’est rappelé avoir parlé à Yitzhak Rabin, qui était le premier ministre de l’époque, lui disant : Pourquoi avons-nous besoin que Yassir Arafat — qui était à l’époque bien sûr le dirigeant de l’OLP— nous cause des ennuis en dehors du pays, amenons-le ici, nous pouvons le surveiller et nous pouvons le garder sous contrôle. Donc l’idée était de coopter les dirigeants palestiniens et de leur sous-traiter la gestion de l’occupation, créant pendant tout ce temps l’illusion d’un mouvement vers l’avant, d’un prétendu processus de paix qui culminerait en un état palestinien indépendant.

Mais effectivement, comme nous le savions et comme nous le savons maintenant, ce n’est pas ce qui est arrivé. Ce qui est arrivé était l’accélération de l’occupation, le triplement du nombre des colons israéliens en Cisjordanie, et le resserrement du contrôle, la création d’un régime de contrôle colonial, de fait un apartheid, qui est unique dans l’histoire. Nous faisons beaucoup de comparaisons avec l’apartheid de l’Afrique du Sud, mais comme beaucoup de Sud-Africains eux-mêmes l’ont noté, il n’y avait jamais en Afrique du Sud un système de routes séparées pour les Noirs et les Blancs. A aucun moment, le gouvernement d’apartheid sud-africain n’a utilisé des avions de guerre pour bombarder les townships, pour bombarder Soweto. Cela n’est jamais arrivé. Incidemment vous devriez savoir, et cela fait partie de la recherche qui doit faire partie de la stratégie de BDS, que la plupart des armes que le gouvernement sud-africain a utilisées pour imposer l’apartheid étaient fournies par Israël, en violation de l’embargo international des armes qui était imposé à l’Afrique du Sud. Même les canons à eau qu’ils utilisaient pour réprimer les manifestations ont été faites dans un kibboutz dans le nord d’Israël. Et les avions de guerre et les canonnières de la marine sud-africaine ont tous été fournis par Israël. Néanmoins, l’Afrique du Sud n’a jamais utilisé ces armes contre son propre peuple à l’intérieur du pays. 

La situation des vingt dernières années d’occupation gérée arrive à sa fin. Beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte, beaucoup de gens espèrent qu’elle peut être ressuscitée, mais nous atteignons la fin de la troisième phase d’un leadership palestinien collaborationiste et coopté qui serait capable de maintenir au calme le peuple palestinien pour le compte d’Israël. Et l’édifice est maintenant en train de s’écrouler lentement. Je ne peux pas vous dire combien de temps cet écroulement prendra, je ne peux pas vous dire comment il se terminera, mais c’est quelque chose qui ne peut être re-formé et restauré. Les dirigeants palestiniens qui ont signé les Accords d’Oslo et ont accepté de devenir les exécutants de l’occupation pour le compte d’Israël, tout en promettant à leur peuple que cela se terminerait en un état, ont perdu toute crédibilité, ils ne peuvent plus longtemps jouer le jeu. Je pense que c’est un moment, vraiment ce n’est pas seulement un moment de vérité pour les Palestiniens, mais aussi pour Israël, parce que l’effondrement du régime d’Oslo, l’effondrement de l’occupation gérée, met à nu la réalité : que vous avez dans la Palestine historique, Israël, la Cisjordanie, la bande de Gaza pris tous ensemble, vous avez une réalité qui est de facto celle d’un état binational. Vous avez un pays de 11 millions de personnes, dont tout juste un peu plus de la moitié sont des juifs israéliens et tout juste un peu moins de la moitié sont des Palestiniens, mais la tendance est claire, les Palestiniens redeviennent une fois encore majoritaires.

