À la rencontre de l’artiste gazaoui devenu roi des origamis

Ahmed Hmeid, ancien artiste graffeur au chômage, est désormais reconnu par les grands maîtres de cet art ancestral japonais

Par Maha Hussaini –  Gaza

Il a fallu un an à Ahmed Hmeid pour maîtriser son interprétation de l’origami (MEE/Muhamed Alhajjar)

À Gaza, enclave côtière densément peuplée où plus de la moitié de la population est au chômage, Ahmed Hmeid, un artiste palestinien originaire du camp de réfugiés d’al-Nusairat, savait que pour gagner sa vie, il lui fallait innover.

L’homme de 29 ans, qui pratiquait régulièrement l’art du graffiti, s’est familiarisé avec l’origami sur Internet et en a rapidement fais sa source de revenu. « L’art, et en particulier le dessin, a toujours été ma passion. Chaque jour, je passais des heures sur Instagram à la recherche de nouvelles idées créatives de graffitis », indique-t-il à Middle East Eye.

« Un jour, alors que je parcourais des comptes consacrés au graffiti, je suis tombé sur une image qui montrait du papier joliment plié de manière à créer une forme. À l’époque, je ne connaissais pas le nom de cet art, alors j’ai juste enregistré la photo, mais je n’arrêtais pas d’y penser. »

Ahmed Hmeid est un artiste palestinien originaire du camp de réfugiés d’al-Nusairat, à Gaza (MEE/Muhamed Alhajjar)

Hypnotisé par cet art qui lui était nouveau, Ahmed Hmeid a entrepris de découvrir autant de choses que possible sur ses origines.

« Je n’ai pas trouvé de photos similaires au départ, car je ne connaissais même pas le nom de cet art », raconte-t-il. « J’ai montré la photo à un ami qui m’a dit que c’était de l’origami, une forme d’art japonaise. C’est à ce moment-là que mon voyage a commencé. »

L’origami, l’art ancien du pliage de papier, est largement pratiqué par de nombreuses strates de la société japonaise, notamment les enfants, les jeunes et les personnes âgées.

« J’ai passé cinq mois uniquement à faire des recherches sur l’origami et à comprendre comment le pratiquer, puis une année à m’entraîner jusqu’à ce que je puisse dire que je le maîtrisais », poursuit-il.

Ahmed Hmeid utilise des livres donnés et usés pour créer ses origamis (MEE/Muhamed Alhajjar)

« Contrairement aux origamistes habituels qui créent des formes avec du papier, j’utilise généralement des livres entiers pour créer un nom ou un symbole. Ce n’est pas facile et cela coûte beaucoup plus cher, mais cela permet d’obtenir des formes vraiment uniques et les gens adorent. »

L’art pour faire face au chômage

Après avoir terminé ses études secondaires en 2007 et choisi de ne pas aller à l’université, Ahmed Hmeid a été confronté au fait qu’il lui était presque impossible d’obtenir un emploi à Gaza, là où même ceux qui disposent d’une licence ou d’une maîtrise éprouvent toutes les peines du monde à trouver du travail.

« J’ai grandi dans une famille pauvre et nous pouvions à peine satisfaire nos besoins essentiels. Cela m’a encouragé à rechercher de nouvelles sources de revenu », explique-t-il. « Comme vous le savez, il n’est pas facile de trouver un emploi ici, surtout quand on n’a pas de diplôme universitaire, mais j’ai fait de mon mieux pour trouver une alternative. »

D’après la Banque mondiale, le taux de chômage dans la bande de Gaza a grimpé à 53,7 % au deuxième trimestre 2018 et dépasse les 70 % chez les jeunes.

Ahmed Hmeid a passé un an à s’exercer pour maîtriser l’art de l’origami (MEE/Muhamed Alhajjar)

Ahmed est toutefois resté déterminé et n’a pas abandonné, tout en sachant qu’il devait trouver comment faire face au chômage endémique à Gaza.

« Tout a commencé en septembre dernier lorsqu’une jeune femme de Gaza, qui possède une boutique de cadeaux faits main, a appris par des collègues que je créais des origamis. Elle m’a contacté et m’a demandé de lui en faire un avec son nom, Hayat [“vie” en arabe] », se souvient-il.