 Nous pouvons tous décrire en détail la souffrance infligée aux Palestiniens dans la tentative d’Israël de les nettoyer ethniquement, de réduire la population, de changer la démographie de Jérusalem. Littéralement chaque jour maintenant des maisons sont démolies dans Jérusalem-Est occupé et Silwan. Et chaque nuit la Nakba qui a commencé en 1948 continue à s’étendre. Chaque nuit il y a de nouvelles familles dormant dans des tentes près des débris de leurs maisons. La Nakba continue en 2009. Malgré cela, malgré cela, je voudrais dire ce qui suit : si l’objectif du projet sioniste est de prendre ce pays qui avait un peuple autochtone qui était arabe, qui était palestinien, qui était musulman, qui était chrétien, et d’en faire un pays de juifs européens, alors cette stratégie a échoué, parce qu’il y a plus de Palestiniens vivant sur le territoire national de Palestine que jamais auparavant et et qu’il n’y a aucune partie de la Palestine de nos jours où ne vivent pas de Palestiniens. Que ce soit dans le Néguev, à Gaza, en Galilée, au centre du pays, partout en Cisjordanie, il y a très peu de zones où il n’y a pas une population palestinienne. Donc c’est l’immense échec du projet sioniste, l’échec à nettoyer ethniquement ce pays. Et malgré la souffrance qu’il a infligée et qu’il continue à infliger, il y a quelque chose à célébrer, que le peuple autochtone est encore là. Qu’il continue à exister dans son pays.

Mais bien sûr cela laisse Israël dans un dilemne, parce que comment pouvez-vous avoir un état juif quand la majorité de la population ne sera bientôt pas juive ? La solution idéale du point de vue d’Israël était de cacher cette réalité par un processus de paix interminable, par l’occupation gérée sous-traitée. Mais cela ne marche plus. Donc nous avons atteint un moment de vérité. Et je pense que c’est important de reconnaître la façon dont ces choses se terminent —personne ne peut lire l’avenir — mais encore une fois nous avons entendu ce matin la très importante comparaison avec l’Afrique du Sud. Ce n’est pas une situation identique, il y a beaucoup de différences qui valent la peine d’être explorées et discutées, mais dans notre histoire récente c’est le parallèle le plus proche avec la situation que nous avons maintenant, celle d’une communauté d’occupation par des colons gouvernant un peuple autochtone par la force et confronté à une résistance gigantesque et des requêtes pour leurs droits de la part des autochtones. Et quand vous retournez aux années avant que le régime d’apartheid ne se termine — il s’est terminé officiellement en 1994 — il y avait une résistance interne gigantesque en Afrique du Sud, d’énormes soulèvements qui étaient très similaires à ce qui est arrivé quelques années plus tard dans la première intifada palestinienne, des grèves massives, des démonstrations massives et la réponse de l’état d’apartheid a été d’utiliser une violence énorme pour supprimer les démonstrations dans les townships.

 La remarque que je veux faire ici est que toute cette résistance n’a jamais réussi à changer réellement l’équilibre du pouvoir physique coercitif. Les Blancs ont toujours gardé de fait un monopole sur la force physique et militaire et le mouvement anti-apartheid n’a jamais vraiment changé cela. Ils n’ont pas battu le régime d’apartheid militairement. L’équilibre des pouvoirs n’a jamais changé. Ce qui s’est passé et ce qui est crucial, je pense, est que le régime d’apartheid, qui avait bénéficié d’une légitimité considérable parmi les Européens et les Américains jusqu’à au moins les années 50, a commencé à perdre cette légitimité. Jusqu’à ce moment, en Grande-Bretagne et dans les autree parties de l’Europe, il y avait une sympathie immense pour ce qui était appelé « la difficile situation » des Blancs en Afrique, dans le contexte de la décolonisation.

La perte de légimité des pratiques du régime d’apartheid est ce qui a changé, et quand un système perd sa légitimité, toutes les armes du monde ne peuvent le protéger. Et c’est ce que nous avons vu en Afrique du Sud. Une fois qu’on est arrivé au point où le régime ne pouvait rester au pouvoir que par la violence et la répression, les Blancs d’Afrique du Sud ont perdu la volonté de le maintenir. Parce qu’ils savaient que le prix était un isolement international croissant et le fait d’être vus comme des parias. Et une fois qu’ils ont atteint ce point, alors ils ont été d’accord pour commencer à parler de démocratie et de droits égaux.

Vous devez vous souvenir que le Congrès national africain a promu la Charte de la liberté dès 1955. Cela n’a jamais changé. Le message de la résistance en Afrique du Sud était constant : notre requête est la liberté, une personne/un vote, l’égalité, la décolonisation, cela n’a jamais changé. Mais aussi longtemps que les Blancs se sentaient immunisés comme les effets de l’apartheid, aussi longtemps qu’ils pouvaient s’en tirer, ils n’avaient aucune motivation pour lire la Charte de la liberté et ils pouvaient diaboliser les Africains autant qu’ils le voulaient et dire que ces gens étaient des barbares et que si nous les laissions mettre la main sur les leviers du pouvoir ils nous massacreraient dans nos lits, que les Blancs seraient jetés à la mer. Cela ne leur coûtait rien de dire cela. Une fois que la résistance interne et la solidarité internationale, sous la forme de boycott, désinvestissement et sanctions, ont augmenté le coût de maintenir le statu quo, pour le régime d’apartheid et ceux qui en bénéficiaient, alors ils ont dit, OK, discutons, écoutons ce que vous avez à dire, ce qu’est votre vision de l’avenir de l’Afrique du Sud. Donc BDS a créé les conditions d’un dialogue et finalement de la fin du conflit, qui étaient impossibles aussi longtemps que l’équilibre du pouvoir n’était pas contesté.

 Je voudrais argumenter que nous commençons à voir —je ne pense pas que ce soit déjà à plein régime, mais nous commençons à voir — une perte de légitimité similaire du sionisme et des pratiques dans lesquelles Israël s’est engagé. Et beaucoup d’Israéliens s’en inquiètent très ouvertement. Je suis convaincu que la perte de légitimité de l’idée sioniste, de l’idée d’un état spécial pour un peuple spécial, est irréversible, que cela ne peut être ressuscité au XXIe siècle, à un moment où nous prêchons, au moins, pour les droits universels et l’égalité, même si nous ne les mettons pas en pratique. L’image de soi qu’a Israël comme état juif progressiste et démocratique est impossible à maintenir face à la réalité d’une colonie juive militarisée, ultranationaliste, sectaire, qui doit exécuter régulièrement des massacres de civils autochtones pour maintenir son contrôle. Le sionisme ne peut pas simplement bombarder, kidnapper, assassiner, expulser, démolir, coloniser et imposer par le mensonge sa légitimité et son acceptation, et soixante-deux ans de détermination palestinienne, de sumud, de résistance, l’ont prouvé encore et encore. 

Comme je l’ai mentionné, il est de plus en plus dur de déguiser cette perte de légitimité quand vous avez une minorité juive gouvernant une majorité palestinienne privée de droits. Récemment vous aurez remarqué la nouvelle demande du gouvernement israélien, à savoir que les Palestiniens reconnaissent le « droit d’Israël à exister comme un état juif », comme condition pour la paix. Beaucoup de gens étaient indignés par cela. Je suis franchement assez réconforté par cela [rires]. Je vais vous dire pourquoi. Parce que cette demande est en fait la reconnaissance d’un échec. C’est la reconnaissance que sans le consentement palestinien, le projet sioniste et l’ethnocratie juive en Palestine ne peuvent être maintenus, et je pense qu’ils n’ont aucune perspective d’avenir à long terme.

Et je pense que ce qui est si important dans le moment où nous sommes est que le lobby israélien, les nombreux groupes pro-Israël dans ce pays et dans le monde entier, reconnaissent ce moment, et si vous vous souvenez, au printemps dernier, en mai, d’un discours donné par le directeur exécutif de l’AIPAC [Comité des Affaires publiques israélo-américain] à leur conférence de politique annuelle — l’AIPAC est bien sûr le groupe de lobbying pro-Israël le plus puissant, c’était juste quelques mois après les massacres de Gaza, et Howard Kohr, le directeur exécutif, a fait un discours vraiment tout à fait remarquable et révélateur, dans lequel il parle du discours croissant sur l’illégitimité de ce qu’Israël fait et comment il est constitué. Il parle de ce qu’il appelle la campagne de délégitimation d’Israël. Je dirais qu’Israël s’est délégitimé tout seul par ses actions, mais restons avec lui une minute : 

« L’épicentre de cette campagne est peut-être au Moyen Orient, mais la campagne ne s’arrête pas là. Elle a des échos dans les halls des Nations Unies et des capitales de l’Europe. Mais la campagne ne s’arrête pas là. Elle s’exprime sans honte et sans sanctions dans les assemblées d’organisations internationales qui revendiquent la paix et la collaboration comme leur mission. Mais la campagne ne s’arrête pas là. Elle arrive chez nous, juste ici, aux Etats-Unis. Nous la voyons déjà sur les campus de nos universités, les institutions d’éducation supérieure d’élite de l’Amérique, les endroits auxquels nous avons confié l’éducation de nos enfants.