« J’ai créé son nom avec un vieux livre et je l’ai amené à sa boutique pour lui offrir en cadeau. Quand elle l’a vu, elle n’a pas cessé de dire à quel point c’était parfaitement réussi et elle m’a proposé de l’argent. »

Ahmed a refusé d’être payé pour ce cadeau, mais Hayat a insisté sur le fait qu’il méritait une récompense.

« Elle m’a payé 100 shekels [environ 24 euros] et j’ai été étonné de voir quelqu’un payer autant pour une œuvre d’art en papier », ajoute-t-il. « Elle a proposé de le publier sur Instagram et je lui ai demandé de tagguer mon compte afin de faire de la publicité pour ma nouvelle activité, et c’est ainsi que les gens ont commencé à connaître mon art. »

La présence d’Ahmed Hmeid sur les réseaux sociaux a attiré des abonnés locaux et internationaux (MEE/Muhamed Alhajjar)

Afin de créer de nouveaux origamis, Ahmed a contacté des amis sur les réseaux sociaux pour trouver des livres anciens et usés.

« Un jour à peine après avoir demandé des livres, dix-huit personnes ont proposé de m’en offrir gratuitement, mais j’ai refusé toutes les propositions, sauf deux », poursuit-il.

« Pour les seize autres, il s’agissait de bons livres en arabe qui pouvaient être très utiles, ce n’était pas ce que je voulais. Je ne voulais pas gâcher des livres au nom de l’art, je n’acceptais que ceux qui étaient très usés et inutiles. »

Depuis le début de l’année dernière, Ahmed a créé plus de 50 œuvres qui reflètent la culture classique de l’origami avec une touche moderne.

« J’ai vendu beaucoup d’œuvres et les gens les ont aimées. Mais je ne peux toujours pas gagner ma vie uniquement grâce aux origamis, surtout en cette période où les gens ont du mal à satisfaire leurs besoins essentiels. »

« Encore une fois, la frontière est un obstacle »

La présence d’Ahmed Hmeid sur les réseaux sociaux a attiré des abonnés locaux et internationaux, tels que l’origamiste japonais Hanklay, qui admire son travail et le soutient en l’encourageant et en lui donnant des conseils.

« Mon travail a capté son attention car j’ai réussi à créer une nouvelle version de l’origami, un art d’origine japonaise bien connu en Europe, avec des lettres arabes », déclare Ahmed. « Il a rapidement suggéré d’organiser une exposition conjointe au Japon où il aurait utilisé la langue japonaise et moi la langue arabe – mais encore une fois, la frontière est un obstacle. »

Ahmed Hmeid espère un jour exposer son art à l’étranger, mais en raison du siège israélien à Gaza, ceci n’est qu’un rêve pour le moment (MEE/Muhamed Alhajjar)

Depuis 2006 et la victoire du Hamas aux élections législatives, Israël impose un blocus qui paralyse la bande de Gaza. Les habitants sont soumis à des restrictions très strictes en matière d’entrée et de sortie du territoire. L’Égypte applique également ce siège à la frontière de Rafah.

« Comme toute autre personne qui est fière de ce qu’elle a accompli, il est certain que je souhaite parcourir le monde et montrer mon talent partout », confie Ahmed. « Je veux représenter mon pays et parler des défis auxquels j’ai dû faire face pour arriver là où je suis aujourd’hui, mais je ne peux tout simplement pas voyager. »

« Beaucoup de gens à l’étranger mais aussi en Cisjordanie et à Jérusalem voient mon art sur les réseaux sociaux et m’envoient des messages pour me demander si je peux leur faire des commandes spéciales », poursuit-il. « Je leur présente malheureusement mes excuses car je ne peux pas livrer leur commande en raison des restrictions de circulation imposées aux frontières d’Erez et de Rafah. »

Ahmed Hmeid espère toujours pouvoir organiser un jour sa propre exposition et représenter son pays.

« Je ne peux pas abandonner mon talent maintenant, après tout ce que j’ai traversé. S’ils ferment les frontières, j’organiserai mon exposition ici, à Gaza, et mon art sera le reflet de la souffrance. »

Traduit de l’anglais par VECTranslation

Source: Middle East Eye

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