Mais la campagne ne s’arrête pas là. Cette campagne n’est plus confinée aux divagations de l’exrême gauche ou de l’extrême droite politiques, mais elle pénètre de plus en plus le grand public américain : un discours politique ordinaire dans les débats de nos télévisions et de nos radios, dans les pages de nos principaux journaux et dans d’innombrables blogs, dans les réunions municipales, sur les campus et sur les places des villes, à Los Angeles, Fort Lauderdale, Chicago. »

Il appelle cela, et c’est, je pense, très important pour comprendre la peur du lobby israélien, « une campagne délibérée pour changer la politique, pour transformer la façon dont Israël est traité par ses amis en un état qui ne mérite pas notre soutien, mais notre mépris » — je saute — « ces voix établissent un prédicat pour l’abandon, elles argumentent qu’Israël est indigne d’être autorisé à ce qui est pour n’importe quelle nation le droit premier et le plus fondamental, le droit à l’auto-défense ». 

Bien sûr, c’est dit dans le contexte des massacres à Gaza, qu’il soutient. Donc il continue avec cet éclairage. Et c’est assez intéressant. Il y a une chose que j’ai trouvé très drôle. Pas drôle, mais frappante. Il dit : « C’est une bataille pour les coeurs et les esprits du monde. Une bataille dans laquelle la diffamation d’Israël » — ce que j’appellerais argumenter en faveur de l’égalité des droits, de la justice et de la reddition de comptes — « est comme l’artillerie avant l’assaut principal, l’élément clé dans l’affaiblissement de la cible ». 

 C’est tellement frappant, trois mois après Gaza, il parle de nous utilisant de l’artillerie, de nous qui parlons du mouvement non violent BDS comme de ceux qui utilisent l’artillerie, et Israël qui fait pleuvoir du phosphore blanc et des obus sur des quartiers résidentiels et des écoles et des mosquées et des bâtiments ministériaux et des commissariats dans tout Gaza est la victime. C’est un renversement très intéressant du langage. Finalement, quelle est la solution du point de vue de l’AIPAC ? Il dit « Donc ce soir, laissez-moi dire à chacun dans cette salle: Nous avons du travail à faire, nous avons une histoire à raconter, une histoire qui est souvent négligée. Et c’est une remarquable histoire du vrai Israël ». 

Je pense qu’en fait nous avons exactement le même travail ! [Rires]

 « Nous devons dire l’histoire d’Israël, ce qu’il est, ce qu’il fait et ce qu’il défend dans le monde ». Encore une fois, nous avons la même mission. « Et cette vérité battra la vision déformée par la haine qui vise à séparer Israël de ses amis ». Ouais ! [Rires]

Quel est ce message et c’est la question cruciale : à la fin de la période d’occupation gérée, quand l’apartheid et la réalité coloniale du système israélien sont mis à nu, quel est le message ? Quelle histoire ont-ils à raconter ?

Voici ce à quoi elle revient : « Israël, le seul pays dans le Moyen Orient qui accueille un défilé de la Gay Pride. Israël qui tire l’énergie du soleil, l’eau de l’air. Israël qui prend au sérieux l’admonition à être une lumière parmi les nations. Le pays qui a ouvert ses portes aux boat-people vietnamiens dans les années 1970, aux juifs éthiopiens dans les années 80 et 90. Aux réfugiés de plus de cent pays ». Excepté ceux de Palestine ! « Des gens de différentes cultures et de différents pays qui ont construit de nouvelles vies en Israël ». 

Ce qui est intéressant là-dedans, c’est que vous avez ici plusieurs thèmes. Le défilé de la Gay Pride, on appelle cela du pinkwashing. Si vous utilisez l’idée qu’Israël a un défilé de la Gay Pride, et que donc cela rend acceptable d’attaquer des écoles avec du phosphore blanc, c’est ce qui s’appelle du pinkwashing. Qu’Israël tire son énergie du soleil et son eau de l’air, cela s’appelle écoblanchiment (greenwashing).

Quant à ce qu’Israël prenne au sérieux l’admonition à être une lumière entre les nations, à ouvrir ses portes aux réfugiés, etc. Eh bien vous avez peut-être vu le titre dans Haaretz il y a deux semaines, selon lequel Israël envisageait d’installer qu’il appelait des camps de travail dans le désert du Néguev pour des réfugiés, principalement d’Afrique, qui attendent une décision judiciaire sur leurs demandes d’asile et le marché selon Haaretz était que les réfugiés seraient accueillis dans ce camp, transportés par bus à des endroits où ils travailleraient dans la journée et ensuite retourneraient dans les camps le soir, et qu’en échange ils recevraient de la nourriture. Je pense qu’il y a un terme pour cela. Cela s’appelle de l’esclavage. Parce que même les esclaves pour la majeure partie recevaient des chambres et de la nourriture, juste afin de les maintenir en vie. Donc l’Israël qui est ouvert aux réfugiés est un Israël qui en 2009 envisage d’installer des camps de travail esclavagistes.

Le point que je voulais faire à partir de cela est que je ne pense pas qu’il y ait un message. Vous ne pouvez pas faire du pinkwashing, de l’écoblanchiment, du blanchiment-tout-court pour vous en tirer. Vous ne pouvez pas dire bon, Israël fait de merveilleux produits pharmaceutiques, donc ne vous inquiétez pas de ce qui se passe à Gaza. Cela ne va pas marcher. Il est trop tard pour cela. Et je pense que ce message ne peut pas être remis à neuf. Je pense que nous sommes à un point où Israël est encore incroyablement puissant. Mais je pense qu’en un sens il roule grâce à l’inertie, le pouvoir accumulé, le prestige accumulé. C’est comme quelqu’un dont le compte en banque est bien plein, mais ils le dépensent et ils doivent le dépenser très vite.

Or, dans notre mouvement nous avons un très petit compte bancaire. Je ne parle pas d’argent littéralement, je parle de pouvoir politique et de légitimité morale et de soutien et d’une vision juste qui inclut chacun. Nous avons un très petit compte en banque, mais nous avons des revenus. Nous le faisons grandir. Israël a un gros compte en bancque mais pas de revenu. Je ne vois pas Israël capable de recruter une nouvelle génération pour porter son message. Je crois que le succès des juifs américains est qu’ils sont totalement intégrés dans cette société, que les jeunes juifs américains ont grandi imbibés du message universel du mouvement des droits civiques et qu’ils ne veulent rien avoir à faire avec cela —Israël est comme une vieille guimbarde et ces groupes de lobby pro-Israël doivent essayer de le vendre comme si c’était une voiture de luxe et personne n’achète plus cette guimbarde.

Alors cela peut paraître un petit peu idyllique et je ne veux pas vous laisser penser que tout cela est très facile et inévitable. Parce que cela ne l’est pas. L’autre côté de cela, qui est très, très important, est qu’il y a une lutte immense, immense, à mener, ce qui est la raison pour laquelle le travail que vous faites dans ce mouvement est si important. Et un résultat juste n’est pas inévitable. Israël a un immense pouvoir, il a la capacité de commettre une immense violence. Il y a beaucoup de personnes qui pensent que Gaza 2009 était juste un avant-goût de ce qu’il y a à venir et que les Israéliens joueront le tout pour le tout et qu’ils essaieront encore de faire ce qu’ils ont échoué à faire depuis si longtemps, qui est d’essayer d’intimider et de terroriser les Palestiniens et d’autres peuples arabes pour qu’ils se soumettent.

Donc il y a d’énormes dangers, ce n’est pas inévitable. Mais ce qui rend une autre attaque sur Gaza ou sur d’autres parties de la Palestine de moins en moins probable chaque jour, c’est ce que nous faisons. Plus nous faisons du boucan, plus nous rendons difficile aux criminels de guerre israéliens de parler sur nos campus, plus nous suscitons une prise de conscience sur l’impact de l’occupation israélienne sur les Palestiniens dans tout le pays, sur le racisme, sur le statut de seconde classe des citoyens palestiniens en Israël, plus il y a de gens sensibilisés par le militantisme BDS, plus dur c’est, pour Israël, d’agir librement. Nous devons, avec ce mouvement, obtenir la reddition de comptes que nos gouvernements ont échoué à obtenir, que les Nations Unies ont échoué à obtenir.

Vous serez confrontés à de nombreux ennemis. L’un d’eux s’appelle J Street. [Applaudissements]. Ils vous ont remarqués. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont vu le communiqué de presse qui est sorti jeudi, et qui dit « La conférence prochaine à Hampshire College promeut le malavisé mouvement BDS contre Israël ». Maintenant voici les bonnes nouvelles. « Ce mouvement s’étend comme un incendie » [Cris de joie] « sur les campus dans tout le pays et nous allons tous être brûlés sauf si nous nous exprimons maintenant ».

Alors ils en sont venus à l’idée pathétique de : investissez deux dollars pour deux états. Est-ce qu’il y a quelqu’un dans cette salle qui veut me donner deux dollars pour deux états ? [Cri: « Jamais ! »] Je vais mettre aux enchères la solution à deux états. Deux dollars ? Un dollar 50 ? Je vois un dollar là-bas. Mais ils disent — c’est sérieux, ils disent : « Rejoignez notre investissement, pas la campagne de désinvestissement » pour lever des fonds pour deux organisations. Lendorpeace.org, une organisation de micro-finance palestinienne lancée par des étudians comme nous. Et le Centre pour le développement économique judéo-arabe, qui promeut une coopération économique judéo-arabe en Israël.

Il est important de savoir que ces sortes de projets conjoints, le plus probablement, je n’ai pas regardé ces deux projets spécifiquement, sont des projets dessinés pour donner une impression d’égalité et de réciprocité et qu’ils ne remettent pas en cause la réalité de l’injustice — ils violent l’appel palestinien pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions. C’est vraiment important de comprendre qu’ils appuient ces choses sur vos campus afin de détourner votre attention et de faire en sorte que les gens mettent leur énergie dans une direction où il n’y aura absolument aucun impact, parce que ces sortes de projets conjoints réchauffe-coeur, forgés pour légitimer Israël en disant : « Oh, ayons juste de bons rapports ensemble », ont été essayés pendant des années et des années, et ils ne font aucune différence.

 Il y a un fort sentiment qu’après avoir essayé d’ignorer le mouvement BDS pendant de nombreuses années, il commence à obtenir vraiment l’attention d’Israël. Il y avait un article hier dans le Financial Times. Le titre : « Israël ignore d’un haussement d’épaules le militantisme du boycott économique ». Il y a beaucoup de bravade. Ils disent : « Vous savez, cela n’a vraiment pas eu beaucoup d’impact et nous pouvons y survivre ». Mais le fait est, c’est dans le Financial Times, ils commencent à y prêter attention. Aujourd’hui il y a un article sur ynet … le site web le plus consulté en Israël … Le titre, ma traduction : « Boycotts contre Israël, réussissent-ils, font-ils des dégâts ? « C’est aujourd’hui … Cela les affecte, ils y prennent garde et ils commencent à s’en inquiéter. Donc si jamais vous pensez, si jamais on vous dit, oh, cela ne marchera jamais, lisez donc la presse israélienne. Cela commence à avoir l’effet que nous voulons, forcer les Israéliens à faire ce qu’ils ne veulent pas faire, à savoir un peu d’introspection, repenser sérieusement la situation et comment en sortir.

 Je voudrais conclure avec quelques observations sur ce qui vient ensuite. Je pense — j’en ai discuté et je ne pense pas que ce soit une question difficile à défendre dans cette salle — que BDS est essentiel. BDS est un outil pour niveler le terrain de jeu, pour fournir de la solidarité et de la force aux Palestiniens qui résistent et se dressent résolument, où qu’ils soient, que ce soit en Palestine, en Israël ou dans des camps de réfugiés, ici aux Etats-Unis, partout où sont les Palestiniens. C’est une manière de dire — vous savez, beaucoup de gens disent que les Palestiniens sont parmi les personnes qui ont droit au plus grand nombre de sermons sur terre. On leur dit toujours, si vous êtes le Secrétaire d’état des Etats-Unis : les Palestiniens doivent faire plus, et ensuite il y a une liste entière. Et même les amis des Palestiniens disent, vous savez, si seulement les Palestiniens pouvaient être davantage comme Gandhi. J’entends cela tout le temps. Ils ne disent jamais aux Israéliens, si seulement les Israéliens pouvaient être davantage comme Gandhi. Pouvez-vous imaginer les colons israéliens se comportant comme Gandhi ? Il n’y aurait aucune colonie, c’est sûr.

 Je pense que ces mots ne coûtent pas cher du tout. Dire aux gens qui luttent pour leur existence même de ne pas résister, de ne pas user de violence, depuis la sécurité du Canada ou des Etats-Unis est un peu un luxe [Applaudissements]. Mais cela ne veut pas dire que nous devrions abandonner notre croyance dans la non-violence, que nous devrions promouvoir la violence. Je ne suis certainement pas en train de dire que nous devrions promouvoir la violence. [Applaudissements] Je dis simplement que si vous êtes contre la violence, alors fournissez une alternative et l’alternative est BDS. Comme Fayyad [Sbaihat] l’a dit ce matin [dans une table ronde] : Avez-vous une meilleure idée ? 

C’est une stratégie éprouvée. C’est une tactique qui marchera. Comme nous avons vu dans la session de ce matin, c’est une stratégie noble et honorable qui a marché dans le mouvement des droits civiques. Il a marché dans le cas de l’Afrique du Sud — Il a marché en Irlande du Nord, avec les principes MacBride — désinvestir des compagnies qui étaient discriminatoires envers les catholiques irlandais autochtones dans le nord de l’Irlande — Il y a beaucoup d’exemples de BDS et de stratégies analogues à BDS qui marchent. Donc c’est à nous de fournir l’alternative.

Il y a maintenant un débat houleux sur la solution à un ou à deux états. Et beaucoup de gens ont des questions honnêtes là-dessus. Vous savez de quel côté je suis. Mais cela ne veut pas dire que vous avez à être d’accord avec moi. Mais l’appel de BDS, l’appel pour le boycott académique et culturel d’Israël de la part de la société civile palestinienne, n’est pas un appel en faveur d’une solution à un ou à deux états. Il indique trois sortes d’injustice et d’oppression israéliennes auxquelles il faut mettre fin. 

La première, c’est le déni de la responsabilité d’Israël dans la Nakba, et particulièrement les vagues de nettoyage ethnique et la dépossession qui a créé le problème des réfugiés palestiniens, et donc le refus d’accepter les droits inaliénables des réfugiés déplacés, droits stipulés et protégés par le droit international. Deuxièmement, l’occupation militaire et la colonisation de la Cisjordanie, y compris Jérusalem Est et Gaza. Et troisièmement le système enraciné de discrimination raciale et de ségrégation contre les citoyens palestiniens d’Israël, qui ressemble au sysème défunt de l’apartheid en Afrique du Sud.

Il est important, quoi que vous pensiez à propos des solutions à un ou à deux états, de mettre un terme à toutes ces formes d’oppression. Si demain nous nous réveillons et voyons qu’Israël s’est retiré de Cisjordanie et de la Bande de Gaza — assez peu vraisemblable, il est vrai —, cela laisse deux tiers du problème intact. L’oppression des citoyens palestiniens d’Israël et l’oppression raciste des réfugiés palestiniens à qui on dénie le droit au retour dans leurs foyers pour la seule raison qu’ils sont du mauvais groupe ethnique, c’est simplement scandaleux au XXIe siècle.

Il est important de garder un oeil sur ces trois aspects de l’injustice systématique contre les Palestiniens. Et de les reconnaître — nous pouvons discuter et débattre et nous pouvons préconiser ce à quoi ressemblerait le résultat. Je pense que nous avons besoin d’avoir cette discussion et avec la pression du mouvement BDS, de commencer à avoir une vision qui puisse commencer à attirer les Israéliens, une fois qu’ils reconnaissent que le système actuel n’est pas tenable. Et BDS crée les conditions pour que nous commencions à avoir cette discussion.

Je vais terminer en disant quelque chose à quoi je crois vraiment très, très profondément quand je regarde autour de moi dans la salle. Quand je pense à mes parents et aux parents de beaucoup d’autres personnes de cette salle, de beaucoup de Palestiniens dans cette salle et au dehors — mes parents étaient de la génération qui a vécu la Nakaba, qui a perdu ses maisons et perdu son pays, et ils faisaient partie des chanceux. Mais ceux de Gaza, 80% des gens de Gaza, sonr des réfugiés. Au Liban, en Syrie, en Jordanie. Partout dans le monde, je crois que cette génération, la première génération de la Nakba, qui avance maintenant en âge, mais hamdililah beaucoup d’entre eux sont encore jeunes et en bonne santé et peuvent vivre de longues vies, je crois que cette génération mérite qu’il lui soit rendu justice au cours de sa vie. [Applaudissements].

Et quand je regarde autour de moi dans cette salle, je suis convaincu de tout mon coeur et de tout mon esprit, que c’est la génération qui va les aider à obtenir cette justice. Soyez patients et restez engagés sur le long terme, l’histoire est de notre côté et nous pouvons gagner. Merci. 

Trad. CG pour l’Agence Media-Palestine

Source: Mondoweiss

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